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AME. DOCTRINES DES TROIS PREMIERS SIÈCLES

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naturelle, domination sur l’univers, dominatricem, divinatricem, xxi-xxii, col. 684.

Ex una redundantem.

C’est la grosse question de l’origine des âmes. Pour l’âme d’Adam, elle est ex afflatu Dei, non de la matière : Tertullien s’en tient à cette donnée biblique : de celle d’Eve, l’Écriture ne dit rien ; il en conclut qu’elle a dû être prise d’Adam avec le coté dont Eve fut faite, comme, dans une bouture, le principe vivant accompagne la branche ; pour les autres hommes, Tertullien commence par réfuter les opinions fausses : rêveries panthéistiques, déchéances successives des gnostiques, préexistence platonicienne et métempsycose (ou metensomatosc), xxiv, xxvim-xxxv. L’âme n’a pas existé avant le corps. — L’âme ne vient pas du dehors à la naissance de l’enfant : preuves de bon sens et de foi, xxv, xxvi. — L’àme est produite au moment même de la conception, xxv, col. 693 ; cf. xxxvii.Mais comment ? De l’âme des parents, comme le corps de leur corps, xxvil. Tertullien ne voit rien de plus dans la génération humaine que dans celle de tout autre animal : confusse substantiel ambee jam in uno semina quoque sua miscuerunt… ut nunc duo, licet diversa, eliam unita pariter effluant… pariter hominem ex utraque substantia effruticent, in quo rursus semen suum insit secundum genus, sicut omni condicioni genitati prsestitutum est, xxvii, col. 696. Cette vue matérialiste rendait facile pour Tertullien la transmission du péché originel (tradux animée, tradux peccati) ; mais on aurait tort, je crois, d’en chercher la raison dans le désir d’expliquer cette transmission.

7° Rien d’étonnant après cela qu’il donne un sexe à l’âme et qu’il en cherche l’explication, xxxvi, col. 712 ; qu’il lui attribue une puberté sui generis, pubertalem animalem. C. xxxviii, col. 716. Lui donne-t-il aussi la croissance ? Oui sans hésiter. Mais si on laisse de côté sa comparaison, nécessairement matérialiste, il s’en explique fort bien, à mon sens, et je n’ai pas à ce sujet les scrupules de saint Augustin (De Gen. ad litt., x, c. ult.). « L’âme et le corps, dit Tertullien, croissent ensemble, sed diversa ralione pro generum condicione : caro modulo, anima ingenio ; caro liabitu, anima sensu. Celcrum animant substantia crescere negandum est… Sed vis ejus, in qua naturalia peculia consita retinentur, salvo subslantiæ modulo quo a primordio inflata est (songez qu’il conçoit toujours l’âme comme flatus Dei), paulalim cum carne producitur…y> Et après avoir montré la même masse d’or prenant toutes les formes et toutes les variétés accidentelles, il conclut : lia et animaicrementa reputanda, non subslantiva, sed provecliva, xxxvii, col. 715.

8° Sur l’unité du composé humain, on sait les admirables développements de Tertullien dans le traité De resurrectione earais ; je n’ai pas besoin d’y insister ; car, pour le fond, c’est ce que nous avons vu dans le traité attribué à Justin, dans Athénagore, dans Irénée. Cf. De resurreet. carnis, lui ; Decarne Christi, xii. On devine les mêmes idées dans le De anima. Il faut relever quelques traits. C’est à l’âme, non au composé, que Tertullien semble rapporter les opérations sensibles. C’est elle qui désire la nourriture, non pas pour elle mais pour le corps, comme l’hôte fait réparer sa maison. Et quand la maison tombe en ruines, l’âme s’en va saine et sauve avec ses richesses et ses propriétés à elle, immortalitatem, rationalitalem, sensualilatem, intelleclualilatem, arbilrii Uberlatem, xxxviii, col. 717 ; sensualitas semble désigner ici les facultés sensibles : elles sont donc propres à l’âme puisqu’elles restent à la mort. Cf. xii, xv, xvii ; de même, De carne Christi, XII. Mais il faut reconnaître aussi que sensus, sentire, dans ces endroits, comportent moins directement l’idée de connaissance sensible comme distincte de l’intellect que celle de perception consciente. La chair, dit-il, plus loin, est un instrument, minislerium, non un instrument comme l’esclave ou un ami inférieur, des êtres animés, mais comme une coupe ou quelque autre corps, sans âme. La coupe est au service de qui a soif ; mais si le buveur ne s’accommode la coupe, la coupe ne lui servira rien… La chair n’a rien d’humain… C’est une chose d’autre nature, d’autre condition, attachée cependant à l’âme, comme un meuble, comme un instrument pour les fonctions de la vie, xl, col. 719. Si l’on pressait ici les mots, voilà Tertullien, tout à l’heure presque matérialiste, devenu extrême platonicien. C’est qu’il veut montrer ici que la chair n’est pas mauvaise, ni pécheresse. Comme toujours il outre l’expression, il abonde dans son sens. Ne va-t-il pas jusqu’à dire que totum quod sumus animasit ? Decarne Christi, xiv, col. 755. Sa vraie pensée semble être dans le De resurrectione carnis, c. vii, col. 805 : quem… naturœusum, quem mundi fructum, quem elementorum saporem non per carnem animadepascitur’ ! quidni per quam omni instrumenta sensuum fulta est…, per quam dirina potestate respersa est, nihil non sermone perficiens vel tacite preemisso. Et sermo enini de organo carnis est ; artes per carnem ; studia, ingénia per carnem… ; atque adeo totum vivere animée carnis est…

