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ALVAREZ DE PAZ — ALVELDA


II. Appréciation de sa doctrine.

Alvarez de Paz semble être le premier qui ait employé le terme d’oraison affective pour désigner l’état d’oraison ordinaire qui est immédiatement au-dessus de la méditation (t. iii, 1. IV). Le caractère de cet exercice consiste en ce que les affections l’emportent notablement (nous ne disons pas totalement) sur les réllexions.

A la suite, il place ce qu’il appelle le commencement de la contemplation ; ce qui comprend trois degrés désignés par les mots : intuition de la vérité, recueillement, silence spirituel. Si l’on voulait s’en tenir à ses définitions, on n’arriverait pas à bien distinguer ces états les uns des autres, ni de l’oraison affective. Mais l’idée qu’il s’en fait ressort assez de l’ensemble de sa rédaction, pourvu qu’on dégage celle-ci de quelques pbrases emphatiques. Ces trois degrés inférieurs paraissent n’être qu’un même état envisagé à des points de vue différents. Il a pour caractère que l’âme se simplifie plus encore que dans l’oraison affective. La multiplicité des actes différents y a notablement diminué, non plus seulement pour l’intelligence, mais pour la volonté. De là ce nom très clair que lui donne Bossuet : Oraison de simplicité (Opuscule composé pour la Visitation de Meaux, et intitulé : Manière courte pour faire l’oraison en foi). On dit encore : Oraison de simple regard ou d’attention amoureuse à Dieu (Courbon), ou de recueillement actif, ou de repos actif, enfin de contemplation ordinaire ou acquise. Saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantai recommandent cette voie, comme l’oraison propre de la Visitation. (Œuvres de sainte Chantai, édit. Paris, 1876, t. iii, p. 278. Autre passage dans l’édition Migne, Paris, 1802, sous ce titre : Réponse à l’article 24e du Coutumier, t. ii p. 232.) Ajoutons, en vue de ce qui va suivre, que lorsque cette oraison est aride et amère, elle devient ce que saint Jean de la Croix a appelé la nuit du sens ou le premier purgatoire de l’âme. C’est la frontière de l’état mystique.

Les explications qui précèdent n’ont pas seulement pour but de nous aider à dissiper certaines obscurités d’Alvarez de Paz et de ses nombreux imitateurs. Elles nous conduisent à une remarque importante, c’est qu’il existe, entre les anciens auteurs, plusieurs divergences de langage dont on ne s’est pas toujours aperçu. Chacun d’eux entend à sa manière certains mots, comme celui de contemplation, pris sans qualificatif. Quand on n’en est pas averti, on comprend certaines propositions d’une manière inexacte, ou l’on croit à tort qu’on a fait concorder des textes, parce qu’ils emploient les mêmes termes ; mais ils parlent de choses différentes. Ainsi, pour quelques auteurs, la contemplation est tout ce qui succède à l’oraison de discours ; et alors l’oraison affective est englobée par ce mot. Chez d’autres, comme Alvarez de Paz, la contemplation ne commence qu’un peu après, avec l’oraison dite de simplicité. Pure question de définition ! Pour saint Jean de la Croix, il faut, semble-t-il, monter jusqu’à la nuit du sens. Enfin, pour sainte Thérèse, le mot désigne franchement l’état mystique. Il y a en outre les auteurs dont on ne peut pas deviner exactement la pensée. Aussi, de nos jours, le terme de contemplation tend à disparaître du langage précis ; instinctivement on le trouve ambigu et obscur. Quant à celui de contemplation acquise— il n’est plus guère compris. On préfère dire tout simplement : la voie ordinaire comprend quatre degrés : l’oraison vocale, la méditation, l’oraison affective, l’oraison de simplicité. Au delà, on trouve les états mystiques, appelés jadis contemplation infuse. De la sorte, on sait tout de suite ce que l’on veut dire.

