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ALEXANDRIE (ECOLE CHRETIENNE D’1

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favorisait la thèse de la transcendance et pouvait donner lieu à son exagération, c’est-à-dire à la doctrine du Dieu absolument indéterminé, n’ayant aucun trait de ressemblance avec la créature. Pour éviter cet écueil, il fallait insister sur une autre vérité, souvent entrevue par l’école platonicienne, mais dont les néo-platoniciens ne surent pas tirer des conséquences utiles : que le monde sensible est une image du monde spirituel. Cette vérité, d’ailleurs, était proclamée par l’Écriture, Rom., I, 20, Invisibiliaipsius a creatura mundi per eaquæ fæta sunt intellecta conspiciuntur. Malheureusement, les alexandrins s’habituèrent à voir partout et toujours dans les objets sensibles et, par extension, dans tout événementhistorique, un symbole sans réalité ou, du moins, un symbole dont la réalité historique était moins objective que la réalité supérieure, d’ordre supra-sensible, dont il est la figure. Pour eux, par une pente insensible de l’esprit, tout le réel et tout l’historique devenait un symbole. Parfois même, il devenait exclusivement un symbole, c’est-à-dire qu’il était permis de refuser à l’élément historique toute autre valeur que la valeur représentative.

2° L’allégorisme scripturaire unit au symbolisme les faits contingents. — Préparés à cette conception par les habitudes de la métaphysique platonicienne, poussés sans discernement à ses dernières conséquences, il leur était facile de confondre cette thèse métaphysique outrée avec une thèse exégétique affirmée dans l’Écriture et la tradition : suivant cette thèse, les hommes et les choses de l’Ancien Testament étaient figure des réalités plus hautes accomplies dans le Nouveau. Mais, pour identifier la thèse métaphysique à la thèse exégétique, il fallait outrer l’extension de la seconde comme on avait forcé les conséquences de la première. On en vint à rechercher patiemment et à découvrir subtilement une allégorie dans chaque détail de l’Écriture sainte, parce que tout fait de l’Ancien Testament devait être l’image et rien que l’image d’une réalité appartenant au Nouveau. De là, un système d’exégèse idéaliste, si fécond en applications bizarres, en erreurs et en témérités dangereuses. Ce pas fut souvent franchi.

Il n’en reste pas moins vrai que le point de départ contenait des principes vrais et féconds. Si Clément et Origéne s’en étaient tenus au principe métaphysique de transcendance, tel que l’Ecriture et la tradition nous l’ont donné, et au principe d’exégèse symbolique, sagement appliqué, ils eussent évité la plupart des défauts plus ou moins graves qu’on leur a reprochés. Leur tort est surtout d’avoir appliqué systématiquement à l’exégèse le principe d’analogie que, d’une part, la tradition leur offrait comme moyen de connaître Dieu dans la nature, qui, d’autre part, leur semblait un principe absolument général, une loi non seulement cosmologique, mais encore historique et morale.

En résumé, le principe de transcendance métaphysique et le principe d’exégèse symbolique, sagement appliqués, pouvaient donner de bons résultats. Ils les ont donnés, de fait. Et la tradition théologique chrétienne, après avoir condamné les déviations de l’origénisme, a su, par d’heureuses applications, préciser la portée de ces deux vérités fondamentales.

IV. Les fondements de la morale, anthropologie.

— L TENDANCES MORALES DE L’ENSEIGNEMENT ALEXAN DiiiN. — Les études consacrées aux doctrines alexandrines, durant le XIXe siècle, furent généralement dominées par des préoccupations trop exclusives. L’attention s’est toul entière concentrée sur l’étude de quelques dogmes, les principaux, il est vrai. Dans les milieux rationalistes et pi’otestants, fort actifs sur ce point, on a surtout recherché’quelle avait été chez les auteurs antérieurs au concile de Nficée l’exactitude ou mémo l’orthodoxie des dootrines trinitaires et christologiques. Sous l’empire de cette préoccupation, explicable d’ailleurs

