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ALEXANDRIE (ÉCOLE CHRÉTIENNE D’)


moyen des créatures (l’une et l’autre vérité affirmée d’ailleurs par l’Écriture sainte).

Le domaine de la raison comprend encore un ensemble de vérités anthropologiques et morales. C’est également contre le matérialisme gnostique, contre certaines formes de panthéisme matérialiste (reconnaissablés chez les stoïciens), contre l’épicurisme païen, que les alexandrins ont puissamment alfermi les principales données relatives à l’âme humaine, à sa dignité, à sa liberté, à ses devoirs individuels et sociaux, à son immortelle destinée.

En outre, le gnosticisme prétendait au rôle de synthèse universelle. Il conciliait toutes les tendances ; ou, plus exactement, s’efforçait d’obtenir un ensemble exempt de contradiction, réclamé par les tendances éclectiques de l’époque. Aux premiers apologistes s’imposait un programme analogue. Introduit dans cette universelle fermentation comme un principe de vie plus puissant que les religions mourantes et les écoles de plus en plus incertaines, le christianisme apportait au monde une révélation surnaturelle, il est vrai, mais non pas isolée de tout l’ordre des vérités naturelles.

Il prétendait comprendre celles-ci dans le solide cadre de son enseignement traditionnel. Il les rapprochait donc des vérités supra-rationnelles et tout en les distinguant, il en faisait la synthèse totale. Non seulement, en proposant le double enseignement de la raison et de la foi, le magistère chrétien proclamait leur unité primordiale en Dieu, auteur et source de tout l’ordre intelligible ; mais encore, il usait de la raison comme instrument, pour exposer la foi. — En résumé, la tradition devait, d’une part, proposer et défendre les vérités rationnelles, d’autre part les rapprochant de la vérité surnaturelle qu’il proposait au monde, elle devait en former un tout cohérent. Du moins, il fallait indiquer la possibilité d’un assemblage, d’une conciliation, d une cohérence quelconque. « Le difficile n’était pas à Alexandrie de n’être pas conciliant, mais de ne l’être qua dans une juste mesure, et de combiner la théologie élaborée par les philosophes juifs ou grecs, avec la tradition apostolique sur le Christ, sans violenter ni dénaturer cette tradition. » Denis, La philosophie d’Origène, p. 7.

Telle fut, dans ses traits essentiels, dans ses résultats les plus solides et les plus durables, l’œuvre accomplie par l’école catéchétique. Cette œuvre, d’ailleurs, ne fut pas une œuvre anormale, épisodique dans le monde chrétien ; au contraire, elle fait partie d’un mouvement général qui signala les dernières années du IIe siècle, et te première moitié du m". Vers cette époque, Rome, Édesse, Césarée, Antioche nous apparaissent comme des centres d’activité théologique, exégétique, apologétique. Quelques noms servent à marquer cette évolution scientifique de la pensée chrétienne : à Rome, Hippolyte et Caïus ; en Orient, Jules Africain, Alexandre de Jérusalem, et un peu plus tard, Firmilien de Césarée, Anatole de Laodicée, etc. Les apologètes de l’âge précédent, Justin, Irénée, etc., avaient bien été les précurseurs de ce mouvement. Mais la période présente semble se distinguer par un caractère tout spécial de développement intellectuel et de culture intensive. Voir Mu r Batiffol, Anciennes lillér. chrét. ; la littérature grecque : Seconde période, D’Hippolyte de Rome à Lucien d’Antioche, — et dans Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. i, p. 591 : Die alexandrinische Katcchetenschule.

Il est vrai, cette évolution et ces tentatives diverses rencontraient ça et là des défiances, des oppositions. Quelques esprits timides se demandaient à quoi bon cette intrusion de science profane dans la science ecclésiastique. Il y eut donc des hésitations, des récriminations, des luttes tantôt sourdes, tantôt ouvertes. Tel était l’état d’âme de ceux que Clément appelait les simple* el sur lesquels les Stromate » nous ont laissé des révélations curieuses.

