« Le pape est-il vraiment si nécessaire ? Est-ce sur
Pierre ou sur le Christ que Notre-Seigneur a bâti son
Eglise ? Ou bien encore est-ce la sainte Ecriture qui en
est le fondement ? La bâtir sur le pape, n’est-ce poinl
l’élever sur une base branlante et qui peut faillir ? Quis
enim in Pétri infirmitate Ecclesise firmitateni stabiUat " ? » Recommendatio sacrée Scripturse, traité composé vers 1380. Gerson, Opéra, t. i, col. 604. Telles
sont les questions graves que se pose d’Ailly dans une
de ses premières œuvres, achevée au moment même où
il terminait ses études universitaires, et où l’élection
inattendue et funeste de Clément YII commençait à
émouvoir et à troubler tous les esprits. « C’est du Christ
et non du pape que découle la juridiction des évéques
et des prêtres ; le pontife de Rome est la tête de l’Église
en ce sens qu’il en est le principal ministre, priticipalis
uiter ministros… ministerialiter exercens, adminisiraliter dispensais… » De Ecclesise, conc. gêner, et
sum. pontificis auctorilate, Gerson, Opéra, t. I, col.
928, 931. Cf. Petrus de Alliaco, p. 237, 245. « La subordination de l’Église au pape n’est qu’accidentelle. »
Ibid., col. 958. « L’Église universelle est seule infaillible. » Ibid., col. 953. Utrum Pétri Ecclesia lege reguletur, etc. Elle a reçu ce privilège du Christ, toute
église particulière peut errer, l’Eglise romaine comme
les autres. Le souverain pontife n’est pas nécessairement
le pontife romain, car la primauté a passé autrefois du
siège d’Antioche à celui de Rome, ibid., t. I, col. 668,
669, 690, 691. Le pape peut faillir et, de fait, il s’est
trompé plus d’une fois, ibid., t. ii col. 949, 959, à
commencer par saint Pierre quand il fut repris par
saint Paul. Cf. Petrus de Alliaco, p. 249 ; ibid., col.
949, 958. Le souverain pontife peut même devenir
hérétique. Ibid., t. I, col. 689. Dans toutes les questions
qui regardent la foi, le pape est soumis au concile général, qui peut juger sa doctrine et la condamner. Ibid.,
t. ii col. 951, 953, 959, 960 ; cf. Hefele, t. iiv § 770.
On peut en appeler du pape au synode général en
beaucoup de cas. Le concile a même le droit de se prononcer sur sa conduite et de le déposer, s’il passe pour
incorrigible. « Ce synode général, selon quelques théologiens, est infaillible. Ce n’est qu’une pieuse croyance,
niais à cause de cela il est supérieur au pape qui ne
jouit point de ce privilège. » Ibid., t. ii, col. 958.
D’Ailly s’elïorce de prouver cette supériorité en s’appuyant sur le droit naturel, divin et canonique. Ibid.,
col. 956. Pour lui, l’Église est, non pas une monarchie, mais une aristocratie. Telles sont les opinions
hardies qu’ose exposer un des plus célèbres théologiens
de l’époque, celui en qui on a entendu souvent toute
l’école de Paris, dit Bossuet. Defensio declar. cleri gallicani, part. 11, 1. VI, c. xx. N’est-ce point un écho à peine
all’aibli des assertions hétéroclites d’Occam, dans
son Dialogue et dans ses Oclo quæstionum decisiones ? Goldast, Monarchia sancti Rom. imperii, t. ii,
p. 392 ; Super potestate sunnni pontificis octo
quæslionum decisioncs, ibid., p. 313, édition de
Francfort, 1614. Gerson ira plus loin et se montrera
partisan déclaré du système démocratique et même multitudiniste dans la constitution de l’Église. De potestate écoles, consid. ; Sermo de privil. mendicantium ;
De auferib. papse. Gerson, Opéra, t. ii col. 249, 216,
436.
