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AME. DOCTRINES DES TROIS PREMIERS SIÈCLES

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En attendant, les gnostiques vont tout brouiller, tout ramener en arrière, retomber bien au-dessous de Platon et d’Aristote, avec leurs deux principes, l’un bon qui se montre dans l’âme intelligente, l’autre mauvais qui domine dans le corps et dans la partie sensible ; avec leur division des hommes en pneumatiques, psychiques, hyliques, selon la prévalence du principe spirituel, animal, matériel ; avec leur trichotomie, conséquence de la distinction essentielle qu’ils mettent entre l’âme sensible et l’âme spirituelle, irréconciliables entre elles comme le bon et le mauvais principe dont elles émanent respectivement. D’ailleurs, l’âme spirituelle elle-même n’est pas crééede Dieu, ni à son imageetressemblance ; elle est l’œuvre ou l’émanation d’un éon inférieur. Cf. Schwane, Dogmengesclàchte, 2e édit., t. i, § 51.

III. Tatien.

Comme auteur du DTpô ; ’EMr)va ; , Aux Grecs, Tatien est-il, dans ses doctrines sur l’âme, plus près de Justin, son maître, ou des gnostiques, auxquels il finira par s’allier ? Les anciens Pères, qui l’ont loué et imité, ne lui reprochent rien ; beaucoup de critiques le trouvent orthodoxe, entre autres dom Maran, Mohler, Freppel ; en revanche Petau, Huet, Dupin lui sont sévères ; la plupart des Allemands trouvent chez lui toutes les erreurs. Cf. Freppel, Les apologistes chrétiens au {{rom-maj|II)e siècle, leçon II, p. 35. Schwane, t. I, § 52, regarde comme évident que son anthropologie a des teintes gnostiques, p. 323. Voici les textes ; on verra combien l’expression est souvent flottante encore entre une vérité peu familière et une erreur toute voisine. Esprit et matière, tout est de Dieu : « Dieu est esprit, non pas cet esprit qui pénètre la matière, mais l’auteur des esprits matériels et des formes de la matière, où oirjxtov (texte de Schwartz), Sià -rr ( ; O^vjç, nveuixaTwv 8s û), txâ>v xoù xtov èv au™ <r/_t]t.ixT : u>v xarao-xs-jaarvîc ; invisible, intangible, il est le père du sensible et de l’invisible… L’esprit qui pénètre la matière est au-dessous de cet esprit plus divin ; étant plutôt semblable à une âme, tyuyît 7taptofj.oiiop.svov, on ne doit pas l’honorer à l’égal du Dieu parfait. » C. IV, P. G., t. vi, col. 813. Le Verbe, esprit engendré du Père, est le démiurge du monde : il a fait la matière, c. v, col. 817 ; il a fait les anges, « il a fait l’homme sur le modèle du Père qui l’a lui-même engendré’, image de son immortalité, afin que comme Dieu a l’immortalité, de la même façon, l’homme, ayant reçu une portion de Dieu, ait aussi l’immortalité. » C. vii, col. 820. Qu’est-ce que cette portion de Dieu communiquée à l’homme ? La suite nous l’explique : « Quand l’homme eut suivi l’ange déchu, la vertu du Verbe le priva de sa familiarité. Et celui qui avait été fait à l’image de Dieu, quand s’est retiré de lui l’esprit plus puissant, devient mortel. » C. vii, col. 821. Ceci va s’éclaircir : « Nous savons, nous autres, qu’il y a deux sortes d’esprits ; l’un s’appelle âme, l’autre est supérieur à l’âme, il est l’image et la ressemblance de Dieu. Les deux se trouvaient dans les premiers hommes de façon qu’ils étaient partie matériels (OXi-xot), partie supérieurs à la matière ». C. xii, col. 829. Cette âme inférieure est partout dans le inonde, mais plus ou moins parfaite. Car ce monde n’est pas seulement une matière diversifiée à l’infini par la puissance de son auteur : « il a reçu, par la volonté de son démiurge, un esprit matériel. » Tous les êtres sont faits de cette matière et de cet esprit (71vs’jfj.a- : o ; ûXtxoû). Ainsi les anges mêmes « viennent de la matière, yeyovôxa ; i vXrjç ». D’autre part, l’esprit est partout : « Il y a esprit (7tvsûjj.a sans article) dans les astres, esprit dans les anges, esprit dans les plantes et les eaux, esprit dans les hommes, esprit dans les bêtes ; un et identique, il se diversifie lui-même. » Or Tatien, en cela, ne prétend qu’exprimer la doctrine révélée ; car il ajoute aussitôt : « Nous disons cela, non de bouche, ni selon des probabilités imaginées par nous, ni d’après les procédés de la sophistique, mais dans les termes d’une parole plus divine, 6sioxépa ; èi tivo ; Èx910vi, as<o ; ), 6yoi ; . » C. xii, col. 832. J’omets ce qui regarde la vie future, pour arriver à la conclusion de l’auteur : « Il faut que nous recherchions à présent ceque nous avons perdu, que nous unissions notre âme au Saint-Esprit, et que nous réalisions l’union en Dieu, TT|V xaià ©sôv aus’'T’av L’âme humaine est donc composée (7ro), u[X£pr |( ; ) et non simple (ij.ovofj.spr, ; ). Car elle est composée (av/Os-rr]), de façon à être visible par un corps (ôtà ovôfiaTo ; ). Car elle ne saurait être visible sans corps, et la chair ne ressuscite pas sans âme. Car l’homme n’est pas seulement, comme dogmatisent les corbeaux (ot xopaxôcptovot), un animal raisonnable, capable d’esprit et de science, Çcôov Xoyixôv, vov xa E7UTTr’, fj.r] ; osxrcxôv ; car on leur montrerait d’après cela les bêtes aussi, .xai ta à’Xoya, capables d’esprit et de science. Mais l’homme seul est l’image et la ressemblance de Dieu. J’entends non pas l’homme qui agit comme les bêtes, mais celui qui, loin de l’humanité’, s’approche de Dieu même. C’est un point dont j’ai traité avec plus de soin dans le IIspi Ç<ô<ov. Mais j’ai à dire ici ce qu’est cette image et cette ressemblance avec Dieu… Le Dieu parfait est sans chair, l’homme est chair ; le lien de la chair, c’est l’âme, mais la chair contient l’âme. Or cet assemblage, s’il est comme un temple, Dieu veut y demeurer par l’envoi de son esprit. Mais si la demeure n’est pas cela, l’homme ne l’emporte sur les bêtes que par la voix articulée ; pour le reste, il vit comme elles, x>, ç aùxr) ; Èxsivot ; cialir^ ÈTTiv, n’étant pas la ressemblance de Dieu. » C. xv, col. 840. De là l’auteur passe au corps des démons, corps « spirituel, comme de feu ou d’air », visible à ceux qui sont gardés par l’esprit de Dieu, mais non, sauf par extraordinaire, aux psychiques. Voilà, sur le sujet qui nous occupe, une vue d’ensemble des textes qui peuvent nous aider à saisir la pensée de Tatien.

