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ALOGES

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part, en effet, il relève cette inconséquence étrange, qui prouve le peu de sens critique de ces aloges, d’après laquelle ils attribuent ces deux écrits au docète Cérinthe, sans prendre garde qu’ils sont la condamnation formelle de cet hérétique, puisqu’ils contiennent l’affirmation la plus solennelle et la plus caractéristique de la divinité du Verbe. Quant à lui, l’objection n’est pas faite pour lui enlever la conviction qu’ils sont de l’apôtre saint Jean. Car il montre que les cvangélistes n’étaient pas tenus de se répéter servilement, mais, au contraire, qu’ils se complètent les uns les autres et que le quatrième Évangile, composé le dernier en date et à un point de vue très spécial, n’a pas procédé autrement. Lui aussi, comme les Synoptiques, a proclamé l’humanité du Verbe, mais il a insisté plus particulièrement sur sa divinité. D’autre part, l’Apocalypse ne peut prêter à rire qu’à ceux qui sont étrangers aux procédés de l’Écriture. Dans l’Écriture, en effet, tout a un sens profond ; ne pas le voir ne donne pas le droit de l’attaquer ; et prétendre qu’en commandant d’écrire à l’ange de l’église de Thyatire, l’Apocalypse s’est trompée, sous prétexte qu’il n’y a pas d’église à Thyatire, c’est se tromper soi-même. Car s’il n’y avait pas d’église à Thyatire, du temps de saint Jean, il y en a eu une après lui ; et si, sous la pression des Phrygiens, elle a fini par devenir complètement montaniste, au point que les aloges ont dû se résigner à la quitter, ce n’est pas une raison de s’écrier : « Il n’y a pas d’église à Thyatire, set d’en faire une objection contre l’apôtre, mais c’en est une pour constater que la prophétie de saint Jean s’est accomplie.

Une réfutation aussi détaillée n’est pas sans dérouter quelque peu le lecteur. Il semble en résulter, en effet, que l’opposition des aloges aux écrits johanniques n’est pas motivée, comme on pouvait le croire d’après le premier renseignement, par la négation de la divinité du Verbe, mais qu’elle est uniquement et exclusivement basée sur des raisons d’ordre critique, sur une pure question d’authenticité. Par suite, la première affirmation de saint Epiphane ne tenant plus, il faudrait rayer les aloges du nombre des hérétiques. Aussi qu’est-il arrivé ? C’est que nos critiques contemporains se sont divisés en deux camps : les uns, conformément aux premiers renseignements d’Épiphane, continuent à traiter les aloges d’hérétiques ; les autres, ne retenant que sa réfutation, leur ont décerné un brevet d’orthodoxie et n’ont voulu voir dans leur attitude que l’une des phases de la controverse au sujet du canon du Nouveau Testament, à la fin du 11e siècle. Il importe de savoir de quel côté’est la vérité !

Or Philastrius nous parle de certains personnages, dont la caractéristique est d’avoir rejeté l’Évangile et l’Apocalypse de saint Jean. Heer., lx, P. L., t. xii, col. 1174. En remontant plus haut, jusqu’à des témoins contemporains, tels que saint Irénée et saint Hippolyte, nous pouvons arriver à des résultats plus précis.

Irénée nous signale, à propos du tétramorphe, certains adversaires du quatrième Évangile, qu’il ne nomme pas. Il se contente d’une allusion courte, mais précise. Tillemont i t Dôllinger, Hippohjtus und Kallislus, Ratisbonne, 1 ; 53, p. 292, ont eu le tort d’y voir une allusion aux montanistes : le contexte ne le permet pas. Car ces anonymes repoussent cetÉvangile, parce qu’il renferme la promesse du Paraclet ; ils rejettent également tout esprit prophétique. Et evangelium et propheticum repellunt Spiritum. Irénée, Conl. hær., III, xi, 9, P. G., t. iiv col. 891. Évidemment cela ne peut être lepropre des montanistes, à moins de faire dire à Irénée qu’ils repoussent l’Évangile et l’esprit prophétique, qui ne sont pas les leurs. Car on sait que les montanistes alimentaient leurs rêves et leurs espérances chimériques dans les écrits johanniques et la première Épitre aux Corinthiens, interprétés à leur faux point de vue. Irénée ajoute qu’en prétendant supprimer toute prophétie et tout charisme prophétique,

ces anonymes pèchent contre le Paint-E=prit et tombent dans le péché irrémissible : peccantes in Spiritum Dei, in irremissibile incidunt peccalum. Ibid. C’est ce même jugement qui se trouve sous la plume d’Épiphane, quand il écrit que, dans les aloges, se réalise la parole de l’Écriture, qu’à tout blasphémateur contre le Saint-Esprit il ne sera pardonné ni dans ce siècle, ni dans l’autre : çÛâvEt 8è xoù i~’a-jToùç to EÎp* ; (jisvov, oti t<T> pXxopYj[ioCvti… xt). Epiphane, Hær., LI, 35, P. G., t. xii, col. 953.

