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ALEXANDRE VI


Au mois de septembre 1494, Charles VIII pénétrait en Italie. Malgré son ardent désir de s’opposer à l’entreprise de Charles, Alexandre dut le recevoir à Rome et lui donner passage par ses États. En retour, Charles lui prêta serment d’obédience comme au vicaire de Jésus-Christ. En 1495, les affaires du pape prirent une meilleure tournure : la ligue dont il faisait partie chassa les Français de Naples. Mais l’année suivante, il ne put arriver à punir les Orsini de l’abandon où ils l’avaient laissé en face de Charles VIII.

En 1497, il fut frappé au cœur par la mort tragique de son fds chéri, Juan, duc de Gandia. Dans la nuit du 14 au 15 juin, Juan fut mystérieusement assassiné et son cadavre jeté au Tibre. Le pape fut atterré ; il résolut de « ne songer dorénavant qu’à son propre amendement et à celui de l’Église ». (Discours du consistoire du 19 juin.) Dans le même consistoire, il nomma une commission de six cardinaux pour la réforme de l’Église. Alexandre n’avait que trop besoin de s’amender : peu après la mort du duc de Gandia, il lui naissait un autre enfant qu’il nomma Juan, peut-être en souvenir du défunt. Mais ses bonnes résolutions furent de courte durée. Dans la suite, il continua d’entretenir des relations coupables avec Julie Farnèse et probablement avec d’autres personnes. Dans la gestion des affaires publiques et le gouvernement de l’Église, il se préoccupa plus que jamais des intérêts de sa famille et il devint l’esclave de son fds César.

A la même époque, il se délit de son plus redoutable adversaire. Depuis longtemps déjà, le dominicain Jérôme Savonarole tonnait contre lui à Florence. Savonarole était un moine de mœurs austères ; mais il prenait une part trop grande au gouvernement de Florence, et ses projets avaient en outre quelque chose de chimérique et d’outré. De plus, si le pape n’était pas estimable, la papauté jouissait encore d’un grand prestige. Alexandre parvint donc à se débarrasser de son ennemi : le 23 mai 1498, Savonarole (’tait brûlé comme hérétique à Florence, sur la place du Palais-Vieux.

Les cinq dernières années du pontificat (1498-1503) furent remplies de combinaisons politiques où se trouvaient mêlés la France, l’Espagne, l’Empire et les petits États italiens. César Borgia devint alors le personnage le plus en vue dans l’entourage du pape. Le 17 août 1498, il renonçait à la pourpre ; peu après, Louis XII le créait duc de Valentinois. Le 25 septembre 1498, Alexandre décidait de l’envoyer conquérir la Romagne. Depuis longtemps, les petits seigneurs y étaient arrivés à se rendre presque complètement indépendants de Rome : le pape déclara qu’il voulait ramener ce pays sous son obéissance et reconstituer ainsi le patrimoine de l’Église. Mais, en réalité, après une série de campagnes heureuses, César fut nommé duc de Romagne (1501).

En 1502 et 1503, il poursuivit le cours de ses succès militaires, et se rendit non moins célèbre par ses assassinats, ses empoisonnements et ses concussions. Tout, jusqu’au pape, tremblait devant lui. Mais, le 18 août 1503, Alexandre mourait inopinément, et ruinait ainsi les vastes projets de son fds.

Alexandre VI était brillant cavalier, grand, bien fait, d’une santé robuste, l’air noble, d’une tenue pleine de dignité, d’une éloquence séduisante et d’un caractère aimable et enjoué. Ces avantages extérieurs ont toujours été prisés des Italiens : ils expliquent, en partie, la fortune du cardinal Borgia. Son instruction était moyenne, mais il était d’une haute intelligence, d’un naturel retors et merveilleusement apte au maniement des affaires. Toutefois, arrivé à la papauté, il se montra, dans mainte circonstance, sans décision et sans énergie.

