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AME. DOCTRINES DES TROIS PREMIERS SIÈCLES

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l’intermédiaire entre les deux, l’âme ; et celle-ci parfois suit l’Esprit et est élevée par lui, parfois condescend à la chair et s’abaisse aux convoitises terrestres. Tous ceux donc qui n’ont pas le principe salutaire et formateur uni à eux, ceux-là sont et seront appelés chair et sang (dont l’apôtre a dit qu’ils ne posséderont pas le royaume de Dieu) ; car ils n’ont pas en eux-mêmes l’Esprit de Dieu. C’est pour cela aussi que le Seigneur les a nommés des morts, Luc, ix, 60 ; car ils n’ont pas l’Esprit qui vivifie l’homme. » L. V, c. ix, n. 1, col. 1144. Le saint auteur revient sans cesse sur ces idées aux c. ix, x, xi, xii du même livre. Cꝟ. l. II, c. xxxiii, n. 5, où il montre les élus ressuscitant « avec leurs propres corps, leurs propres âmes, leurs propres esprits (entendez avec leur principe de vie supérieure, la grâce et l’Esprit-Saint) tandis que les réprouvés vont à la peine avec leurs propres âmes, eux aussi, et leurs propres corps, avec lesquels ils s’étaient éloignés de la divine charité. »

Préface de dom Massuet, diss. III, a. 9, n. 117 sq.. P. G., t. vii, col. 373 sq. ; Schwane, 1. 1, § 53, l, p. 324 sq. ; dom Le Nourry, Apparatus, diss. VI, c. ix, p. 600 ; Korber, Irenseus de gratia sanctiftcante, Wurzbourg, 1865.

Cette longue suite de textes ne montre pas seulement saint Irénée indemne de tout trichotomisme ; elle nous permet de mieux entendre certains mots de Justin et de Tatien sur l’esprit vivilicateur, qui sont comme la première ébauche de la belle exposition du saint docteur ; elle nous fait voir combien sont justes et profondes ses idées sur la distinction du naturel et du surnaturel, sur l’union admirable de l’âme et du corps.

Où Irénée semble se tromper tout comme Tatien, c’est sur le corps éthéré qu’il paraît supposer à l’âme et aux esprits comme enveloppe inséparable. Plus d’une fois, il est vrai, il dit que l’âme est esprit, qu’elle est incorporelle, l. V, c. vi, n. 1, col. 1137 ; l. V, c. vii, n. 1, col. 1140 ; mais incorporelle, dit-il, quantum ad comparationem mortalium corporum. Il admet que l’âme est immortelle, mais il r’en donne pas la même raison que pour l’Esprit. « L’âme, dit-il, ne saurait mourir, /latus est enini vitx ; ni l’Esprit non plus, incompositus est enim et simplex spiritus, qui resolvi non potest, et ipse vita est eorum qui percipiunt illum. » L. V, c. vii, n. 1, col. 1140. Sur cette corporéité de l’âme, d’ailleurs, il ne s’exprime pas clairement, mais il semble la supposer : « Les âmes, dit-il, ont la forme, figuram, du corps qui les reçoit, elles s’y adaptent comme l’eau au vase. » L. II, c. xix, n. 7, col. 774. Il dit plus loin : « Le Seigneur nous a pleinement enseigné (dans l’histoire de Lazare et du mauvais riche) non seulement que les âmes survivent et sans passer d’un corps à l’autre ; mais encore qu’elles gardent l’empreinte du corps où elles se moulent, sed et characterem corporis in quo adaptantur custodire eumdem, et qu’elles se souviennent… » 11 le montre en rappelant divers traits du récit évangélique, et conclut : « Par là nous voyons clairement et que les âmes survivent et ne passent pas de corps en corps, et gardent l’empreinte humaine, et hominis habere figuram, de façon à être reconnaissables et à se souvenir d’ici-bas. » L. II, c. xxxiv, n. 1, col. 834, 835. On peut discuter le sens précis de ces paroles, y voir même, si l’on veut, cet ordre transcendant de l’âme au

  • corps qu’elle informe, dont nous parlent les scolastiques,

et par lequel, selon saint Thomas, elle se distingue des âmes de même espèce. Elles s’expliquent mieux, si je ne me trompe, dans l’hypothèse d’une substance fluide, qui est l’âme même ou qui est inséparable de l’âme ; pendant qu’elle est dans son corps mortel, cette substance fluide s’adapte au corps, comme l’eau au vase ; quand elle le quitte, elle en garde la forme, comme l’eau glacée celle du vase où elle gela (la comparaison est d’Irénée lui-même, l. II, c. xix, n. 7, col. 774). C’est le sens que suggèrent les passages parallèles, comme ce parait avoir été la pensée de Tatien, xv, P. G., t. vi, col. 837 ; cf. préf. de dom Massuet, diss. III, a. 10, col. 377. Dom Le Nourry, Apvaratus, diss. VI, c. ix, § 1, p. 606.

