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ALEXANDRIE (ÉCOLE CHRÉTIENNE D’)

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que songeait saint Paul lorsqu’il avertissait lesColossiens de ne pas se laisser séduire par la philosophie. » De Faye, Clément d’Alexandrie, Paris, 1898, p. 152. Origène définit l’homme un animal raisonnable, Xoyixôv Çcûov : définition et privilège que son disciple Grégoire de Nysse soutiendra plus tard avec beaucoup de vigueur. Cf. Hilt, Des hl. Gregor [von Nyssa Lehre vont Menschen, Cologne, 1890, c. II. Il a nettement profossé la distinction du corps corruptible et de l’âme vivifiante, conséquemment l’immatérialité et l’immortalité de l’âme, bien que l’on rencontre des difficultés sérieuses et des apparences de contradictions dans certains de ses passages relatifs à la corporelle de l’âme. Cf. Redepenning, Origenes, t. ii, Bonn, 1841, p. 334 ; Schnitzer, Origenes iibcr die Grundlehren der Glaubenswissenschaft, Stuttgart, 1835.

En vain les panthéistes ont voulu voir dans les alexandrins des partisans de l’unité de substance ; en vain ils ont appuyé leurs vues sur la théorie de la participation (naturelle ou surnaturelle). Tandis que Philon et Plotin identifiaient l’âme à la substance divine, cf. Haffner, Grundlinien der Geschichte der Philos., Mayence, 18811881, p. 238, Clément affirme que l’âme est « une créature du Tout-Puissant », xtio-içtoû riavroupâxopoç, Strom., m, 14, P. G., t. viii, col. 1194. S’il dit que nous participons au Logos, cette participation est xaxà Suvajxiv et non y.ax’oùcrfav. Voir Capitaine, De Origenis ethica, p. 41, n. 2. Cf. Redepenning, Origenes, t. I, p. 125. Quant à Origène, aucune erreur ne répugne autant que le monisme à l’ensemble de sa doctrine.

Liberté morale.

Il suffit pour s’en convaincre d’examiner sa défense de la liberté humaine.

Clément et Origène ont vigoureusement soutenu l’existence du libre arbitre, méconnu ou nié par diverses erreurs, notamment par le déterminisme des gnostiques. Ceux-ci ne voulaient voir qu’une différence physique entre le bien et le mal et surtout envisageaient la matière comme chose essentiellement mauvaise. Clément combat cette erreur, Strom., 1. IV, c. xxvi, P. G., t. viii, col. 1372 sq. : Où xax’ov epûaet to cû)[j.a, et comme la plupart des écrivains chrétiens contemporains, il établit la réalité de notre liberté morale en considérant l’idée du mérite et de la sanction, qui spontanément s’impose à toute conscience humaine. Strom., 1. I, c. xvii, P. G., t. viii, col. 800. Cette insistance quand il s’agit d’affirmer la liberté et la responsabilité individuelle chez l’homme déchu, au cours de la polémique anti-gnostique, l’a même conduit à une doctrine peut-être incomplète et obscure sur le péché d’origine.

Il est incontestable que la notion de la liberté est fondamentale dans le système d’Origène. C’est spécialement contre le déterminisme gnostique qu’il s’attache à montrer comment le bien moral ne nous est pas inné, et comment les divers êtres spirituels ont cette propriété commune de devenir bons ou mauvais par l’usage du libre arbitre.

Loi naturelle.

Enfin on rencontre chez les deux alexandrins une idée qui doit tenir une place importante dans les fondements de la morale augustinienne, puis dans la morale scolastique : l’idée d’un ordre naturel, règle discriminante de nos actions. Déjà les alexandrins avaient reconnu cette vérité importante : se conformer à l’ordre, c’est se conformer à la volonté divine. Aussi Origène, dans son plan d’encyclopédie, veut que la physique ait pour objet la connaissance de l’ordre, destinée à régler notre conduite morale : Naturalis (disciplina) est ea, nbi uniuscujusque rei natura discutitur, quo niltil contra naturam geratur in vita. Prolog, in Cant. Cantic, P. G., t. xiii, p. 75. Voir un peu plus loin tout le contexte de ce passage.

