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ALBERT LE GRAND

des connaissances humaines déjà acquises, créer une nouvelle et vigoureuse poussée intellectuelle dans son siècle, et gagner définitivement à Aristote les meilleurs esprits du moyen âge.

L’action d’Albert et son succès furent énormes, de son vivant même et après sa mort. Ulrich Engelbert, un de ses auditeurs, traduit ainsi l’étonnement où l’œuvre d’Albert jeta ses contemporains, quand il définit son maître : Vir in omni scientia adeo divinus, ut nostri temporis stupor et miraculum congrue vocari possit. De summo bono, tr. III, c. iv.

Le témoignage des principaux adversaires que trouva Albert de son vivant est surtout à retenir, car plus que toute autre donnée il est significatif. Siger de Brabant, le chef de l’averroïsme parisien, ne nomme, pour les combattre, que deux contemporains, Albert et Thomas, qu’il qualifie ainsi : Præcipui viri in philosophia Albertus et Thomas. De anima intellectiva, iii, p. 94. Roger Bacon, le critique passionné et injuste d’Albert, nous montre à quel degré d’influence et de renommée l’œuvre du maître était parvenue quand, en 1266, il écrit ces paroles : « La foule des gens d’étude, des hommes réputés auprès de beaucoup pour très savants, et un très grand nombre de personnes judicieuses estiment, bien qu’elles se trompent en cela, que les latins sont déjà en possession de la philosophie, qu’elle est complète et écrite dans leur langue. Elle a été, en effet, composée de mon temps et publiée à Paris. On cite son auteur comme autorité, car de même que dans les écoles on allègue Aristote, Avicenne et Averroès, ainsi fait-on avec lui. Et cet homme vit encore, et il a eu, de son vivant, une autorité qu’aucun homme n’eut jamais en matière de doctrine. » Opera, édit. Brewer, p. 30.

Cette influence d’Albert se constate en outre dans les écrits du xiiie siècle et des siècles suivants, où les productions de tout ordre ne cessent de lui faire des emprunts. Cette persuasion de l’universalité scientifique d’Albert alla même à lui faire attribuer un grand nombre d’ouvrages à la composition desquels il est certainement étranger, et spécialement les ouvrages d’alchimie, de magie et autres sciences occultes pour lesquelles Albert n’eut jamais de goût. Le cycle de légendes, toutes plus merveilleuses les unes que les autres, qui se forma autour du nom d’Albert sont aussi la conséquence de la réputation sans pareille qu’il s’était faite chez ses contemporains dans le domaine des sciences physiques et naturelles.

ii. influence d’albert sur la théologie. — L’action d’Albert dans le domaine de la théologie a été moins éclatante que dans celui de la philosophie. C’est lui cependant qui a inauguré le mouvement dont saint Thomas d’Aquin est devenu le chef. Albert a le premier utilisé les nouvelles connaissances philosophiques pour les mettre au service de la constitution d’un corps de théologie. S’il n’a eu dans ses essais ni la réserve ni la fermeté de Thomas d’Aquin, manquant de son génie sobre et synthétique, il n’a pas hésité néanmoins sur le parti que la science sacrée pouvait tirer de la science profane. Dans cette tentative, il a substitué les conceptions philosophiques d’Aristote à celles de Platon qui formaient en différents points la substruction du dogme augustinien, et a préparé la voie à Thomas d’Aquin, le disciple dont la réputation a surpassé et effacé la sienne.

Albert n’a pas constitué, à proprement parler, une école théologique indépendante. Thomas, qui a repris et poussé à un degré bien autrement supérieur la direction qu’il avait inaugurée, a donné son nom et son cachet définitif à la nouvelle direction théologique que l’Église catholique a considérée comme s’identifiant le mieux à son enseignement officiel.

Il se forma à Cologne, dans le cours du xve siècle, une école albertiste. Elle était représentée spécialement par le collège Laurentien (bursa Latirentii), tandis que le collège du Mont suivait saint Thomas. Heymeric van de Velde (de Campo) écrivit trois traités sur la philosophie d’Albert le Grand pour l’opposer à celle de saint Thomas. L’ordre des frères prêcheurs fut étranger à cette tentative qui traduit l’état de décadence où étaient tombées les sciences philosophiques et théologiques.

