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ABERCIUS — ABERLÉ

le voyage de saint Polycarpe, en 154, au sujet de la Pâque, aurait son pendant dans celui d’Abercius, vraisemblablement au sujet du montanisme. Abercius, en effet, dans la controverse montaniste, occupe un rang à part, non qu’il ait convoqué un concile comme Sotas, évêque d’Anchialus en Thrace, ou Apollinaire, évêque d’Hiéropolis en Phrygie, pour condamner Montan et ses sectateurs, mais parce que, à l’exemple de Zoticus de Comane, de Julien d’Apamée, de Méliton de Sardes, de Sérapion d’Antioche, il a pu intervenir personnellement dans le débat, ce que nous ignorons. En tout cas c’est à lui que sont adressés trois livres sur la discussion publique qui eut lieu, à Ancyre, entre l’anonyme d’Eusèbe, H. E., v, 16, P. G., t. xx, col. 464 sq., et les montanistes. C’était donc un évêque de valeur et sa visite à Rome, quel qu’en ait été le motif, n’est pas sans importance.

2° Le symbolisme de l’Ἰχθύς a déjà été signalé ; c’en est ici la plus ancienne référence. On sait que les cinq lettres de ce nom forment l’acrostiche de cette formule chrétienne : Ἰησοῦς Χριστός Θεοῦ Υιὸς Σωτήρ ; on sait aussi que l’Ἰχθύς est une allusion au baptême et à l’eucharistie. Au baptême d’abord, car il est l’eau salutaire, où l’homme purifié, régénéré, devient le pisciculus secundum Ἰχθύν de Tertullien, pris par les apôtres, « pêcheurs d’hommes, » dans « le filet » de l’Église. Clément d’Alexandrie conseillait aux chrétiens de son temps de faire graver l’image de l’Ἰχθύς sur leurs anneaux et de ne pas oublier leur origine. Et les Pères ont fait de l’Ἰχθύς l’objet d’applications morales multipliées. À l’eucharistie ensuite ; car, dans les deux multiplications des pains, figures de l’eucharistie, ainsi que dans les deux repas de Notre-Seigneur ressuscité avec ses disciples, figurait le poisson. Il figura également sur les vases sacrés, les lampes, dans les peintures des catacombes. Jésus-Christ est l’Ἰχθύς ; d’où enfant de l’Ἰχθύς, comme le dit saint Jérôme de Bonose, et disciple de Jésus-Christ sont synonymes dans la langue chrétienne. Le fidèle est de la race de l’Ἰχθύς, comme le rappelle l’inscription de Pectorius. De même, recevoir l’Ἰχθύς et communier sont synonymes.

3° La communion c’est la τροφή de l’inscription, la nourriture sacrée, donnée aux « amis », composée de l’οἶνος et de l’ἄρτος, du mélange mystérieux, κέρασμα ; langage qui rappelle celui de saint Justin dans sa description de la synaxe, celui de la Didaché à propos du κλάσμα, et qui était parfaitement intelligible pour les fidèles.

4° Si la παρθένος ἁγνή doit s’entendre de Marie, mère du Verbe incarné, et non de l’Église, c’est une allusion au mot du symbole, et une preuve de la croyance primitive des chrétiens à la perpétuelle virginité de Marie, telle qu’on la retrouve sous la plume de saint Ignace et de saint Irénée.

5. Enfin la demande de prières faite à tout συνῳδός, en faveur d’Abercius est strictement chrétienne : c’est l’expression même de la prière pour les morts, comme on en voit tant d’exemples dans la littérature et l’épigraphie du iiie siècle. Antérieurement à Tertullien, on ne trouverait à citer que l’épitaphe d’Abercius, si nous n’avions dans les Acta Pauli et Theclæ ce curieux passage où une jeune fille, qui est morte, apparaît en songe à sa mère Trifina et lui demande que Thécla consente à prier pour elle et que, grâce à la prière de la martyre, elle puisse passer au lieu du rafraîchissement. Le vœu de la fille de Trifina est exactement le même que celui d’Abercius. Or pareil vœu est spécifiquement chrétien. Wilpert a montré que les prétendus sentiments de cette espèce, prêtés à des inscriptions païennes, sont une illusion de M. Ficker : l’épigraphie païenne, au témoignage de Gatti, ne connaît pas un seul exemple de prière pour les défunts. Wilpert, Fractio partis, p. 110.