V. Premières conceptions d’une synthèse théologique. Rapports de la foi et de la raison. — L usage de la PHILOSOPHIE GRECQUE. — Non seulement oa reconnaît facilement, dans l’Église d’Alexandrie,

des courants d’opinion divers, relativement à la valeur de la culture grecque et à l’utilité du savoir profane, non seulement il y eut des simpliciores, qui témoignaient une grande défiance à l’égard de ces nouveautés, tandis qu’une élite intellectuelle sentait la nécessité des connaissances profanes, et cherchait à leur faire une part légitime dans l’enseignement encyclopédique chrétien (voir E. de Paye, op. cit., part. II, c. ii-m). Mais encore, il est difficile d’établir sur ce point délicat une concordance absolue entre les deux représentants les plus illustres de l’école chrétienne. Clément et Origène apprécient diversement la philosophie grecque ; ils sont loin d’en faire le même usage. Le premier en parle plus favorablement, le second ne lui accorde guère de crédit. Du moins il est certain qu’ils en ont une connaissance plus qu’ordinaire. Elle apparaît du premier coup dans les nombreuses citations de Clément. Pour Origène (voir D. Koestchau, Origenes Werke, t. I, Leipzig, 1899, Einleitung, p. 36), elle est affirmée par les contemporains, notamment par saint Grégoire le Thaumaturge. — Cette connaissance suffit-elle pour faire de Clément et d’Origène des philosophes de profession ? — plus philosophes que théologiens dans leur méthode, absorbant la science sacrée dans la science profane ? On serait tenté de le croire, après une rapide étude de leurs œuvres ; car on y remarque de fréquentes théories, du moins des conceptions et points de vue qui relèvent de la philosophie ancienne, des allusions certaines aux systèmes platoniciens ou stoïciens. De là, les nombreuses études entreprises depuis cinquante ans, dans le but de démêler la part des diverses écoles, et leur influence sur le développement de la pensée alexandrine : études dont l’inspiration première rappelle ce mot de Cousin : « Cherchez dans la philosophie grecque : vous y trouverez la source des dogmes chrétiens. »

Mais en pareille matière, l’expérience a prouvé le danger des conclusions précipitées. C’est ainsi qu’on a le plus souvent cherché une précision chimérique en voulant rattacher Origène aux écoles de philosophie grecque : « Origène s’est servi incontestablement de la philosophie grecque pour l’expression de ses doctrines, et cela non seulement en lui empruntant son langage, mais encore lui empruntant, toujours avec d’assez fortes modifications, des hypothèses qui sont comme la mise en scène de ses idées. Mais il ne faut pas trop descendre dans le détail et dire : telle ou telle doctrine, Origène l’a empruntée à Platon ou aux stoïciens. Non, les doctrines sont de lui et de son temps. » Denis, La philosophie d’Origène, Paris, 1884, p. 59-61. Voir ibid., p. 613. Tel est encore à peu près l’avis du récent éditeur d’Origène, dans la collection patrologique entreprise sous les auspices de l’Académie scientifique de Berlin : « Il a beau être Grec, et profondément imbu de l’esprit grec, il évite nettement de s’identifier avec les Grecs ou avec l’esprit grec. A la vérité, dans ses vues philosophiques fondamentales, il suit les platoniciens d’aussi près que possible ; mais il s’en sépare en toute occurrence où sa foi chrétienne lui trace une infranchissable limite. Ce serait donc une erreur de le rattacher à une école philosophique déterminée. » D r Koetschau, op. cit., p. 38. Harnack fait le même aveu, Dogmengeschichte, t. I, p. 516. Quelle que soit l’indulgence de ces appréciations sur l’orthodoxie d’Origène, elles sont sûrement justes quant à la difficulté de tracer chez lui (et en général chez les alexandrins) une filiation de doctrines, historiquement et philosophiquement exacte. Tantôt leur terminologie, tout en rappelant les métaphores symboliques usitées dans tel système philosophique, lui empruntant pour ainsi dire sa mise en scène, n’exprime au fond que des idées assez communes ; tantôt c’est une terminologie courante dans le milieu lettré où vivait l’écrivain, sans doute inspirée par les idées philosophiques, mais non pas définie suivant la rigueur déductive et les exigences