par l’importance du sujet et les besoins de la controverse, on a souvent perdu de vue d’autres matières qui tiennent dans la littérature alexandrine chrétienne une place importante, bien souvent une place prépondérante. Tantôt ces doctrines sont proprement dogmatiques, bien qu’elles se rencontrent aux confins du dogme et de la morale (doctrines relatives à la nature de l’homme, aux notions fondamentales de la morale, à la conception générale des vertus ou à leur analyse psychologique, etc.). Voir Capitaine, De Origenis ethiça, Munster, 1898, passim. Tantôt elles sont plus spécialement morales : tels sont divers points traités par Clément d’Alexandrie dans le Pédagogue (détails de la vie quotidienne, luxe, besoins du corps, etc.) et dans les S tramâtes (la continence et le mariage, le martyre, etc.).

Du fait de ce procédé, c’est surtout Clément qui a été sacrifié. Car Clément est surtout un théologien moraliste. Voir de Faye, Clément d’Alexandrie, Paris, 1898, I t>art., c. m ; II part., p. 157-159. Consulter en outre : Cognât, Clément d’Alexandrie, Paris, 1859, 1. IV, c. v-ix, et Winter, Die Ethik des Clément, Leipzig, 1882. Ces remarques s’appliquent moins particulièrement à Origéne. Quand on l’étudié, il est naturel que l’attention se porte de préférence sur son apologétique qui se révèle avec tant d’éclat dans sa dispute contre Celse, sur ses tentatives de dogmatique systématique, spécialement sur cette brillante conception du Logos qui lui inspire de magnifiques et parfois téméraires développements, mais encore plus particulièrement sur sa métaphysique, au sommet de laquelle quelques grandes conceptions paraissent dominer et commander l’œuvre tout entière : l’éternelle activité de Dieu et la liberté de l’homme, la préexistence des âmes et leur incorporation. Pourtant les préoccupations apologétiques d’Origène, et ses idées relatives au dogme trinitaire sont loin de constituer toute son œuvre. Une grande partie de sa métaphysique concerne les fondements de la morale, voir Capitaine, op. cit., et sa psychologie est tout entière orientée vers ce but. D’ailleurs, plus d’un juge clairvoyant a su reconnaître sa place parmi les théologiens moralistes. « L’intérêt des homélies origéniennesest trop peu remarqué. Origéne y reste l’exégète allégoriste systématique qu’il est toujours, mais le moraliste et le catéchiste y ont une part plus grande et qu’il conviendrait d’étudier. » Mor Batiffol, Anciennes littératures chrétiennes ; la littérature grecque, Paris, 1897, p. 123.

Enfin nous marquerons plus loin quelle inlluence prépondérante et quel rôle initiateur Origéne donnait à l’éthique, dans son plan d’une encyclopédie scientifique.

/L DOCTRINES MORALES ET ANTHROPOLOGIQUES COMMUNES A clément et origéne. — Il est possible de signaler un certain nombre de points importants, communs aux deux illustres représentants de l’école. Comme ils ont affermi les fondements naturels de la théodicée, ils ont pareillement défendu et souvent mis en lumière les fondements naturels de l’anthropologie et de la morale.

Anthropologie.

Leurs écrits contiennent de fréquentes et vigoureuses affirmations de la dignité humaine. L’homme occupe dans la création une place toute spéciale : pour Clément comme pour Platon et Plutarque, c’est une plante céleste, une créature grande et belle entre toutes. Son âme ne tire point son origine de l’acte générateur : où xarà ty|v toû (TTtépua-ro ; xaraSoX^v yevv<î>Hevov. Strom., 1. VI, P. G., t. ix, col. 359. Voir Winter, Die Ethik des Clemens, Leipzig, 1882, p. 74, 75.

Aussi son aversion pour les doctrines épicuriennes est remarquable, « Clément ne peut souffrir Epicure et son école. Il les exclut de son catalogue de philosophes. Dans un passage où il énumère les opinions des anciens il s’écrie : Epii’iire est le seul que je passerais bien volontiers sous silence ! C’est lui qui a inventé l’athéisme. Les. épicuriens sont les bâtards de la philosophie. C’est à eux.