Dans le livre V, t. iii, Alvarez donne une classification assez défectueuse de ces états mystiques. D’abord il oublie le mariage spirituel. Puis, dans sa pensée, les quinze degrés qu’il distingue sont spécifiquement différents et forment presque tous des ascensions suc DICT. DE THÉOL. CATHOL.

cessives. Or, la plupart sont de simples manières d’être d’une chose unique qui, à cause de circonstances très secondaires, prend les noms, tantôt de silence, tantôt de jubilation, tantôt de sommeil, etc. Plusieurs se succèdent sans ordre déterminé et presque à la même époque de la vie spirituelle. Il faut se contenter de ranger les grands ensemble, comme l’a lait sainte Thérèse dans le Château.

Chez Alvarez, les descriptions de détail, souvent reproduites, ont une certaine valeur. Toutefois sa tournure d’esprit le porte moins à observer patiemment, qu’à philosopher et à montrer beaucoup d’érudition. Il ne parait pas avoir connu les œuvres de sainte Thérèse, encore trop récentes. Par suite, il peut être regardé comme un des derniers représentants des anciennes écoles.

Il a le mérite de reconnaître cette proposition capitale que dans l’oraison de quiétude (c. iv), et non pas seulement dans celle d’union pleine (c. v), Dieu fait réellement sentir sa présence. C’est là, en effet, le caractère commun à tous les états mystiques. Ce n’est pas seulement, comme le croient les profanes, un repos amoureux ; cet amour est provoqué par quelque chose de caractéristique, par une possession mystérieuse de Dieu. Les vrais degrés mystiques ne sont que les degrés d’intensité et de clarté de cette manifestation.

Au livre IV, part. III, c. iivi Alvarez cherche à établir une doctrine que les scolastiques ont toujours repoussée avec raison, au nom de la métaphysique. C’est que, dans certains états affectifs et mystiques très élevés, on peut aimer Dieu sans aucune connaissance concomitante. Tout au plus y admet-il alors une connaissance initiale et non continuée. Pour justifier son opinion, le P. Alvarez fait appel à l’expérience. « Il ne faut pas objecter, dit-il, que cette idée n’est venue qu’à des ignorants et que les savants se sont contentés de la répéter de confiance. Car je connais un homme fort versé dans les études philosophiques et dont la formation a été grandement complétée par les dons divins et la pureté de la vie. Or il éprouvait souvent un amour sans aucune connaissance. Le fait était aussi évident— pour lui que le soleil en plein midi. » On peut répondre qu’il y a là une expérience mal interprétée, une confusion entre les apparences et la réalité. On croit ne sentir qu’un amour violent ; mais il masque une connaissance subtile. On ne réfléchit plus à cette connaissance, parce que la tempête d’amour que Dieu excite directement à son sujet, n’est pas en proportion avec elle et sollicite outre mesure l’attention. Si l’on ne pensait à Dieu en aucune façon, comment pourrait-on savoir que c’est lui précisément que l’on aime ? Comment pourrait-on dire qu’on était en oraison ? Il faudrait plutôt avouer qu’on se trouvait plongé dans je ne sais quel état poétique, sans objet déterminé.

En revanche, Alvarez traite sagement la question du désir des grâces extraordinaires 1. V, part. II, c. xiii. Il déclare qu’on ne doit pas désirer les révélations, les visions (des créatures), parce qu’elles sont une source d’illusions. Mais, pour la haute contemplation ou union mystique, il prouve éloquemment qu’on peut la désirer et la demander. Il conserve ainsi la doctrine qui se dégage nettement des œuvres de sainte Thérèse et de saint Jean de la Croix. On l’admettait au xviie siècle (cf. Philippe de la Sainte-Trinité, Vallgornera, Antoine du Saint-Esprit, Courbon, le cardinal Brancati, etc.), mais au xviiie siècle, les rigoristes, à l’esprit chagrin, ont proposé certaines restrictions. D’une manière plus générale, on peut dire qu’Alvarez présente toujours la spiritualité sous un jour consolant, propre à dilater l’âme. « Dieu, dit-il, est un prince très bon et un père très aimant, qui veut que ses familiers et serviteurs soient joyeux… Il produit en eux cette allégresse par la dévotion et la suavité spirituelle. » L. II, part. III, c. ii, IV.

A. Poulain.

ALVELDA ou ALBELDA (de) Jean Gonzalez.

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