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ALEXANDRE VIII, PROPOSITIONS CONDAMNÉES PAR LUI


thèses, seu propositiones, umm denuo, et in majorem fidelium perniciem suscitari ; alteram de novo erumpere…

1. Bonitas objectiva consistit in convenientia objecti cum natura rationali ; formalis vero in conformitate actus cum régula morum. Ad hoc sufficit, ut actus moralis tendat in finem ultimum interprétative : hune homo non tenetur amare neque in principio, neque in decursu vita ? suoe moralis.

deux thèses ou propositions, dont l’une a été ressuscitée, pour le plus grand mal des fidèles, et l’autre est nouvellement apparue…

La bonté objective consiste dans la conformité de l’objet avec la nature raisonnable ; la bonté formelle consiste dans la conformité de l’acte avec la règle des mœurs. Il suffit pour cela que l’acte moral tende à la fin dernière d’une façon interprétative ; cette fin même, on n’est tenu de l’aimer ni au début ni au cours de sa vie morale.

Sa Sainteté, après avoir pleinement et mûrement considéré toutes choses, a déclaré la première thèse ou proposition hérétique et digne à ce titre d’être condamnée et prohibée…

… Sanctissimus, omnibus plene et mature consideratis, primam thesim, seu propositionem declaravit hæreticam, et uti talem damnandam et prohibendam esse…

Cette proposition avait été soutenue par un bachelier en théologie, le 14 janvier 1689, au collège des jésuites de Pont-à-Mousson. Ceux-ci ne tardèrent pas eux-mêmes à la censurer. L’année suivante, elle fut dénoncée à Rome par Antoine Arnauld, comme renouvelant une erreur déjà condamnée. Voir Sommervogel, Biblioth. de la Compagnie de Jésus, t. v, col. 1472. La chose était manifeste. En opposant à l’amour formel de la fin dernière, de Dieu par conséquent, cet amour virtuel ou interprétatif qui se trouve dans tous nos actes moraux, cette proposition niait pour tout le cours de la vie morale la nécessité d’un acte d’amour de Dieu proprement drt. Comme la vie morale commence avec le plein usage de la raison, il s’en suivait que jamais ici-bas on n’était tenu de faire un acte d’amour proprement dit à l’égard de Dieu, fin dernière. C’était simplement renouveler l’erreur déjà condamnée par Alexandre VII, le 24 septembre 1665, première proposition : « A nul moment de la vie on n’est tenu de faire un acte de foi, d’espérance et de charité en vertu des préceptes divins qui se rapportent à ces vertus. » Denzinger, n. 972. Voir aussi les propositions 5, 6 et 7 condamnées par Innocent XI, le 2 mars 1679. Ibid., n. 1022-1024. Bien plus, sous la forme où se présentait la thèse du bachelier de Pont-àMousson, elle était nettement et directement opposée au précepte fondamental du Décalogue : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit. C’est là le plus grand et le premier des commandements. » Matth., xxil, 37-38. La proposition méritait donc la note d’hérésie. Mais cette note ne tombe que sur celui qui nierait l’obligation d’un acte formel de charité pour le début et le cours de la vie morale tout à la fois. Un grand nombre de théologiens soutiennent, il est vrai, cette obligation pour le début même de la vie morale, S. Thomas, Sum. theol., I a II æ, q. Lxxxiii, a. 2, ad 5um ; mais cette opinion, si respectable qu’elle soit, n’est pas chose de foi.

2. Peccatum philosophicum seu morale est actus humanus disconveniens naturae rationali et rectae rationi ; theologicum vero et mortale est transgressa libéra divinae legis. Philosophicum, quantumvis grave, in illo, qui Deum vel ignorât vel de Deo actu non cogitât, est grave peccatum, sed non est offensa Dei neque peccatum mortale dissolvens amicitiam Dei, neque œterna pœna dignum.

…Sanctissimus… secundam thesim, seu propositionem de Le péché philosophique ou moral est un acte humain qui répugne à la nature raisonnable et à la droite raison ; le péché théologique et mortel est une transgression libre de la loi divine. Le péché philosophique, quelque grief qu’il soit, dans celui qui ne connaît pas Dieu ou ne pense pas actuellement à Dieu, est bien un péché grave, mais ce n’est pas une offense de Dieu ni un péché mortel qui fasse perdre son amitié et mérite la peine éternelle.

