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AMAURY DE BENE

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que Dieu est appela la fin de toutes choses parce que toutes choses doivent retourner en lui pour y reposer immuablement. Et de même que la nature d’Abraham n’est pas autre que celle d’Isaac, mais que la même nature leur est commune à tous deux ; de même, selon Amaury, tous les êtres sont un seul être et tous les êtres sont Dieu. Il soutient, en ellet, que Dieu est l’essence de toute créature et l’être de toute chose. Il enseigne encore que comme la lumière ne s’aperçoit pas en elle-même, mais dans l’air, de même Dieu ne saurait être vu en soi ni par l’ange, ni par l’homme ; il ne peut être contemplé que dans ses créatures. — C’était encore une des thèses d’Amaury que, sans le péché, la distinction des sexes n’aurait pas eu lieu, mais que les hommes se seraient multipliés en dehors des lois ordinaires de la génération, à la manière des anges, et qu’après la résurrection, les deux sexes seront de nouveau réunis, comme ils l’ont été à la création. Martin Polonus, Chronicsn, Anvers, 1 57 i, p. 393 sq. Cf. Ch. Jourdain, Mémoire sur les sources philosophiques des hérésies d’Amaury de Chartres et de David de Dinan, dans Mémoires de l’acad. des inscript, et belles-lettres, t. xxvi b, p. 471. — Nicolas Triveth, Chronicon Nicolai Trivetti, dans le Spicilège de d’Achéry, Paris, 1723, t. iii, p. 184 ; le cardinal Henri de Suze, Apparalus in décret. Gregorii. i, 1, 2 au mot Reprobamus ; cf. Deniile, Chartularium, etc., t. i, p. 107, note 1 ; le chancelier Gerson, Gersonii opéra, Anvers, 1706, t. iv, col. 826, attribuèrent les mêmes doctrines à maître Amaury de Chartres. Or, il suffit de les comparer à celles que Jean Scot Érigène professe dans son De divisione natnrse, irepi fjffEw ; p.epi<7[Aoû, pour trouver similitude parfaite entre les deux systèmes. C’était le philosophe irlandais qui parlait par la bouche du docteur chartrain. Henri de Suze, loc. cit., écrit que dans le livre de maître Jean Scot intitulé : Periphision (c’est évidemment le 7cep (p’JtTEw ; |j.Ept<T[AoO), livre suivi, dit-il, par Amaury, il y a de nombreuses hérésies. Il en cite trois principales : la première, est que tout est Dieu, omnia sunt Deus ; la seconde, c’est que les causes primordiales que l’on appelle idées, c’est-à-dire formes ou exemplaires, créent et sont créées, primordiales cause que vocantur ydee, id est forma sive exemplar, créant et creantur ; la troisième, c’est qu’après la consommation du siècle se fera la fusion des sexes, en d’autres termes il n’y aura plus de distinction des sexes, post consummationem seculi erit adunatio sexuum sive non erit distinctio sexus. Indépendamment de l’affirmation expresse du cardinal d’Ostie, on reconnaît bien là les propres idées soutenues plus tard par Amaury.

III. Ouvrage qui lui a été attribué.

Quoi qu’en dise M. Daunou, Hist. littéraire de France, t. xvi, p. 588, Paris, 1824, on ne doit pas regretter de n’avoir plus l’ouvrage où Amaury aurait développé ses propositions si téméraires, et qui aurait porté le titre de Physion ; ce livre n’a jamais existé’et, selon toutes les vraisemblances, Amaury n’a jamais rien écrit. Hauréau, ibid., p. 300 en note. Ce livre ne fut donc jamais condamné et la bulle d’Innocent III datée de 1198 selon les uns, de 1204 selon les autres, et qui aurait fulminé la condamnation, n’existe pas. Hauréau, ibid. On n’en trouve du reste aucune trace dans le cartulaire de Denitle. Amaury de Chartres mourut vers 1205. Il avait fait école, et sa doctrine lui survécut.