Tillemont, Mém. hist. eccl., Paris, 1701, t. ii ; Boissonade, Anecdota græca, Paris, 1833, t. v ; dom Pitra, Spicilegium Solesmense, Paris, 1855, t. iii ; Acta sanctorum, t. viii octobris, 1858 ; Ramsay, dans Bull, corresp. hellénique, 1882, t. vi sq. ; Duchesne, dans Bulletin critique, 1882, t. iii, 1894, t. xv ; Revue des quest. historiques, 1883, t. xxxiv ; Mélanges d’archéologie et d’histoire, Rome, 1895 ; De Rossi, Inscriptiones christianæ, 1888, t. ii ; Bull. di archeologia cristiana, 1894 ; J. Wilpert, Principienfragen der christlichen Archäologie, Fribourg-en-Br., 1889 ; Lightfoot, Apostolic Fathers, Londres, 1885, t. ii ; Zalm, Forschungen zur Geschichte des N.-T. Kanons, Erlangen, 1893, t. v ; Harnack, Zur Abercius-lnschrift, Leipzig, 1895 ; Dieterich, Die Grabschrift des Aberkios, Leipzig, 1896 ; S. Reinach, dans Rev. crit., 1896, p. 447 ; Analecla bollandiana, 1894, t. xiii ; 1896, t. xv ; 1897, t. xviii ; P. Lejay, dans Rev. du clergé franç., 1897, t. xii ; P. de Grandmaison, dans les Études, 1897, t. lxxi, p. 433 ; Dict. d’arch. chrét., t. i, col. 66-87.

G. Bareille.

ABERLÉ (d’) Maurice, professeur d’Écriture sainte (Nouveau Testament) et de théologie morale à la faculté de théologie catholique de Tubingue. Né à Rottum en Wurtemberg, le 25 avril 1817, il fit ses études de philosophie et de théologie à Tubingue sous la direction des professeurs Drey, Kuhn, Hefele, Welle, etc., fut nommé en 1815 professeur au collège d’Ehingen, en 1848 directeur du Wilhelmstift, en 1850 professeur à l’université de Tubingue, où il mourut subitement le 3 novembre 1875. Doué d’un grand don d’assimilation, d’un esprit judicieux et critique, préparé à son enseignement par de sérieuses études philologiques et historiques, de plus parfaitement au courant de la littérature biblique protestante, il fut un des premiers qui tenta non sans succès de faire revivre dans l’Allemagne catholique, presque exclusivement préoccupée jusqu’alors de la défense de ses intérêts publics, l’étude approfondie des sources bibliques de la théologie et de l’Écriture sainte. Une série d’articles importants parus dans la Revue théologique de Tubingue et l’Encyclopédie théologique de Wetzer et Welte (1re édit.) et l’Introduction au Nouveau Testament, publiée et complétée après la mort de l’auteur par le professeur Schanz, nous révèlent la tendance de son esprit et de ses recherches scientifiques. Sans vouloir diminuer en rien le caractère surnaturel des écrits du Nouveau Testament, il s’efforça de découvrir les liens cachés qui les rattachent au milieu historique, à l’atmosphère religieuse, scientifique, politique et sociale de l’époque où ils ont paru. Ses études portèrent notamment sur les livres historiques. Dans ses travaux sur l’origine et le caractère historique des Évangiles, sur les époques de l’historiographie du Nouveau Testament, sur le jour de la sainte Cène, etc., les idées originales, les aperçus nouveaux, les habiles combinaisons, les constructions quelquefois hasardées, les conclusions tirées avec une pénétrante sagacité de prémisses parfois plus ingénieuses qu’inébranlables, nous montrent en lui le critique et l’exégète moderne, convaincu que « les trésors de notre foi n’ont rien perdu de leur valeur vis-à-vis de la science du jour, mais qu’on manquerait à son devoir en se contentant pour les défendre des armes du passé ». Aberlé fut un initiateur. C’est le secret de sa force et de sa faiblesse. Il tenta la conciliation entre les exigences de la critique moderne et les données positives de la science biblique catholique. Il se vit souvent attaqué par deux camps opposés. « L’acier lui manqua, » dit de lui un de ses biographes, pour soutenir cette double lutte dans des publications plus étendues. Plus encore que par ses écrits, ce fut par son enseignement moral, continué jusqu’à sa mort avec un succès toujours croissant ; plus que par les résultats positifs de sa critique, ce fut par les problèmes qu’il suscita, les horizons qu’il ouvrit, les impulsions qu’il donna aux esprits, qu’Aberlé exerça sur les études bibliques une forte et durable influence.

Comme professeur de théologie morale, il prit part d’un côté au mouvement qui, vers la fin de la première moitié du siècle, substitua la « vieille morale » à la morale vague et sans sève de la période joséphiste. Il défendit entre autres avec succès le probabilisme de saint