Sa Sainteté a déclaré la seconde thèse ou proposition

claravit scandalosam, temerariam, piarum aurium offensivam, et erroneam…

scandaleuse, téméraire, blessante pour les oreilles pies, et erronée Ce fut encore Arnauld qui, dans cinq Dénonciations successives, releva cette proposition, comme soutenue au collège des jésuites de Dijon, en 1686, par le P. François Musnier, puis en Belgique, soit à Louvain, soit notamment à Anvers, en 1690, par le P. Alexandre Mæs. Voir, pour la bibliographie relative à cette controverse, Sommervogel, ouv. cité, t. v, col. 288, 1470-1473. Ce n’est pas le lieu de discuter la valeur historique de l’accusation ; il suffit de signaler une lettre publique du P. Musnier, rapportée par d’Argentré dans sa Collectio judiciorum, t. iii, IIe part., p. 355. Le professeur de Dijon y déclare qu’il n’avait pas voulu donner une « proposition absolue », mais qu’il avait parlé « par forme d’hypothèse ».

Quoi qu’il en soit de l’histoire, pour avoir le sens exact de la condamnation, il faut prendre la proposition telle qu’elle fut jugée à Rome, c’est-à-dire dans les termes mêmes où elle avait été dénoncée, ut jacet. Elle se présente alors comme une proposition absolue, dont la seconde partie conclut au péché purement philosophique « dans celui qui ne connaît pas Dieu ou ne pense pas actuellement à Dieu ». Aucune distinction n’est faite entre l’ignorance vincible et l’ignorance invincible de Dieu, ni entre l’inadvertance dont on est responsable et celle dont on ne l’est pas. Rien ne laisse à entendre qu’on répudie pratiquement, dans l’ordre où nous sommes, l’ignorance invincible de Dieu ou l’inadvertance dont on n’est pas responsable. Dans ces termes, la proposition déférée à Rome méritait d’être gravement censurée. Elle était téméraire, comme opposée au sentiment commun des Pères et des théologiens. Elle était blessante pour les oreilles pies, et même scandaleuse, parce qu’il y a quelque chose qui sonne mal, quelque chose de choquant et propre à fournir une occasion de ruine spirituelle dans une proposition dont la forme absolue permettrait facilement de croire que, grâce à cette ignorance de Dieu ou à cette inadvertance, une partie des crimes qui se commettent, soit par les chrétiens, soit par les infidèles, ne seraient point des offenses de Dieu, et ne mériteraient ni sa haine, ni la peine éternelle. Enfin la thèse était erronée, c’est-à-dire opposée, au moins médiatement, aux données de la foi. Celle-ci nous apprend que Dieu, législateur suprême, défend tout ce qui répugne à la nature raisonnable et à la droite raison ; toute violation formelle de cette défense est une offense de Dieu. De même, la foi et la raison nous disent assez que, du moins dans l’ordre actuel et moralement parlant, il ne saurait y avoir par rapport à Dieu, législateur suprême, ignorance invincible ou inadvertance suffisante pour rendre irresponsable. Comme le dit fort bien saint Alphonse, Theol. mor., 1. V, n. 11, « celui qui sait que son action répugne à la nature raisonnable, connaît aussi suffisamment, d’une manière au moins confuse, l’injure qu’il fait à Dieu, auteur de la nature. » Il ne saurait donc y avoir, dans l’ordre actuel, d’acte humain contraire à la nature raisonnable et à la droite raison, péché philosophique, qui ne soit en même temps transgression libre de la loi divine ou offense de Dieu, péché théologique. Or, la proposition condamnée, prise à la lettre, énonçait l’opposé.

Tout autre est la question de savoir si, dans la pure hypothèse où quelqu’un poserait un acte humain en le sachant contraire à la nature raisonnable et à la droite raison, mais en ignorant invinciblement Dieu, il y aurait encore offense de Dieu, et par suite péché théologique ? On peut le nier, sans tomber sous la censure pontificale ; celle-ci n’a pas atteint cette vieille controverse, pas plus que cet autre problème, agité dans l’École depuis comme avant la condamnation d’Alexandre VIII : Métaphysi