Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
667
668
ALBERT LE GRAND

marquée par l’intensité de son activité littéraire. Il compta alors Thomas d’Aquin parmi ses disciples. Pendant son séjour à Cologne, Albert ne cessa aussi d’intervenir comme arbitre de 1252 à 1272, dans les graves différends qui éclatèrent entre la ville et ses évêques. En 1254, le chapitre de la province d’Allemagne, tenu à Worms, confia à Albert le gouvernement de la province dont il s’occupa très activement. Deux ans plus tard, étant encore provincial, il se rendit à la cour romaine pour prendre la défense des prêcheurs contre les attaques de Guillaume de Saint-Amour, dont le célèbre pamphlet De novissimorum temporum periculis, fut condamné à Anagni par Alexandre IV, le 5 octobre 1256. Pendant son séjour à la curie, Albert remplit l’office de lecteur du sacré palais et interpréta, à la demande du pape et de ses cardinaux, l’Évangile de saint Jean et toutes les Épîtres canoniques. Ce fut encore pendant ce séjour à la curie qu’Albert, sur la demande d’Alexandre IV, écrivit contre la théorie averroïste de l’unité de l’intelligence son traité De unitate intellectus. Ce voyage jusque dans le midi de l’Italie fournit à Albert, comme tous ses autres déplacements, l’occasion de recherches scientifiques, et c’est alors qu’il découvrit le De motibus animalium d’Aristote dont il publia le commentaire. Albert rentra à Cologne en 1257. Il fut relevé de sa charge de provincial par le chapitre général de Florence de cette même année, et reprit le cours de son enseignement. Au printemps de 1259, Albert se rendit au chapitre général de Valenciennes, où il élabora avec Thomas d’Aquin et Pierre de Tarentaise, le futur Innocent V, un important règlement pour les études dans l’ordre. Il est très probable qu’Albert se rendit à Rome au cours de cette même année, appelé par le souverain pontife. Le pape le désigna pour l’évêché de Ratisbonne, le 5 janvier 1260, malgré les efforts du général de l’ordre, Humbert de Romans, pour éviter cette nomination. Albert s’adonna avec zèle aux devoirs de sa nouvelle charge. Mais la nécessité de se mêler à de graves affaires temporelles, en un temps où les églises d’Allemagne vivaient encore du régime féodal, poussa le nouvel évêque, plus amoureux d’étude que de guerre, à résigner sa charge au printemps de 1262. Le 13 février 1263, Urbain IV le préposa à la prédication de la croisade pour l’Allemagne, la Bohême et autres lieux de langue teutonique. Cette mission lui fit parcourir l’Allemagne pendant les années 1263 et 1264 dans toutes les directions, de Ratisbonne à Cologne et jusqu’aux frontières de la Pologne. De 1265 au commencement de 1267, Albert fit un long séjour à Wurzbourg où il joua, comme à Cologne, le rôle de pacificateur, tout en continuant d’étudier et d’écrire. Vers le milieu de 1267, l’évêque démissionnaire, le seigneur Albert, dominus Albertus, ainsi qu’on l’appela dès lors jusqu’à la fin de sa vie, offrit au général de l’ordre, Jean de Verceil, de reprendre l’enseignement. Celui-ci accepta avec reconnaissance et songea même un instant à le renvoyer professer à Paris. Ce fut l’étude de Cologne qui le reçut encore une fois. Bien que résidant ordinairement dans cette ville, Albert se déplaça fréquemment pendant une dizaine d’années (1268-1277). On le trouve spécialement pendant cette période en différents points de l’Allemagne, au nord comme au midi, consacrant des églises nouvelles et des autels, ou faisant même des ordinations sacerdotales. En 1270, au fort de la lutte soutenue, à Paris, par Thomas d’Aquin contre Siger de Brabant et les autres averroïstes de la faculté des arts, Albert intervint par l’envoi d’un mémoire qu’avait sollicité Gilles de Lessines et dans lequel il réfute les théories fondamentales du péripatétisme averroïste. L’année 1274 vit Albert se rendre au second concile, général de Lyon et y siéger parmi les Pères de cette assemblée. Il quitta une fois encore Colonne, vraisemblablement pendant le second trimestre de 1277, pour venir à Paris défendre les doctrines de Thomas d’Aquin que l’évêque Étienne Tempier et les maîtres séculiers de la faculté de théologie avaient tenté d’envelopper dans une commune réprobation avec les erreurs averroïstes, le 7 mars précédent. Revenu à Cologne, Albert y rédigea, en janvier 1278, son testament. Ce fut, semble-t-il, le dernier acte important de sa vie lucide. Le cerveau de l’homme qui avait absorbé la science de l’antiquité et de son siècle céda sous le poids du travail et des années. Albert perdit la mémoire et sa raison s’affaiblit. Il était pris de fréquentes crises de larmes, surtout au souvenir de son disciple bien-aimé, Thomas d’Aquin, descendu dans la tombe avant lui. Il mourut le 15 novembre 1280, âgé de soixante-quatorze ans. Cologne lui fit de magnifiques funérailles. Il a été béatifié par l’Église, le 27 novembre 1622, et sa fête se célèbre le 16 novembre.

