Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/520

Cette page n’a pas encore été corrigée

989

AME. DOCTRINES DES TROIS PREMIERS SIÈCLES

900

ses devanciers la trace et des idées alors courantes chez les platoniciens sur ce fameux véhicule de l’âme (o-/r)jj.a) et de l’opinion passée comme en axiome qu’il n’y a pas de corps sans âme, non plus que d’âme sans corps, on les voit — lui surtout — préoccupés de deux points : l’union intime, substantielle entre l’âme et le corps, la persévérance de l’âme après la mort, mais une persévérance où elle peut souffrir (du feu, par exemple, dit Tertullien), où elle ne perd rien de son individualité, rien de ses relations avec le corps qu’elle anima, et avec son passé, rien de son aptitude à se réunir à ce même corps pour reconstituer lemême homme. De anima, c. v, vu. Cf. De resurrect. carnis, vii, col. 803 ; xvii, col. 817 ; lui, col. 873 ; lvi, col. 877. Cf. Irénée, l. II, c. xix, n. 7 ; c. xxxiv, n. 1.

Ils crurent ne pouvoir sauvegarder toutes ces vérités qu’en disant l’âme corporelle. Ils n’eurent tort qu’à moitié. Les scolastiques ne disent-ils pas au fond la même chose quand ils soutiennent que l’âme est la forme du corps ? A tel endroit, où il serre de près la question, il s’en faut de peu que Tertullien ne s’explique comme eux : « Si elle est corps, lui dit-on, est-elle corps animé ou inanimé ? » « Ni l’un ni l’autre, reprend Tertullien, c’est elle qui, par sa présence, rend le corps animé ; par son absence, inanimé. Elle ne peut être elle-même son effet et on ne peut dire d’elle ni qu’elle est animée, ni qu’elle est inanimée. Elle est âme : voilà son nom de substance, » v, col. 654. Cf. De resurrect. carnis, lui, col. 873. Voilà l’idée fondamentale de substance incomplète que les scolastiques poliront ; Tertullien n’a pas réussi à l’exprimer ni à la dégager de sa gangue symbolique. Il est juste de reconnaître que c’est elle qu’il entrevoyait. Et de là la solution d’une question délicate. Tertullien veut-il dire que l’âme a ce corps sui generis, ou qu’elle est elle-même ce corps. A ne regarder que les mots, on ne peut rien conclure de certain : car si l’ensemble des expressions suggèrent la seconde idée, quelques-unes semblent mieux s’entendre de la première. On en a profité pour dire qu’il tenait l’âme pour spirituelle tout comme nous, mais que seulement il lui unissait indissolublement un corps éthéré, double quasi spirituel du corps matériel que nous voyons. Cette solution couperait court à bien des difficultés. Mais elle n’est pas selon la pensée de Tertullien : il suffit de lire attentivement les textes cités pour s’en convaincre ; on pourrait le conclure aussi bien de la nature et des données du problème qu’il cberchait à résoudre. On conçoit, du reste, quelques indécisions d’expression et quelques incohérences, en matière si délicate et si étrange ; encore celles que l’on pourrait signaler ici sont-elles minimes et se résolvent-elles à un examen plus attentif.

Substantia simplicem, de suo sapientem, ralionalem.