Cette opinion d’Irénée sur le corps de l’âme n’ôte rien à la netteté avec laquelle il suppose ou affirme ce que nous appellerions la spiritualité de l’âme. Là même où il revendique le plus vigoureusement la participation de la chair aux dons surnaturels, et partant à la résurrection, il distingue les rôles sans la moindre indécision. Et d’abord l’âme seule peut recevoir l’Esprit et ses dons, le corps n’y participe que par l’intermédiaire de l’âme : Perfeclus… homo commistio et adunitio est animée assumentis Spiritum Patris, et admista. .. carni. L. V, c. vi, n. 1, col. 1137. Sunt tria ex quibus… perfeclus homo constat, carne, anima et spiritu : et allero quidem salvanle et figurante, qui est Spiritus ; altero quod unitur et formatur, quod est caro ; id vero quod inter hsec est duo, quod est anima. L. V, c. ix, n. 1, col. 1144. Cꝟ. l. V, c. vi, n. 1, col. 11371138 ; l. V, c. ix, n. 4, col. 1146 ; I. V, c. xii, n. 2, col. 1152. Ensuite l’âme est immortelle par nature (non pas, explique d’ailleurs Irénée, après Justin et Tatien, d’une immortalité essentielle comme celle de Dieu, l. II, c. xxxiv, n. 2, 3, 4, col. 835 sq.), tandis que le corps, après sa dissolution, recevra l’immortalité par grâce. L. V, c. vii, n. 1, col. 1140. Enfin il attribue à l’âme une existence et des opérations indépendantes du corps qu’elle anime, soit en cette vie, soit en l’autre. L. II, c. xxxiii, xxxiv, col. 838 sq.

Irénée n’a pas affirmé en termes exprès la création des âmes. Mais il combat vigoureusement leur préexistence. L. II, c. xxxiii, col. 830. Il montre Dieu donnant généreusement une âme à chacun, comme il lui donne un corps. L. II, c. xxxiii, n. 5, col. 833. Il entend de chaque âme le récit de la Genèse sur le souflle de Dieu animant le limon. L. V, c. iii, n. 2, col. 1129 ; l. V, c. vii, n. 1, col. 1140 ; l. V, c. xii, n. 2, col. 1152 ; l. V, c. vi, n. 1, col. 1137. Peut-on conclure qu’il expliquait l’origine des âmes par création proprement dite ? ou bien ne se posa-t-il pas la question dans toute sa précision ?

Klebba. Die Anthropologie des hl. Irenxus, cité par Pesch, t. iii, n. 118 ; F. Cabrol, La doctrine de saint Irénée et la critique de M. Courdaveaux, dans Science cathol., 1891, t. v, p. 305309. Ajouter Massuet, Le Nourry, Schwane, Korber déjà cités.

VI. Tertullien.

Avec Tertullien, nous rencontrons le premier traité de l’âme que nous ait légué l’antiquité chrétienne. Une telle œuvre d’un tel maître ne saurait être que très intéressante pour l’histoire du dogme. L’auteur est déjà montaniste, et l’on s’en aperçoit à son animosité contre les philosophes comme à son goût pour les opinions singulières et exagérées. Mais quelle érudition, quel esprit philosophique, quelles vues profondes et justes sur la nature humaine ! C’est toute une histoire de l’âme, dit l’abbé Freppel, t. il, p. 392, depuis son origine jusqu’à sa séparation d’avec le corps. Ces* plus encore, un véritable traité De anima où sont touchées toutes les questions de sa nature, de son origine, de son union avec le corps, de ses destinées. L’auteur résume lui-même les deux tiers de son traité en une phrase : Dcfinimus animam Dei flatu natam, immortalem, corporalem, ef/igialam, substanlia simplicem, de suo patientent, varie procedentem, accidentiis obnoxiam, per ingénia mulabilem, rationalem, dominatricem, divinatricem, ex una redundantem. De anima, xxii, P. L., t. ii, col. 686. Reprenons chaque mot.

Definimus, non pas, dit Tertullien, d’après les opinions des philosophes, mais d’après les règles de la foi, revocando quæstiones ad Dei litteras, il, col. 650, sans d’ailleurs s’interdire le recours à la philosophie et même à la physiologie médicale. Ibid. — Dei flatu natam, c’est la donnée biblique, excluant une double erreur, celle d’Hermogène, qui fait venir l’âme de la matière,