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ALPHONSE DE LIGUORI (SAINT)

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tion de son esprit et la chaleur de sa parole lui valurent de brillants triomphes oratoires ; les causes les plus importantes lui furent confiées ; l’avenir s’ouvrait devant lui, souriant et plein de promesses. Un événement tragique vint, en 1723, détruire toutes ces espérances et donner une nouvelle orientation à cette existence, qui semblait se diriger d’un pas si assuré vers le succès et la gloire. Un différend d’une extrême importance s’était élevé entre le duc Orsini et le grand-duc de Toscane ; l’enjeu était de 5 à 600000 écus. Le duc Orsini confia ses intérêts à notre jeune avocat. Alphonse étudia scrupuleusement la cause, il crut au bon droit de son client et mit tout son talent à le faire triompher ; mais il s’était mépris sur le sens d’un document et il ne fit pas difficulté de le reconnaître loyalement devant le tribunal. Dés lors il renonça au barreau.

Ni les conseils de ses amis ni les instances de son père, ni les supplications de sa mère ne purent le faire revenir sur la détermination qu’il avait prise. L’horizon cependant était sombre devant lui et il ne savait quelle nouvelle orientation donner à sa vie. Il eut recours à la prière et s’adonna avec plus d’assiduité aux bonnes œuvres. Dieu l’exauça d’une manière extraordinaire. Un jour qu’il était occupé à servir les malades dans l’hospice des Incurables, il se vit, à deux reprises, entouré d’une lumière éclatante, en même temps, il entendit distinctement ces paroles : « Alphonse, quitte le monde et désormais ne vis que pour moi seul ! » Cette voix du ciel fut un ordre pour lui, il résolut d’abandonner le monde pour entrer dans l’état ecclésiastique. Après de pénibles pourparlers avec son père, il put enfin revêtir la soutane des clercs le 23 octobre 1723. Il s’appliqua à l’étude de la théologie sous la direction du chanoine Torni, savant distingué, mais appartenant à l’école rigide alors si répandue. Débarrassé de tout accessoire, il menait de front l’étude du dogme et celle de la morale. Cette dernière branche de la science sacrée avait pour lui un attrait particulier et sa connaissance du droit l’y avait admirablement préparé. La simple casuistique ne pouvait le satisfaire, il sentait le besoin d’aller au fond des questions et de se faire une science solide et raisonnée. Aussi put-il dire plus tard cette parole qui caractérise si bien sa trempe d’esprit : « Quand j’ai pour moi une raison convaincante, je me soucie peu des autorités contraires. » Alphonse s’avançait par étapes vers le sacerdoce ; il reçut la tonsure le 23 septembre 1724 ; les ordres mineurs le 23 décembre de la même année ; le sous-diaconat le 22 septembre 1725 ; le diaconat le 6 avril 1726 et enfin la prêtrise le 21 septembre suivant.