En somme, Tertullien a très bien compris l’unité humaine et l’unité de l’âme ; très bien, le rôle de l’âme à l’égard du corps, sa nature de forme substantielle. D’autre part, il affirme clairement ses propriétés spirituelles : indépendance du corps dans son être, intelligence et raisonnement, immortalité. Mais il n’a pas vu les incompatibilités irréductibles entre certaines conditions de la matière et certaines exigences de l’esprit ; il n’a pas vu qu’une âme corporelle, qu’une âme qui se transmet par génération ne saurait être spirituelle ; en attribuant à l’âme l’opération du composé, la sensation, il lui a donné aussi les propriétés du composé.

Le De anima se trouve avec d’autres œuvres de Tertullien, dans le tome xx du Corpus scriptor. ecclesiastic. lat., Vienne, 1890, p. 298-396. Bouëdron, Quid senserit de natura animas Tertullianus, Nantes, 1861 ; Freppel, Tertullien, Paris, 1864, t. il, leçon xxxiii, xxxiv ; Mohler, Patrologie, t. ii, p. 3C4 (édit. franc.) ; Stôckl, Tertullianus de anirmt humanx natura, et De Tertulliani doctrina psychologica, Munster, 1863 ; F. A. Burchardt, Die Seclenlchre des Tertullian, Budissin, 1857 ; Laforèt, Étude pltilosophique sur Tertullien, dans Revue catiiolique, Louvain, 1869, t. xxviii, p. 154-165 ; Ch. Murton, Essai sur l’origine de l’àme d’après Tertullien, Origène et Lactance, Strasbourg, 1866 ; G. B. Hauschild, Die rationale Psychologie und Erkenntnisstheorie Tertullians, Francfort-sur-le-Mein, 1880 ; G. Essel, Die Seelenlehre Tertullians, Paderborn, 1893 ; Schwane, toc. cit., 1. 1, g 24 (bon résumé). « La meilleure exposition des vues philosophiques de Tertullien, dit Ueberweg, t. ii, p. 78, est encore celle de Bitter. » Ceci ne s’applique pas à l’exposé de ses vues sur l’àme.

VII. Clément d’Alexandrie.

Avec Clément d’Alexandrie, la philosophie platonicienne se mêle intimement à la révélation. Il faut reconnaître que ni l’expression n’y gagne en clarté, ni la pensée en précision — si bien qu’on dispute encore sur le sens vrai de Clément. Clément admet-il une âme distincte de l’esprit" ? Le vrai gnostique, dit-il, « s’élève contre l’âme corporelle, il met le frein à l’esprit sans raison qui s’emporte, car la chair convoite contre l’esprit. » Slrom., vii, 12, P. G., t. ix, col. 505. De cette expression où la Bible et Platon se coudoient, on ne peut rien conclure. Rien non plus de ses exhortations ascétiques à dégager l’esprit « de la peau matérielle et des désirs de la chair ». Ibid., v, 11, col. 101 ; cf. vii, 11, col. 488. Mais voici qui est plus difficile. Après avoir montré toute chair périssant dans le déluge : « L’élément subtil, l’âme, ne pouvait rien avoir à souffrir de l’élément plus épais, l’eau, elle si subtile et si simple qu’on la nomme incorporelle ; mais l’élément épais, épaissi par le péché, celui-là est rejeté avec l’esprit charnel, celui qui convoite contre l’esprit. » Slrom., VI, 6, col. 273. N’y a-t-il