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ALEXANDRE VIII, PROPOSITIONS CONDAMNÉES PAR LUI


qxtement parlant, y a-t-il incompatibilité entre l’ignorance invincible de Dieu et la position d’un acte humain qui vérifierait la notion du péché philosophique ?

II. Propositions condamnées le jeudi 7 décembre 1690. — Malgré la réprobation des cinq propositions de Jansénius, sous Innocent X, le 31 mai 1653, et le formulaire prescrit par Alexandre VII le 15 février 1664, les jansénistes n’avaient pas cessé de répandre, surtout en Belgique, un grand nombre de livres remplis de leurs erreurs. Dans plusieurs chaires de théologie, des professeurs se montraient plus ou moins entachés de baïanisrne et de jansénisme : tels, à Louvain, Jean Sinnich, François van Vianen, Libert Fromond, Gérard van Werm, Christian Lupus ; à Bruxelles, Gilles de Gabriel ; à Anvers, Macaire llavermans et Jean de Witte. En 1680, l’archevêque de Malines et les autres évêques des Pays-Bas dénoncèrent à Rome ces tendances et ces erreurs. Leur principal agent fut le cordelier Patrice Duffy, alors professeur de théologie à l’université de Louvain ; il fut chargé de présenter à la censure romaine un mémoire qui contenait quatre-vingt-seize propositions. Les députés de l’université firent tous leurs efforts pour détourner le coup, ils ne purent cependant pas empêcher que trente et une des propositions en fussent condamnées en ces termes :

Quibus mature consideratis, idem SS. statuit et decrcvit Uiginta et unam supradictas propositiones, tanquam temerarias, scandalosas, maie sonantes, injuriosas.hæresi proximas, hæresim sapientes, erroneas, schismaticas et hæreticas, respective esse damnandas et pruhibendas, sicut eas damnât et prohibet.

Toutes choses ayant été mûrement considérées, le même Saint-Père a jugé et déclaré que les trente et une propositiuns susdites méritaient d’être condamnées comme téméraires, scandaleuses, mal sonnantes, injurieuses, approchant de l’hérésie, sentant l’hérésie, erronées, schismatiques et hérétiques, le tout respectivement ; et comme telles il les condamne et les défend.

Le tout respectivement, c’est-à-dire que chaque proposition mérite une ou plusieurs des qualifications exprimées. Laquelle ? Aux théologiens de le déterminer, soit d’après les principes généraux qui règlent la matière, soit d’après d’autres documents où la censure serait spécifiée.

Il faut encore remarquer ces paroles, ajoutées après l’énumération des peines canoniques qu’encourraient les violateurs de l’acte ponlilical :

Non intendit tamen Sanctitas Sa Sainteté ne prétend pas

sua per hoc decretum alias toutefois, par ce décret, ap propositiones in majori nu— prouver les autres propositions

mero ultra supradictas triginta qui lui ont été présentées en

et unam jam exhibitas, et in plus grand nombre que celles hoc decreto non expressas, ci, et qui ne sont pas expri appiobare. mées dans le présent décret.

Les jansénistes essayèrent d’énerver la force de ce décret, en traitant la censure d’ambiguë ou en prétendant qu’un certain nombre des propositions condamnées avaient été forgées à plaisir et faussement imputées à leurs prétendus auteurs. Tel surtout Antoine Arnauld, dans ses Difficultés proposées à M. Steyært, IXe part., 96° difficulté, in-12, Cologne, 1693. Tel encore l’auteur anonyme d’une brochure intitulée : Décret de l’Inquisition fie Borne sur XXXI propositions, avec une Lettre écrite à un prélat de la cour de Rome sur eo snjii, in-12, Cologne, 1691. Il importe donc de déterminer le sens exact des propositions et de connaître leurs auteurs à l’aide de quelques documents historiques. Le principal est un ouvrage rare qui a pour titre : Doclriua theologica per Brlgium manans ex academia Lovaniensi ab anno 1644 usque ad annum iiill, in partes sen specimina quatuor diç/esta per tlteoloyos Beli/tts fidei orthodoxe} et apostolicarum constitutionum studiosos, in-i", Mayence, 1681. Ce document est généralement cité sous ce litre abrégé : Spécimen doclrinse

theologicse… Vient ensuite un commentaire sur les propositions condamnées, publiées par Martin Steyært, docteur de Louvain, contemporain des événements, sous ce titre : Novilas ulrimque de novo repressa per decretum duplex SS. D. N. Alexandri VIII, Louvain, 1691. On retrouve ce commentaire dans les Opuscula du même auteur, Louvain, 1715, t. I, p. 331 sq. L’avantage de Steyært, c’est qu’il a utilisé le Mémoire du P. DulTy.