Placé entre Justin et Irénée, sa doctrine reflète la même préoccupation de se distinguer de la doctrine des païens. Il insiste donc sur la communication du Saint-Esprit à l’àme ; mais tandis que Justin y voyait un ornement supérieur de l’àme intelligente, vo-j ; àyt’to Tivs’jp.a-t xsxoo-jj.rjij.svo ; , JDiaL, c. IV, col. 484, lui semble parfois en faire un complément essentiel de l’âme. ; tandis que l’auteur du traité De la résurrection entend que l’homme est à l’image de Dieu même selon le corps, c. vii, col. 1588, lui ne l’entend que selon le Saint-Esprit. Non pas d’ailleurs qu’il ne fasse pas la distinction de l’homme et de la bête, sa boutade contre la définition philosophique de l’homme — que l’on trouverait bien le moyen, dit-il, d’appliquer aussi aux bètes — et son expression dédaigneuse sur le psychique, distinct des animaux par la seule voix articulée, puisque leur vie est la même, prouveraient plutôt le contraire. Nie-t-il la simplicité de l’àme. Oui en un sens ; mais auquel ? Qu’entend-il par cette composition qui lui permet « d’être visible par le corps » ? Ce qui paraît sûr, c’est qu’il n’est pas question ici de parties quantitatives : la distinction de l’âme et du corps est trop nette chez lui pour qu’on puisse, sans parler des autres raisons, lui prêter pareille erreur. A défaut de son IIsp’i Çuxov, qui sans doute nous eût éclairés, il faut voir là soit une allusion au corps éthéré que Tatien donne aux anges, et que, sans doute, il donnait aussi à l’âme ; soit une façon un peu singulière de désigner la composition de l’âme et du corps en un tout à divers membres, soit quelque chose d’analogue à ce qu’on a depuis appelé les parties potentielles de l’âme. Si par ailleurs il fait mourir les âmes qui n’ont pas le principe de la vie vraiment spirituelle, le Saint-Esprit, ce n’est pas pour nier toute survie. C’est sous des influences platoniciennes, je suppose, que Tatien en est venu à voir tous les êtres comme composés de matière et d’esprit. Ce qu’il entendait au juste par là, comme aussi en quel sens il parle d’origine matérielle pour les anges, ce n’est pas le lieu de le définir. Tout en ramenant l’âme comme le corps à l’opération du verbe démiurge, Tatien n’a rien de précis sur l’origine de l’âme