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ALEXANDRE DE HALES

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de Halés eut l’avantage de posséder à peu près tous les ouvrages d’Aristote. Jourdain, Recherches sur les anciennes traductions latines d’Aristote, 2e édition, Paris, 1813 ; Vacant, Les versions latines de la morale à Nicomaque, Paris, 1885. Encouragé sans doute par le décret de Grégoire IX du 23 avril P231, qui permettait d’expliquer de nouveau dans l’université de Paris tous les ouvrages d’Aristote, Potthast, Begesta pont. Rom., n. 8719 ; Denille, Chartul., n. 87, p. li-3, il prit aussi, vis-à-vis de ces ouvrages, une autre attitude que ses devanciers. Guillaume de Paris, qui écrivait vingt ans auparavant, traitait ordinairement Aristote en adversaire et le combattait. Alexandre de Halés en appelle au contraire à l’autorité de ce philosophe. Il invoque assez fréquemment ses écrits. Cependant il ne les invoque le plus souvent qu’en passant et pour confirmer des doctrines établies par ailleurs. Il ne s’inspire pas moins de la philosophie de saint Augustin que de celle d’Aristote. Endres, Des Alexander von Haies psi/cltologische Lehre dans Pliilos. Jahr., 1888 ; De Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, p. 251, 2." ». Il possède en latin le De anima du philosophe de Stagire. Cependant, dans une question consacrée tout entière à la définition de lame, part. II, q. i.ix, il propose sept ou huit définitions, sans en demander aucune à Aristote. Il ne dit pas, comme fera bientôt saint Thomas, que l’âme est la forme du corps, mais qu’elle est unie au corps ad niodum formas cum materia. Il admet et concilie ensemble les diverses divisions de Yintellectus, qu’il lit dans saint Augustin, saint Jean Damascène et Aristote. Parfois, d’ailleurs, il connaît ce dernier par des interprétations d’Avicenne qui seront bientôt rejetées. Outre un intellect agent et un intellect possible, il admet, par exemple, avec Avicenne, un intellect matériel, part. II, q. lxix, m. ii a. 2. On pourrait dire qu’Aristote est un de ses maîtres en philosophie, mais qu’il suit plus souvent les interprétations d’Avicenne que le texte même du philosophe grec. En théologie, Aristote n’est son maître à aucun titre. Il ne voit pas en lui un adversaire ; mais il n’appuie aucune conclusion sur ses principes. Les maîtres préférés d’Alexandre, en théologie, sont saint Augustin, saint Jean Damascène, Hugues de Saint-Victor, saint Bernard, saint Anselme. Cependant, même dans les questions toutes théologiques, Alexandre trahit son esprit philosophique par ses développements sur la nature intime des choses. Cela ressort de la simple indication que nous avons donnée plus haut des sujets sur lesquels il s’est arrêté avec le plus de prédilection.

2° La manière dont Alexandre de Haie/ ; étudie chaque question particulière, est plus caractéristique. Elle dillère de la méthode plus ou moins oratoire usitée avant lui. Non seulement il fait connaître sur chaque point le pour et le contre, à la façon d’Abélard ; non seulement il cherche, comme Pierre Lombard, à déterminer ce qu’il y a de vrai dans le pour et le contre et à concilier ainsi dans une sorte de synthèse les opinions discordantes ; il partage encore la matière en autant de divisions et de subdivisions qu’il en faut pour l’épuiser et que l’exige une complète clarté ; il étudie enfin chaque membre de ces subdivisions à part. Dans chaque article, il énumère séparément toutes les autorités qui militent en faveur d’une solution et toutes celles qui militent en laveur de la solution contraire ; il propose ensuite sa solution ; il termine en revenant sur les autorités contraires énumérées au début, pour les combattre et, le plus souvent, pour les expliquer. On reconnail la méthode suivie constamment par saint Thomas d’Aquin et dont Alexandre de Halés peut être regardé comme le père. Suivant la comparaison du pape Alexandre IV, dans sa bulle du 28 juillet, les arguments de la somme de Halés présentent l’aspect d’une armée rangée en bataille pour écraser de son poids les arguments de l’erreur : I)i qua sententiarum irrefragabilium ordinatae

sunt actes ad obterendam veritatis pondère contentiosæ pervicaciam falsitatis. Mais, comme nous nous en sommes déjà aperçus, Alexandre, qui découvre souvent avec sagacité les traits communs des doctrines qui se ressemblent, cherche aussi parfois à concilier des opinions disparates.