Mais que penser de toutes les hypothèses que rapporte d’Ailly dans ses œuvres de jeunesse ? « Certains théologiens, dit-il. considèrent comme probable que le pape, les évéques et tous les clercs puissent en même temps tomber dans l’erreur : quelques âmes simples ou quelques pieux laïques conserveraient seuls le dépôt de la révélation. C’est ainsi qu’au temps de la passion, la sainte Vierge a été seule à conserver la foi. ».Mais, dans cette
supposition, comment assurer la perpétuité de l’Église ? « En ce cas, ajoute-t-il, Dieu ordonnerait lui-même des
prêtres, des évéques, et ferait connaître à son Église par un mode surnaturel cette ordination extraordinaire. Nier la possibilité d’un pareil fait serait contester la toute-puissance de Dieu. » Traité De resumpta, utrum Pétri Ecclesia rege gubernetur, lege reguletur, fide confîrmetur, jure dominetur. Gerson, Opéra, t. i, col. 669, 689 sq. Cf. fiouix. De papa, t. i, p. 469. D’Ailly, alors jeune docteur, considère comme probables toutes ces hypothèses extravagantes, et ce seul fait montre quel était alors le trouble des esprits par rapport à toutes les questions fondamentales du traité de L’Eglise. Plus tard, à Constance, les opinions du cardinal de Cambrai resteront les mêmes. « Selon quelques grands docteurs, dira-t-il, le concile général peut errer in facto, in jure, et, quod magis est, in fide. » Von der Hardt, Conclusiones card. Camer., t. ii col. 201. Donc, le pape est faillible, le concile s’est trompé bien souvent ; seule l’Église universelle, dont il est impossible de connaître la vraie pensée, jouit du privilège de l’infaillibilité. Où recourir en cas de conilit ? Où se trouve la règle de foi vivante ?
Les idées de d’Ailly expliquent pourquoi le livre qui parut à cette époque Super reformatione Ecclesise a eu tant de succès dans le monde protestant, soit allemand, soit anglais. Voir la bibliographie. Il avait publié immédiatement avant le concile (1413 ou 1414) son Tractatus vel capita agendorum in concilio generali de reformatione Ecclesise, souvent et si faussement attribué à Zabarella. Ces deux ouvrages sont les plus remarquables de tous ceux qu’il composa ou qu’il inspira au moment du concile.
Nous n’entrerons pas dans le détail des opinions qu’il expose en ces deux opuscules. Qu’il suffise de savoir que son traité Super reformatione, composé, nous l’avons dit, en 1403 (c’est la troisième partie du De materiaconcilii generalis), mais publié seulement le premier novembre 1416, se divise en six chapitres. Dans le premier, il s’agit du corps de l’Église en général et des conciles tant généraux que particuliers. Le second traite du souverain pontife et de la curie romaine ; le troisième des prélats majeurs ; le quatrième des religieux et des religieuses. L’auteur s’occupe dans le cinquième des prêtres séculiers ; dans le sixième des laïques et en particulier des rois et des princes. La plupart de ses projets sont sages, et inspirés par un véritable amour de l’Église : ils ont été adoptés par elle dans les conciles subséquents, après avoir été soutenus par de saints personnages comme Barthélémy des Martyrs. Toutefois, certaines propositions de d’Ailly sont sujettes à caution. Son avis sur le trop grand nombre de fêtes religieuses a été reproduit par le curé’Thiers au xvif siècle et par Voltaire au xviii e. Quelques-unes de ses maximes, celles par exemple qui sont contraires à l’institution de nouveaux ordres religieux, ont été citées avec éloges par le protestant Charles du Moulin et par nombre de gallicans et de philosophes.
Le défaut capital de toutes ces propositions réformatrices, c’est que d’Ailly ne tient pas assez de compte de l’autorité du pape en ces matières, et il semble préluder par cette exclusion aux innovations sacrilèges et hérétiques du XVIe siècle.
/L sa conduite a CONSTANCE. — 1. Au commencement du concile. — C’est dans ces opinions peu assurées d’elles-mêmes qu’il faut chercher et trouver la cause de toutes les tergiversations île d’Ailly avant et pendant le concile de Constance, au sein duquel il a exercé une si prépondérante influence, l’e là aussi tous ces expédients peu conformes à la tradition et à la doctrine qu’emploie le cardinal de Cambrai, Il prête, par exemple, l’appui de son autorité aux prétentions des
simples docteurs qui veulent avoir’voix délibérative et
définitive in rébus fidei, au sein du concile. Von der Hardt, t. ii col. 224j Mansi, t. xxvil, p. 260 ; Gerson,