Les premiers mots étonnent d’abord, après ce que nous avons vu sur la corporéité de l’âme. L’abbé Freppel, loc. cit., p. 354, en profite pour conclure que Tertullien n’a pas pu avoir l’idée qu’on lui prête, puisqu’il y aurait contradiction évidente. Il n’y a pas plus de contradiction en soi qu’il n’y en a à. dire avec nombre de scolastiques que l’âme des bêtes est simple et que cependant elle est une forme corporelle. L’auteur nous dit comment il entend cette simplicité : singularis alioquin et simplex et de suo tota est ; non magis structilis (il y a dans Migne instructilis) aliunde quam divisibilis ex se, quia nec dissolubilis. Si enim structilis, et dissolubilis. C. xiv, col. 668. Mais c’est plutôt autre chose que Tertullien veut mettre en relief : il veut montrer l’unité substantielle de l’âme, l’identité entre l’âme, principe de vie, et l’esprit (que Tertullien entend, selon l’étymologie, comme principe de respiration, tout en distinguant nettement de ce principe intérieur l’inlluence divine ou diabolique), cela contre les rêveries gnostiques, c. x, xi, col. 661-666 ; montrer que l’âme, principe vital, et le principe intellectuel, qu’il appelle animus ou mens (le voû ; des Grecs), ne sont pas distincts comme des substances ou des parties de substance, mais comme la substance et sa fonction : Nos animum ita dicimus animée concretum, non ut substantia alium, sed ut substantiel of/icium. Plus loin, il les compare comme l’agent et l’instrument. C. xiii. Il faut en dire autant des partie ? que les philosophes attribuent à l’âme. Il y faut voir non pas tant des parties que des forces, des énergies, des fonctions, non tam partes animai habebuntur quam vires et efficaciee et opérée. C. xiv, col. 668. Dans l’orgue hydraulique, c’est un même souffle qui se distribue et agit partout, substantia quidem solidus, opéra vero divisus. Ainsi l’âme in totum corpus defusa, et ubique ipsa, velut (latus in calamo per cavernas, ita per sensualia twiis modis emicet non tam concisa quam dispensala. C. xiv, col. 669. Entrant à la suite des philosophes dans l’examen de ces énergies de l’âme, de ces parties potestatives, comme dira l’École, le puissant psychologue chrétien intercale avec plus ou moins de bonheur la théologie chrétienne au milieu des explications des philosophes : mettant l’riYEfvovixov (principale animée) dans le cœur (à cause des textes bibliques où le cœur intervient), c. xv, col. 670 ; « retouchant » les divisions platoniciennes sur le raisonnable et le non raisonnable en l’homme, pour faire sa place au péché originel et dire un mot des passions dans le Christ, réelles mais réglées par la raison, xvi, col. 672 ; soutenant vigoureusement la véracité des sens, au nom de la foi comme de la raison : non licet, non licet nobis in dubium sensus istos devocare, xvii, col. 674 ; soucieux avant tout de maintenir la « principauté » de l’âme et l’unité du sujet connaissant, quee perinde per corpus corpuralia sentiat quemadmodum per aninium incorporalia intclligal, salvo eo, ut etiam sentiat, dum intclligit, au point de paraître fondre en un — quoiqu’il ne le fasse pas — la sensation et l’intellection, et de s’ingénier à découvrir des avantages à la sensation, fût-ce au détriment de l’intellection. Il y a là, d’ailleurs, à côté de termes inexacts et d’exagérations polémiques, des formules heureuses et des vues qui annoncent la scolastique, xviii, col. 677. N’est-ce pas le lieu de signaler une des plus belles idées de Tertullien, sur laquelle il est revenu lui-même à plusieurs reprises, celle de la rectitude naturelle de l’âme ? Il ne nie pas le péché originel ; mais, dit-il, le fond de l’âme reste bon, il est « naturellement chrétien », et de là son témoignage spontané, que Tertullien recueille dans le langage populaire, à l’existence de Dieu, à son unité, à la survivance des âmes. De came Christi, xii, col. 774 ; De anima, xli, col. 720 ; Apologet., xvii, 1, col. 375 ; De testimonio animée, I, col. 607. Cf. Freppel, Tertullien, t. i, leçon 9.

Pas un moment, ajoute Tertullien, l’âme ne se trouve sans l’intelligence, elle naît cum omni instruciu suo ; et après une page charmante de poésie à la fois et de psychologie enfantine où, sous l’outrance trop ordinaire de l’expression, se cache une pensée fort exacte, c. xix, col. 680, il conclut : omnia naturalia animas, ut substantiva ejus, ipsi inesse, et cum ipsa procedere atque proficere. C. xx, col. 682.

Varie procedentem, accidentiis obnoxiam, per ingénia mutabilem.

De même que chacun a son âme une et bien à lui qui se développe et progresse, de même toutes les âmes humaines sont de même espèce ; les différences tiennent aux mille circonstances de temps, de lieu, de constitution physique, de culture : autant d’influences décrites en quelques mots de façon hardie et pittoresque. C. xx, col. 682 ; cf. xxxvii.

Traits divers.

Il suffit de signaler — et Tertullien lui-même n’y insiste pas ici — les autres traits que l’auteur donne à l’âme : liberté, don de divination, partie naturelle (les scolastiques recevront des Pères cette idée des anciens et ne la repousseront pas), partie sur-