Sa méthode est donc trop éclectique. Cet éclectisme le porte encore à multiplier les preuves et les autorités, au lieu de se borner aux meilleures. Comme, d’autre part, il s’arrête volontiers à toutes les questions qui l’intéressent, sa somme a pris des proportions extrêmement considérables. Dans sa bulle du 28 juillet 1256, le pape Alexandre IV l’appelle complexam. Il nous apprend que, même à cette époque, les délicats la trouvaient prolixe ; mais que les frères mineurs qui l’étudiaient et sentaient l’utilité de toutes ses parties la jugeaient brève : Prolixilatem quippe, si cjuam ineadem summa lector delicatus abhorret, studiosis vobis in ea sic reddit continua partium snarum utilitas brevem. Roger Bacon, qui était pourtant franciscain, appréciait, quelques années plus tard, avec beaucoup moins de respect, cette lourde somme, dont un cheval aurait plus que sa charge, quæ est plus quam pondus unius equi. Opus minus, Londres, 1859, p. 326.

V. Doctrine.

La doctrine d’Alexandre a toujours été regardée comme une doctrine sûre. Elle n’a été l’objet d’aucune condamnation. Elle a reçu au contraire les plus grands éloges du pape Alexandre IV qui la traite d’irréfragable, sententiarum irrefragabilium, et appelle Alexandre un homme plein de Dieu, Deo plenus, nemo enim nisi in spiritu Dei loquens œternse veritatis mysteria ex inquisitionis indagine alligisset. Bulle du 28 juillet 1256, loc. cit.

Le premier docteur franciscain a vécu à une époque où la synthèse de la théologie s’élaborait ; il a contribué puissamment à cette synthèse en inaugurant la méthode qui devait l’amener, en préparant les matériaux qui devaient y entrer, en posant des questions nouvelles qui devaient y être résolues ; mais il n’a pas lui-même produit cette synthèse, ni donné beaucoup de solutions définitives et destinées à lui survivre. Il n’a fait école que de son temps. La Somme de saint Thomas supplanta la sienne, et l’école particulière des enfants de saint Erançois qu’il avait tant honorés, se rattacha à Duns Scot et à saint Bonaventure qui avaient utilisé les travaux d’Alexandre, non à Alexandre lui-même. Celui-ci fut, à partir du second tiers du xiiie siècle, un théologien respecté, mais peu étudié et même peu consulté. Roger Bacon dit que sa somme pourrit sans lecteurs chez les franciscains. Exemplar apud fratres putrescit et jacet inlaclum. Opéra médita, Londres, 1859, t. i, p. 326. Il n’en est fait aucune mention dans la liste des ouvrages qu’on mettait aux mains des étudiants, à Paris, à la fin du xin c siècle. Denille, Chartul. univ. Paris, t. i, a. 530, p. 6H sq.

On trouvera, dans les articles spéciaux de ce dictionnaire, les principales opinions qu’il formula, avec ses contemporains, sur les questions qui s’agitaient alors. Nous avons déjà iiv col. 175 et 189, ce qu’il pensait du rôle de la contrition et de l’absolution dans le sacrement de pénitence. Nous nous bornerons ici à signaler quelques particularités intéressantes de sa doctrine et quelques théories qu’il a conçues et qui ont vécu jusqu’aujourd’hui.

I" Conception de la sainte Vierge. — Il étudie dans son troisième livre, q. ix, m. ii la question du premier moment de la sanctification de la sainte Vierge. On lui attribue d’avoir admis le dogme de l’immaculée conception, dont les franciscains devaient être plus tard les champions. La vérité est que, sans le dire expressément, il suppose que la sainte Vierge a dû être sanctifiée des le premier instant de l’existence de son Ame raisonnable. Mais comme iladinet quelecorpsde Marie, aussi bien que :