IV. Les amalriciens.

Elle fut conservée et développée par les amalriciens, amalrici, amauriani. Martène, Thés. nov.anecd., X. iv, p. 163 ; cf. Deniile, Chartularium, t. i, p. 71, 72, nous a transmis l’ensemble de leurs hérésies. — Dieu est un et son unité s’étend à l’univers, dans lequel tous les êtres sont un, parce que tout ce qui est, est Dieu, et que Dieu est en toutes choses. Dieu est, par exemple, dans le pain et dans le vin avant la consécration aussi Lien qu’après ; tout

l’effet de la consécration eucharistique est d’affirmer et de déclarer la présence divine sans la produire. — A cette erreur sur l’unité panthéistique du monde, ils en ajoutaient d’autres sur la Trinité. Selon eux, le Père s’est incarné dans Abraham. A l’origine, il agit seul dans le monde, sans le Eils et sans le Saint-Esprit. Plus tard, le Fils s’est incarné en Marie, et le Christ n’est pas plus Dieu que ne l’était Abraham, grâce à l’incarnation du Père en lui. Dès lors, le Fils commence à agir. Il abolit toute l’économie de l’Ancien Testament ; il institue de nouvelles cérémonies ; il donne aux hommes des sacrements d’une pratique facile et douce. — Mais les amalriciens déclaraient finie l’ère du Fils. Le Saint-Esprit s’incarnait à son tour et commençait d’opérer dans les âmes. Sa venue abolissait les rites et les sacrements de la loi du Christ, comme la venue de celui-ci avait aboli la loi ancienne. Son règne devait durer jusqu’à la fin des temps. S’incarnant en chaque homme, l’Esprit-Saint apportait à tous les prérogatives qui étaient restées jusque-là le propre du Christ ou d’Abraham. Les « spirituels » — c’est ainsi que s’appelaient ceux en qui l’Esprit-Saint était descendu — se considéraient déjà comme ressuscites ; car, dans cette ère nouvelle, la résurrection était entendue en son vrai sens, et n’était pas autre chose que la vie en l’Esprit, la substitution des clartés de la science aux obscurités de la foi et de l’espérance dont il fallait désormais se dépouiller. Le paradis, c’était la contemplation des vérités nouvelles ; leur ignorance était Venfer. Les enfants nés d’un père et d’une mère spirituels n’ont pas besoin du baptême ; la vraie communion n’est autre que la participation de tous au même Esprit ; quant à la pénitence, elle est inutile à ceux qui savent pertinemment que Dieu étant et faisant i tout en tous, y est l’auteur des actes appelés péchés aussi bien que des autres actes.

V. Première condamnation.

Vn clerc de Paris, nommé Raoul de Namur (et non pas de Nemours, ainsi que l’appelle VHistoire littéraire de France, loc. cit. ; cf. Hauréau, op. cit., p. 292), eut vent de ces doctrines acceptées déjà par bon nombre d’esprits cultivés de Paris et des diocèses voisins. Il en référa d’abord à l’abbé de Saint-Victor, Jean le Teutonique, et à quelques autres personnages ecclésiastiques considérables, puis à l’évêque de Paris, Pierre de Nemours. Avec leur assentiment, il alla se joindre aux hérétiques ; pour avoir leur confiance il feignit de professer les mêmes idées et quand il se fut complètement renseigné sur les membres et sur les erreurs de la secte, il revint trouver l’évêque de Paris. — Bientôt un concile provincial fut convoqué dans la capitale par l’archevêque de Sens, Pierre de Corbeil. Les doctrines nouvelles y furent examinées, les principaux amalriciens furent appelés à se justifier ou à se rétracter. N’ayant pu ou voulu faire ni l’un ni l’autre, ils furent condamnés par le concile en 1210. Amaury fut englobé le premier dans la condamnation portée contre ses disciples. Voici le texte de cette sentence rendue fameuse surtout par l’anathème qu’elle porte contre certains livres d’Aristote. « Le corps de maître Amaury sera exhumé du cimetière et jeté en terre non bénite, et dans toutes les églises de la province sera promulguée la sentence d’excommunication lancée contre lui. Bernard, Guillaume d’Aire l’orfèvre, le prêtre Etienne du VieuxCorbeil, le prêtre Etienne de la Celle, le prêtre Jean d’Orsigny, maître Guillaume de Poitiers, le prêtre Eudes, Dominique de Trainel, les clercs Odon et Élinand de Saint-Cloud seront dégradés pour être ensuite livrés à la cour séculière. Le prêtre Ulrich de Lorris et Pierre de Saint-Cloud, ci-devant moine de Saint-Denis, le prêtre Guérin de Corbeil et le clerc Etienne seront dégradés pour être soumis à la peine de la prison perpétuelle. — Avant Noël, les quatrains de maître David de Dinant (voir ce mot) seront apportés à l’évêque de Paris et brûlés ; les livres d’Aristote sur la philosophie naturelle