Une fois prêtre, il se mit à la disposition des supérieurs pour l’exercice du saint ministère. Son talent oratoire fut fort apprécié, et on ne manqua pas de l’exploiter largement en lui confiant une part des plus actives dans plusieurs missions importantes. Le succès n’était pas moins complet en chaire qu’au barreau, sa vocation de missionnaire devenait manifeste. Pour la suivre plus librement, il résolut, au commencement de juin 1729, de quitter la maison paternelle pour établir sa résidence au collège des Chinois récemment fondé par le père liipa. Dès lors il exerça activement le saint ministère dans l’église de cet établissement : il prêchait fréquemment, était fort assidu au tribunal de la pénitence et devint directeur recherché. En même temps il donnait son concours à une œuvre intéressante, fondée par ses soins dès 1727, celle des Chapelles, où se réunissaient périodiquement, pour entendre la parole de Dieu et se livrer à des exercices de piété, des gens du peuple, petits employés, ouvriers, portefaix et autres personnes de basse condition. L’inlluence d’Alphonse fut considérable dans ce modeste milieu où il n’était pas rare de rencontrer des hommes d’une vertu plus qu’ordinaire. Ces travaux étaient interrompus de temps en temps par des missions auxquelles le nouvel apôtre était heureux de prendre part. Ce fut là comme un stage dont la providence se servait pour le préparer à devenir le fondateur d’un nouvel institut religieux. Ses excursions apostoliques lui avaient fait connaître combien sont privés de secours religieux les pauvres gens de la campagne. De plus, il rencontra au collège des Chinois un homme d’une éminente vertu, qui était, lui aussi, vivement préoccupé de cet abandon spirituel et songeait à y remédier, mais sans en trouver les moyens. C’était le père Falcoja de l’ordre des pieux-ouvriers, homme déjà avancé en âge, d’une haute expérience et directeur de grande autorité ; c’est lui qui avait aidé de ses conseils le père Ripa dans l’établissement de son œuvre. Malgré la différence d’âge, il s’établit entre notre saint et le pieux-ouvrier un commerce spirituel qui exerça sur les destinées d’Alphonse la plus grande influence. Un événement extraordinaire vint lui dévoiler les desseins qu’avait eus la providence en plaçant à ses côtés un guide aussi éclairé. L’exercice du saint ministère l’avait mis en relation avec une communauté religieuse de Scala ; il y avait fait accepter une réforme qui donna naissance à l’ordre des rédemptoristines. Une des religieuses, Marie-Céleste Crostarosa, lui fit part, le 3 octobre 1731, d’une vision qu’elle avait eue à son sujet. Elle avait vu Alphonse en compagnie de saint François d’Assise qui, montrant son compagnon, avait prononcé ces paroles : « Voici le fondateur d’un nouvel ordre de missionnaires dans l’Église. » A cette communication l’humble prêtre fut troublé d’abord, et dans sa prudente sagesse il ne voulut pas en tenir compte. Il n’était pas homme à se laisser conduire par les visions d’une femme, si sainte qu’elle fût. Toutefois, il était frappé de la ressemblance qu’il y avait entre la nature de l’institut contemplé par la religieuse et ses réilexions personnelles sur l’abandon spirituel des pauvres gens de la campagne. N’était-ce pas là un appel d’en haut ? Une lutte s’engagea dans l’âme d’Alphonse, entre sa charité qui ne voulait rien refuser à Dieu et son humilité qui ne pouvait reconnaître en lui les qualités requises pour une si grande œuvre. Il s’en ouvrit au père Falcoja devenu évêque de Castellamare, celui-ci l’exhorta à la générosité, mais le renvoya pour une solution définitive au père Pagano son confesseur. Ce prudent vieillard examina l’affaire à fond, et après avoir pris l’avis de plusieurs personnages distingués par leur science et leur sainteté, il déclara que l’appel de Dieu était manifeste. Sans compter avec ses répugnances, Alphonse se mit incontinent en devoir d’obéir aux exigences divines. Mais quel monde de difficultés à surmonter ! Quel besoin d’appui et de guide éclairé ! Il trouva l’un et l’autre dans son saint ami Mo r Falcoja, qui dès lors devint le directeur de son âme et le conseiller de son entreprise. Plusieurs prêtres, remarquables par leur science, leur zèle et leur piété, vinrent se joindre à lui, et le 9 novembre 1732, se constitua la première communauté de la congrégation du Très-Saint-Rédempteur. Consolider, organiser, développer cette œuvre, lui infuser une sève abondante de science théologique et de zèle apostolique, fut désormais le but de sa vie et l’objet de ses sollicitudes. Il se mit à l’œuvre avec toute la générosité de sa riche nature, sans peut-être se douter encore des difficultés qu’il allait rencontrer ; elles ne furent ni rares, ni légères. Tout d’abord, une divergence de vues sur le but spécifique île l’institut, vint mettre la division dans la jeune communauté. Les uns à l’apostolat voulaient allier renseignement ; les autres au contraire voulaient concentrer toutes leurs forces sur l’apostolat. C’était l’avis inébranlable d’Alphonse. S’obstinant dans leurs idées personnelles, plusieurs sujets distingués abandonnèrent l’œuvre commencée et se séparèrent de l’inflexible fondateur. Ce fut pour lui un coup terrible. Délaissé par la plupart de ses compagnons d’armes, en butte à la raillerie de ses anciens amis, sans ressources.