L’œuvre des Clément et des Origène, des Hippolyte et des Lucien s’accomplit néanmoins. Ils ne surent pas éviter tous les écarts. Leur génie connut les heures de défaillance ; mais l’œuvre surmonta les obstacles et survécut. Elle se poursuivit après la disparition des grands initiateurs ; elle devint l’œuvre de la tradition chrétienne, activée par l’impulsion de grands évêques et de grands docteurs, dirigée et modérée par de grands papes.

II. La théodicée alexandrine.

L LA TRANSCENDANCE divine. — La théologie chrétienne a de tout temps reconnu un double procédé : d’une part la négation qui marque la transcendance de l’Être divin, en lui refusant les perfections bornées des créatures ou du moins en les corrigeant (voir Agnosticisme, Analogie, Eminence), d’autre part, Y affirmation qui parvient au même résultat en lui reconnaissant des perfections analogues et suréminentes. Clément et Origène ont grandement insisté sur cette doctrine, à cause des préoccupations contemporaines et des nécessités de controverse. Clément a plutôt adopté le point de vue négatif ; Origène le point de vue positif.

Clément d’Alexandrie.

Parmi d’autres passages caractéristiques, le chap. xir du Ve livre des Stromates est célèbre pour sa doctrine de la théologie négative et de l’incoinpréhensibilité divine qui en résulte. Voir Petau, Theologica dogmata, 1. I, c. v, n. 6, qui rapporte sur ce sujet de remarquables témoignages de la tradition. Voir encore Ginoulhiac, Histoire du dogme catholique, 1. I, c. vil. On a beaucoup reproché à Clément cette doctrine. Déjà, dans son Histoire critique de l’École d’Alexandrie, IVe part., c. i, Méthode des alexandrins, Analyse, Vacherot la signalait comme une importation de provenance étrangère, et comme l’un des excès caractéristiques de la méthode alexandrine. Puis il se plaît à la montrer dans les écrits aréopagitiques « le monument le plus complet et le plus curieux de l’influence du néoplatonisme sur la théologie chrétienne », ibid., t. iii, p. 23, et dans la métaphysique de saint Bonaventure, ibid., p. 135 sq. Nombre de critiques postérieurs sont revenus sur ce point. Par exemple Bigg, The Christian Platonists of Alexandria, Oxford, 1886, p. 61-65. Au dire de ce théologien protestant c’est là « une conception essentiellement païenne. Le résultat en est une chimère, une force abstraite, dont on ne peut dire qu’elle existe ou qu’elle n’existe pas ». M. Fouillée insiste également avec complaisance sur ce qu’il regarde comme une marque d’identité entre la théologie patristique et les doctrines hégéliennes ou mystiques des néoplatoniciens. La philosophie de Platon, Paris, 1880, t. iii, Histoire du platonisme et de ses rapports avec le christianisme, 1. IV.

A ces divers griefs, il convient d’opposer une trip’e réponse : 1° cette doctrine ne constitue pas une altération du dogme, une importation étrangère ; 2° elle s’explique par les besoins de la controverse ; 3° elle trouve un correctif dans la doctrine de la connaissance de Dieu par le moyen des choses visibles et l’usage de la raison, doctrine professée par Clément.

En premier lieu, il est inexact de voir dans cette doctrine un point de vue purement philosophique, totalement étranger à la tradition. Au contraire, l’enseignement traditionnel, patristique et scolastique, l’a toujours tenu pour le commentaire légitime des textes scripturaires : Deum nemo vidit unquam, Joa., i, 18. Nenw novit Patrem nisi Filins et cui volueril Films revelare. Matth., xi, 27. Voir Franzelin, De Deo wno, sect. ii, th. x. Aussi la terminologie incriminée n’est pas spéciale aux alexandrins. Elle n’est pas un courant particulier, distinct dans l’histoire théologique. Plusieurs de nos adversaires le reconnaissent, s’attachent même à le montrer. C’est une doctrine expressément autorisée : par les écrits aréopagitiques, par l’école de commentateurs