1. In statu naturae Iapsæ ad Dans l’état de la nature dépeccatum formale et demeritum chue, pour pécher formellesuflîcit illa libellas qua volun— mont et démériter, c’est assez tarium ac liberum fuit in causa de la liberté par laquelle le sua, peccato originali et volun— péché a été volontaire et libre tate Adami peccantis. dans sa cause, savoir, dans le

péché originel et la volonté d’Adam commettant le péché.

La doctrine, exprimée dans cette proposition et dans celle qui suit, venait de Jansénius. Dans son Augustinus, 1. II, De statu nal. lapsæ, c. ii-vi, il avait soutenu que l’ignorance invincible du droit naturel n’empêche point qu’on ne pèche, et pour montrer comment il y avait alors assez de volontaire et de liberté pour constituer un péché, il avait eu recours à la volonté du premier homme, cause libre de cette ignorance et des désordres qui en résultent. Cette doctrine de Jansénius s’était maintenue parmi ses partisans des Pays-Bas, Sinnich, Havermans, prémontré, Gilles de Gabriel, tertiaire de l’ordre de Saint-François, et autres. Spécimen doctrinse, p. 15-17, 65-66. Elle est hérétique dans ses conséquences et en elle-même. A s’en tenir à une pareille explication du volontaire et de la liberté, les mouvements même indélibérés de la concupiscence ont tout ce qu’il faut pour constituer un péché formel ; ce qui contredit l’enseignement authentique du concile de Trente, sess. V, can. 5, et a été positivement réprouvé dans les propositions 50 et 51 de Baius. Denzinger, Enchiridion, n. 930-931. En elle-même, cette explication contredit la notion catholique de la liberté d’indifférence, libertas a necessitate, requise dans l’état de la nature déchue pour que l’homme puisse mériter ou démériter, ce que l’Eglise a défini en condamnant la troisième proposition de Jansénius. Denzinger, n. 968. Cette liberté d’indifférence s’applique aux actes qui sont objet de mérite ou de démérite pour chacun personnellement ; par suite, elle exige une volonté’strietement personnelle : Ad culpam personse reqniritur voluntas personne, sicut patet in culpa actuali, quie per actitm personæ committitur. S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. XXX, q. I, a. 2.

2. Tametsi detur ignorantia Supposé qu’il y ait une invincibilisjuris naturæ ha ? c in ignorance invincible du droit statu naturae lapsæ operantem naturel, elle n’excuse point ex ipsa non excusât a peccato d’un péché formel celui qui formait. agit par cette sorte d’içrno rance dans l’état de la nature déchue.

Il est facile de comprendre cette seconde proposition après ce qui a été dit de la première ; elle comptait, en général, les mêmes partisans, mais la doctrine qu’elle énonce avait été tout particulièrement soutenue à Anvers par Jean de Witte, les 13 et 14 juillet 1671, et par llavermans, les 12 et 13 juillet 1672. Spécimen doctrinse, p. 61-69. Démarque importante, l’objet de cette seconde proposition n’était pas de savoir s’il y a de fait ignorance invincible du droit naturel, mais si dans la supposition de celle sorte d’ignorance il y aurait encore pioché formel. La réponse affirmative suivait du principe énoncé dans la première proposition, mais, par le fait même, cette seconde proposition est erronée. La notion du volontaire est essentielle au péché’formel, l’Fglise l’a rappelé eu condamnant la 46’proposition de Baius, Denzinger, n. 926 ; et quand il s’agit d’un péché personnel, le volontaire doit être également personnel, or,