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ALEXANDRIE (ÉCOLE CHRÉTIENNE D’)


morale dont elles sont solidaires. L’éclectisme, dépourvu de tout principe régulateur, dégénérait en opportunisme conciliant, et l’œuvre de reconstitution échouait de toutes parts.

2° Le syncrétisme alexandrin. Gnose et néo-platonisme. — Alexandrie nous apparaît comme le centre le plus actif de ces mouvements intellectuels et de ces aspirations morales. Maîtres et disciples, accourus de toutes parts, se livraient à l’étude des doctrines philosophiques et gnostiques, orientales, juives et chrétiennes. Il en résultait une promiscuité des enseignements les plus disparates et la fusion des auditoires les plus divers, animés d’un commun esprit de tolérance et de conciliation. Dans cette mêlée de doctrines, il faut distinguer tout particulièrement le gnosticisme et le néoplatonisme.

La gnose élaborait, sous une forme particulièrement orientale, le mélange des éléments empruntés à la Grèce et à l’Orient. L’origine en est incertaine, l’Egypte et la Syrie y revendiquent leur part. Ce que l’on peut dire sûrement c’est que, dans Alexandrie, la gnose atteignit son plus haut point de développement et de célébrité. Vers l’an 125, le syrien Basilide se fixait dans cette ville ; Valentin paraît y être né vers la même époque. Les doctrines de l’un et de l’autre acquirent en Egypte un crédit que nous atteste toute la littérature des IIe et IIIe siècles.

La gnose cherchait à résoudre à sa manière le problème idéaliste et religieux : une de ses principales données est la notion abstraite et mystérieuse d’un Dieu indéterminé. Les historiens de la philosophie signalent cette notion comme donnant à la doctrine une physionomie étrangère à la Grèce, plus particulièrement caractéristique de l’influence orientale. Cette indétermination divine exclut toutes les qualités que nous reconnaissons aux choses créées. Parfois le dieu gnostique est le germe homogène d’où sortira, par différenciation évolutive, la variété du cosmos (évolution ascendante), mais, le plus souvent, il est l’Être suprême et innommable d’où s’écoule, par chutes et dégradations successives, le torrent des créatures (émanation descendante). C’est la doctrine de la transcendance, exagérée jusqu’à sa forme la plus absolue. La divinité demeure dans un lointain inaccessible, au sommet des créations. Entre elle et le monde, s’échelonnent des intermédiaires nombreux, des êtres qui représentent tous les degrés possibles de perfection décroissante. Pour expliquer métaphysiquement ces nuances nombreuses, on faisait intervenir la matière, principe de multiplicité, d’imperfection et de limite, opposé au principe souverain d’unité et de perfection, raison première de toute déchéance et de tout mal moral. Cette explication constituait encore le fondement d’une morale déterministe et matérialiste, dont certains traits rappellent la physique des stoïciens, tout imprégnée de fatalisme.

Mais en général, stoïcisme et gnosticisme s’opposaient par un caractère fondamental. Nous avons dit que la théodicée stoïcienne enseigne un Dieu immanent au monde ; le gnosticisme enseigne le plus souvent la doctrine d’un Dieu transcendant au monde. Par suite, il reproduit, au moins extérieurement et superficiellement, les principaux traits de l’idéalisme décrit précédemment : transcendance exagérée jusqu’à l’agnosticisme, émanation panthéiste, sauvegardant la continuité de Dieu et du monde, dualisme cosmologique, etc.

Le néo-platonisme, parallèlement au christianisme, réagit contre la gnose. Comme celle-ci, il professait la doctrine de la transcendance ; mais en même temps, il reprochait à la gnose l’excessive multiplication des émanations proprement divines, la confusion fréquente des deux éléments spirituel et sensible, et surtout son pessimisme dualiste. En dépit d’inspirations élevées, le néo-platonisme fut impuissant dans sa tentative de restauration philosophique et religieuse. Ce n’est pas à

présent le lieu d’examiner quelles furent les causes decette impuissance, quelle fut pourtant sa part d’influence doctrinale et morale, quelles furent surtout les relations de voisinage, et les échanges d’idées entre le courant néo-platonicien et le courant chrétien. Voir Platonisme.

//L mission de l’école chrétienne d’alexandrie au milieu de ces doctrines philosophiques et en FACE du gnosticisme. — La véritable réaction contre le gnosticisme est venue du christianisme, sur le domaine propre de la raison aussi bien que sur le domaine de la foi. Cette réaction est précisément la raison d’être de l’école chrétienne d’Alexandrie : par là, nous comprenons sa place dans l’histoire du développement théologique et son rôle providentiel dans les premières tentatives d’un enseignement traditionnel. C’est ainsi que l’historien du dogme doit se placer au point de vue antithétique, c’est-à-dire de l’erreur ou ensemble d’idées, qui, à un moment précis, nécessitent de nouveaux développements de doctrine et de nouvelles définitions, point de vue d’un usage nécessaire et fréquent pour l’intelligence des développements de la doctrine chrétienne.

En effet, les divers moments du développement théologique s’expliquent par les exigences du milieu et par les besoins de la controverse. L’on ne saurait se représenter exactement un pareil mouvement d’idées, comprendre l’auteur ou l’école dans lequel il a trouvé son expression, si l’on ne considère attentivement le point de vue antithétique. En outre, comme les divers témoignages de la tradition présentent, aux yeux du théologien, une signification et une autorité inégales, cette signification et cette autorité sont particulièrement déterminées par le point de vue antithétique, en d’autres termes, par la mission providentielle de l’homme ou de l’école, de l’apologiste ou du docteur, dans le moment historique donné, dans le milieu intellectuel spécial Voir dans Hurter, Theolog. gênerai., Inspruck, 1880, t. i, n. 225, la notion du triple développement : historique, modal, antithétique, et A. de la Barre, S. J., La vie du dogme catholique, Paris, 1898, p. 181. L’école chrétienne d’Alexandrie eut à réagir contre les sectes philosophiques dont nous venons de retracer l’ensemble : c’est précisément cette réaction qui doit la caractériser. Au commencement du IIIe siècle, et dans le mouvement universel de dissolution et de reconstruction, où s’agitaient les questions fondamentales de la religion naturelle et de la morale naturelle, la théologie chrétienne devait précisément affirmer ses données primitives (celles que de nos jours on réunit sous le nom d’apologétique ou de théologie fondamentale) et les présenter au monde sous l’égide de la révélation, avec l’autorité d’une tradition surnaturelle, non seulement comme un enseignement philosophique, mais encore comme une doctrine théologique.

Elle accomplit cette mission ; et telle fut la réaction contre le gnosticisme. Dans le domaine de la raison, le christianisme devait accepter la philosophie de la transcendance, tout en évitant ses excès. Pour cela, il devait affirmer : 1° un Dieu supérieur à tous les degrés de l’être (transcendance ontologique) ; 2° par conséquent un Dieu supérieur à toutes les catégories de la pensée (transcendance logique). Et telles furent les thèses les plus remarquables de la théodicée alexandrine : nous en donnerons tout à l’heure un rapide aperçu.

S’il fallut les accentuer pour réagir contre le stoïcisme et l’anthropomorphisme, l’école sut néanmoins en éviter les excès agnostiques. Dieu ne fut pas relégué dans un lointain inaccessible, dans la région du pur indéterminé, dans l’abime ténébreux des gnostiques émanatistes, disciples de Valentin. Aussi les mêmes alexandrins ont insisté : 1, sur la présence de Dieu, intime à tous les êtres, parfaitement conciliable avec sa transcendance ontologique ; 2. sur la connaissance de Dieu au