Du reste, Alexandre VI eût-il correspondu de tout point à l’idéal que Machiavel et l’Italie se faisaient du Prince, cela eût peu contribué à le rendre digne d’être

pape. En fait, il est peut-être celui qui a le plus déshonoré le souverain pontificat. Il fut ambitieux et immoral. Tous les moyens lui furent bons pour arrivera posséder les richesses et les honneurs de l’Église ; il ne considéra jamais son caractère sacré que comme une dignité tout extérieure et ne lui imposant aucun devoir. A l’époque, il est vrai, ces défauts étaient communs à la plupart des grands personnages de l’Église romaine ; autrement, il ne se fût jamais trouvé dans le Sacré-Collège une majorité » capable de donner sirnoniaquement la tiare à un cardinal concubinaire, père de plusieurs enfants naturels ouvertement reconnus. Toutefois, à cause du haut rang où il fut placé, à cause de l’absence presque complète de sens moral qu’il porta dans ses désordres et dans son favoritisme pour les membres de sa famille, à cause enfin de sa persistance dans le vice après son élévation à la papauté, Alexandre VI mérite d’être spécialement flétri.

Par contre, pour coupable qu’il fût, il faut se garder d’ajouter foi aux monstruosités romanesques dont on a accablé sa mémoire. Si César fit plus d’une fois usage du poison, il est impossible de prouver qu’Alexandre y ait recouru ; l’empoisonnement de Djem, en particulier, paraît de plus en plus être une calomnie : ce prince dut mourir de mort naturelle (25 février 1495). De même, si Alexandre aima beaucoup sa fille Lucrèce, si, dans l’été de 1501, il poussa l’oubli des convenances jusqu’à lui laisser l’administration du sacré palais, toutes les apparences sont contre les soupçons odieux que l’on a voulu jeter sur les relations du père et de la fille.

Les accusations qui circulentsur lesenfantsd’Alexandre, en particulier sur César et sur Lucrèce, contiennent également une part assez considérable de légende. Condottiere, César eut les mœurs militaires de l’époque : sa morale publique et privée ne valait pas mieux, mais elle ne valait guère moins que celle des gens de son espèce. Il avait une grande intelligence et avait reçu une culture variée ; à beaucoup de distinction naturelle, il joignait un caractère enjoué. En un mot, il n’était point le brigand répugnant qu’on s’est plu à peindre aux siècles suivants. Parmi les crimes dont on l’a accusé, les deux plus monstrueux semblent ne lui être pas imputables : le meurtre de son frère, le duc de Gandia (14-15 juin 1497), et la tentative d’assassinat sur Alphonse de Bisceglia, second mari de Lucrèce (15 juillet 1500).

Pour cette dernière, elle ne fut pas le modèle de vertu qu’en ont voulu faire quelques panégyristes : on connaît aujourd’hui le nom d’un amant, Peroto, dont elle eut un enfant (1498), et il est possible qu’elle ait eu d’autres relations coupables. Mais elle ne fut en rien l’héroïne du poignard et du poison qu’en ont faite les romanciers : c’était une femme enjouée qui, bien loin d’imposer la terreur par la violence de ses passions, ne montra guère que de la mollesse et de l’indécision. Son divorce avec son premier mari, Jean Sforza, fut moins son œuvre que celle d’Alexandre et de César ; du reste, Sforza était un brigand et il était loin de la valoir. Elle aima beaucoup Alphonse, son second mari, ainsi que le troisième, Alphonse d’Esté, duc de Ferrare ; elle mena de tous points une vie exemplaire pendant toute la durée de cette dernière union (1501-1519).

Les calomnies répandues sur la famille Borgia remontent, en général, aux pamphlets qui circulaient dans Rome au temps d’Alexandre. César se vengea quelquefois d’une manière sauvage de ceux qui avaient écrit contre lui. (Voir Burchard, Diarium, édit. Thuasne, t. iii, p. 173 ; Pastor, Histoire des papes, t. vi, p. 105.) Mais Alexandre laissa constamment la liberté la plus absolue de tout dire et de tout écrire.

Les mœurs et la politique mises à part, le gouvernement d’Alexandre fut généralement profitable à l’Église. Ce pape se montra toujours gardien vigilant de la doctrine ; il donna plusieurs bulles sur des questions de