D’autre part, saint Hippolyte a écrit des Capila adversus Caium. Or Caius était un anti-montaniste : son Dialogue contre Proclus en fait foi. Il condamnait l’Apocalypse, l’attribuait à Cérinthe, à cause du millénarisme, comme le note Eusèbe, H. E., iii, 28, P. G., t. xx, col. 273, et très vraisemblablement aussi, bien que r.ous n’en ayons pas de preuve positive, à cause de l’appui qu’y trouvaient les montanistes. Condamnait-il également le quatrième Évangile ? Certains critiques conjecturent que les Capita adversus Caium sont une partie du traité apologétique de saint Hippolyte en faveur de VÉvangile et de l’Apocalypse de Jean. Nous aurions ainsi dans Caius un aloge au sens où l’a entendu Epiphane. Mais cette hypothèse aurait besoin d’être vérifiée. Quoi qu’il en soit, grâce à l’allusion précise d’Irénée, nous nous trouvons en présence, sinon d’une secte proprement dite, dont la place naturelle est dans une hérésiologie, du moins d’une coterie qui avait nettement pris parti contre les montanistes et cherchait à leur enlever leur point d’appui principal, c’est-à-dire l’œuvre de l’apôtre saint Jean, par un procédé radical plus habile qu’honnête. Car nous savons par le canon de Muratori que, à la fin du IIe siècle, les œuvres de saint Jean étaient tenues pour canoniques par l’Église romaine.

La question est donc de savoir à quels mobiles obéissaient ces censeurs. Leur antipathie contre les montanistes était-elle la cause unique qui leur faisait rejeter les écrits johanniques ? N’y en avait-il pas d’autres ? Leur scrupule de critique ne se doublait-il pas d’une préoccupation d’orthodoxie ? Et, s’ils ne parlaient pas en précurseurs immédiats et apparentés des monarchiens, n’estimaient-ils pas accomplir un devoir en défendant, au nom de la tradition ecclésiastique, le canon des Écritures du Nouveau Testament, tel qu’ils le connaissaient ? Et, dans ce dernier cas, leur témoignage ne devrait-il pas être pris en considération pour bien montrer combien était encore indécise la question du canon, à la fin du IIe siècle ? L’hypothèse était de nature à solliciter l’esprit de M. Harnack. Epiphane, dit-on, est sujet à caution ; Philastrius n’a pas une autorité prépondérante ; quant à Irénée, si l’on en croit certains critiques allemands, Harnack, Jûlicher, Einleilung in das N. T., p. 252 ; Schurer, Ueber don geganwàrtigen Stand der Johanneischen Frage, p. 71, et Corssen, Monarchianischc Prologe, p. 109, c’est un témoin disqualifié par sa trop grande crédulité, ses erreurs historiques et son manque de sens critique. D’autant plus que, sur le point particulier qui nous occupe, l’écrivain le mieux renseigné de l’antiquité ecclésiastique, Eusèbe, est complètement muet ; saint Jérôme, également. Dès lors, les aloges méritent de sortir de leur ombre discrète et de retenir l’attention : ce sont des témoins importants. N’étant affiliés à aucune secte hérétique, ils déposent en faveur de la tradition. Harnack, Dogmenqeschchtc, .., p. G16-C21. Telle est la tendance : partie d’une hypothèse, elle n’aboutit pas cependant à une réalité historique incontestable, malgré le grand désir que semble en manifester M. Harnack. Car on n’écarte pas aussi facilement des témoins comme Irénée, Hippolyte, Philastrius et Epiphane. Avant de les récuser, il faut de solides raisons, et les raisons, nous devons le reconnaître, font défaut. En ce qui concerne les écrits de saint Jean, les aloges n’ont aucun droit à passer pour