A. et Ch. Jourdain, Recherches critiques sur l’âge et l’origine des traductions latines d’Aristote, Paris, 1843, p. 310-358 ; Fr. Rogeri Bacon opera quædam hactenus inedita, édit. J. S. Brewer, Londres, 1859, p. 30 sq., 327 et passim ; P. Mandonnet, Siger de Brabant et l’averroïsme latin au xiiie siècle, Fribourg (Suisse), 1899, passim, surtout les deux premiers chapitres ; O. d’Assailly, Albert le Grand, l’ancien monde devant le nouveau, Paris, 1870 ; Reinhard de Liechty, Albert le Grand et saint Thomas d’Aquin, ou la science au moyen âge, Paris, 1880 ; G. von Hertling, Albertus Magnus, Beitädge zu seiner Würdigung, Cologne, 1881 ; J. Bach, Des Albertus Magnus Verhältniss zu der Erkenntnisstehre der Griechen, Lateiner, Araber und Juden, Vienne, 1881 ; K. Zell, Albertus Magnus als Erklärer der Aristoteles (Der Katholik, t. lxix, p. 166-178) ; G. Endriss, Albertus Magnus als Interpret der Aristotelischen Metaphysik, Munich, 1886 ; M. Joël, Verhältniss Albert des Grossen zu Moses Maimonides, Breslau, 1863 ; B. Haneberg, Zur Erkenntnisslehre von Ibn Sina und Albertus Magnus (Abhandlungen Bayer-Akad. Wissensch., Munich, 1866-68, XI, i, 189-268) ; H. de Blainville, Histoire des sciences de l’organisation et de leurs progrès, Paris, 1845, t. ii, p. 1-95 ; F.-A. Pouchet, Histoire des sciences naturelles au moyen âge, ou Albert le Grand et son époque considérés comme point de départ de l’école expérimentale, Paris, 1853 ; L. Choulant, Albertus Magnus in seiner Bedeutung für die Naturwissenschaften, historisch und bibliographisch dargestellt (Janus, Zeitschrift für Geschichte und Literatur der Medicin, 1846, p. 127-160, 687-690) ; Bormans, Mémoire sur les livres d’histoire naturelle d’Albert le Grand (Bulletin de l’Académie royale de Belgique, xix, 1852) ; F. X. Pfeifer, Harmonische Beziehungen zwischen Scholastik und moderner Naturwissenschaft mit spezieller Rücksicht auf Albertus Magnus und Thomas von Aquino, Augsbourg, 1881 ; E. Meyer, Albertus Magnus ein Beitrag zur Geschichte der Botanik im xiii Jahrhundert (Linnäa, 1836, t. x, p. 641-741 ; 1837, t. xi, p. 545), J. Meyer, C. Jessen, Alberti Magni De vegetabilibus libri septem, Berlin, 1867 ; S. Fellner, Albertus Magnus als Botaniker, Vienne, 1881 ; Buhle, De fontibus unde Albertus Magnus libris XXVI animalium materiam hauserit (Commentationes Societ. regiæ scientiarum Gottingensis, 1773-1774, t. xii, p. 91-115) ; M. Glossner, Das objectiv Princip der aristot. scholast. Philosophie, besonders Albrecht des Gr. Lehre vom objectiven Ursprung, verglichen mit dem subjectiv Princip der neueren Philosophie, Ratisbonne, 1880 ; W. Feiler, Die Moral des Albertus Mag., Leipzig, 1891 ; A. Schneider, Die Psychologie Alberts des Gr., Munster, 1903.

Sur l’école albertine de Cologne. — Bianco, Die alte Universität Köln, t. i, Cologne, 1855 ; Paquot, Mémoires pour servir à l’histoire littéraire des dix-sept provinces, Louvain, 1770, t. i, p. 478 ; Goethals, Histoire des lettres, des sciences et des arts en Belgique, Bruxelles, 1840, t. i, p. 47.

P. Mandonnet.


ALBERT LE GRAND. Les XXXII sermones de Eucharistia qui lui sont attribués. Nous ne plaçons pas sans une expresse réserve les XXXII sermons sur l’eucharistie parmi les œuvres authentiques d’Albert le Grand. Les plus anciens catalogues des œuvres d’Albert, ceux de Bernard Guidonis et de Henri de Herfordia, ne les mentionnent pas, et les manuscrits les attribuent, quoique à tort, plus souvent à Thomas d’Aquin qu’à Albert le Grand. Weiss, Primordia novæ bibliographiæ, p. 27. On les trouve même parmi les œuvres de saint Bonaventure, Bassano, 1767, t. iii, p. 756-951. C’est donc un ouvrage vague. Pierre de Prusse déclare toutefois dans sa vie d’Albert, édit. d’Anvers, 1621, p. 181, avoir vu l’original au couvent de Cologne, écrit partiellement et corrigé de la main de l’auteur. Le Dr G. Jacob, qui a donné une édition critique de ces sermons (Ratisbonne, 1893), admet aussi l’authenticité.

Un passage de ces sermons, fréquemment imprimés à la fin du xve siècle, a fourni le prétexte aux protestants, depuis la confession de foi d’Augsbourg (1530), d’accuser