Sources biographiques. — Il n’existe pas de biographie d’Albert le Grand écrite par un contemporain. On peut toutefois reconstituer les faits principaux de sa vie, avec les données synchroniques tirées soit de ses propres écrits, soit surtout d’auteurs du xiiie siècle et des actes officiels émanés d’Albert ou le concernant. La plupart de ces sources, mais non toutes, sont utilisées dans les biographies modernes. Comme elles sont très nombreuses, nous renonçons à les énumérer ici. Nous faisons exception pour la suivante à raison de son importance, et parce que les biographes d’Albert ne l’ont pas encore utilisée : H. Finke, Ungedruckte Dominikanerbriefe des 13. Jahrhunderts, Paderborn, 1891, passim.

La première notice biographique d’Albert est celle tracée par Henri de Hervordia († 1370) dans son Liber de rebus memorabilibus sive Chronicon, édit. A. Pottbast, Gœttingue, 1859, p. 201. Une vie anonyme du xive siècle a été éditée par les bollandistes : Catalogus codicum hagiographicorum bibliothecæ regiæ Bruxellensis. Codices latini, t. ii, Bruxelles, 1889, p. 95-104. Une autre vie est insérée dans la chronique anonyme publiée par Martène et Durand : Amplissima collectio, t. vi, p. 358-362. L’auteur [Alberto Castellani, O. P.] déclare (389) avoir emprunté le fond de sa chronique à Jacques de Soest, O. P. († 1423). Louis de Valladolid, dans sa Tabula quorumdam doctorum ordinis Prædicatorum, utilisée par Échard ; Petrus de Prussia, Vita B. Alberti doctoris magni…, Cologne, 1486, et Anvers, 1621, à la suite du De adhærendo Deo, p. 61-326 ; Petrus Noviomagensis, Legenda venerabilis Domini Alberti Magni…, Cologne, 1490. Le premier travail critique important sur Albert est l’œuvre d’Échard : Scriptores Ordinis Prædicatorum, Paris, 1719, t. i, p. 162-184, reproduit au tome i de l’édition nouvelle des Opera omnia B. Alberti Magni ; G. de Ferrari, Vita del beato Alberto Magno, Rome, 1847 ; J. Sighart, Albertus Magnus. Sein Leben und seine Wissenschaft, Ratisbonne, 1857 ; traduction française par un religieux dominicain : Albert le Grand, Paris, 1862 ; H. Iweins, Le bienheureux Albert le Grand, 2e édit. Bruxelles, 1874 ; F. Ehrle, Der selige Albert der Grosse, dans Stimmen aus Maria-Laach, t. xix. 1880. p. 241-258. 395-414 : A. Gloria. Quot annos et in quibus Italiæ urbibus Albertus Magnus moratus sit ? dans Atti dell’ Istituto Veneto, 1879-80, p. 5, etc. ; [N. Thœmes], Albertus Magnus in Geschichte und Sage, Cologne, 1880 ; G. von Hertling, Albertus Magnus. Beiträge zu seiner Würdigung, Cologne, 1880, p. 1-18 ; A. van Weddingen, Albert le Grand, le maître de saint Thomas d’Aquin d’après les plus récents travaux critiques, Paris-Bruxelles, 1881 ; H. Goblet, Der selige Albertus Magnus und die Geschichte seiner Reliquien, Cologne, 1880 ; C. W. Kaiser, Festbericht über die Albertus-Magnus-Feier in Lauingen am 12 september 1881. Donauworth, 1881. On trouve des notices sur Albert dans tous les grands ouvrages biographiques (voir spécialement l’article de Jourdain dans le Dictionnaire des sciences philosophiques et Hurter, Nomenclator literarius, t. iv. col. 297-302), dans les histoires de la philosophie (B. Hauréau, Histoire de la philosophie scolastique, IIe part., t. i, Paris, 1880, p. 214-333 ; A. Stöckl, Geschichte der Philosophie der Mittelalters, Mayence, 1865, t. ii, p. 352-421 ; K. Werner, Der heilige Thomas von Aquino, Ratisbonne, 1858, p. 82-95 ; P. Feret, La Faculté de théologie de Paris, t. ii, Paris, 1895, p. 421-441), et dans la plupart des ouvrages cités à la fin de cet article. Voir Analecta bollandiana, 1900-1902.

II. Écrits d’Albert le Grand. — L’activité littéraire d’Albert le Grand parait incontestablement la plus gigantesque du moyen âge. Elle s’étend à presque toutes les sciences profanes et sacrées. Deux éditions de ses écrits ont été publiées sous le titre d’Opera omnia. La