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ABEL

en haine du bien, est encore par ce côté une figure de Jésus-Christ qui, plus juste et plus innocent qu’Abel, a été la victime de la jalousie des Juifs. Cette signification mystique de la mort d’Abel a été esquissée dans le Nouveau Testament. Aux scribes et aux pharisiens hypocrites, qui élevaient des sépulcres aux prophètes, ornaient les monuments des justes et se prétendaient meilleurs que leurs pères qui avaient répandu le sang des prophètes, Jésus-Christ annonça qu’ils étaient les dignes fils des meurtriers des prophètes et qu’ils rempliraient la mesure de leurs pères. Ils tueront, crucifieront et flagelleront les nouveaux prophètes et docteurs qui leur seront envoyés ; ils les poursuivront de ville en ville ; mais tout le sang juste versé sur terre depuis celui du juste Abel retombera sur eux et le châtiment mérité par tant de crimes atteindra la génération actuelle. Matth., xxiii, 29-36. Avant de tuer les apôtres, les Juifs devaient frapper de mort Jésus, reconnu juste et innocent par Pilate, et appeler, sur leurs têtes et sur celles de leurs enfants, la vengeance de son sang. Matth., xxvii, 24-25. C’était par jalousie qu’ils l’avaient livré aux juges, Matth., xxvii, 18, comme Caïn avait tué Abel. Déjà, dans le cours de sa vie publique, ils avaient voulu le lapider à cause du bien qu’il accomplissait. Joa., x, 32. Les vignerons homicides qui, après avoir frappé, tué ou lapidé les serviteurs du père de famille, se saisirent de son fils, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent, Matth., xxi, 35-39, étaient l’image des Juifs, qui immolèrent le Fils de Dieu. La mort de Jésus ne ressemblait pas seulement à celle d’Abel par ces circonstances extérieures ; elle avait une plus grande vertu auprès de Dieu. Le sang d’Abel avait crié vengeance vers le ciel, Gen., iv, 10, et ainsi en raison de sa foi, ce juste avait encore parlé après sa mort. Hebr., xi, 4. Mais le sang répandu de Jésus, le médiateur de la nouvelle alliance, avait été plus éloquent que celui d’Abel, Hebr., xii, 24 ; celui-ci criait vengeance ; celui du Sauveur criait pour implorer la clémence et le pardon.

Les Pères ont développé cet aspect nouveau d’Abel, figure du Christ. Plusieurs ont célébré Abel comme le premier des martyrs. « Imitons, mes frères bien-aimés, écrivait saint Cyprien, Epist., lvi.De exhortatione martyrii, n. 5, P. L.,t. iv, col. 353, le juste Abel qui a inauguré le martyre, puisque le premier il a été occis pour la justice. » Abel, dit-il ailleurs, De orat. domin., n. 24, col. 536, qui avait offert à Dieu un sacrifice, a été lui-même plus tard sacrifié au Seigneur de telle sorte que, donnant le premier l’exemple du martyre, il a annoncé le premier, par la gloire de son sang, la passion du Seigneur, lui qui avait eu la justice de Dieu et sa paix. Et encore, De bono patientiæ, n. 10, col. 628, les patriarches, les prophètes et les justes, qui ont été d’avance les images du Christ, ont tous été des modèles de patience. Tel Abel, le premier martyr et le premier juste persécuté, qui n’a pas résisté à son frère fratricide, mais s’est courageusement laissé tuer comme une victime humble et douce. Abel, écrit saint Athanase, De decretis Nicœnæ synodi, n. 4, P. G., t. xxv, col. 432, a souffert le martyre pour la vraie doctrine qu’il avait apprise d’Adam. Écoutons saint Augustin, Op. imp. contra Julianum, l. VI, no 27, P.L.,t. xlv, col. 1575 : Caïn fut l’auteur de la mort d’Abel. La mort de cet homme juste fut l’œuvre de l’homme méchant. Abel, qui a supporté le mal pour le bien, n’a pas inauguré la mort, mais le martyre, étant la figure de celui que le peuple juif, son méchant frère, a tué. L’Église, dit-il ailleurs, Enarrat. in Ps. cxviii, serm. xxix, t. xxxvii, col. 1589, n’a pas manqué d’exister dès le commencement, du genre humain. Saint Abel en a été les prémices, lui qui a été immolé en témoignage du sang du futur médiateur, qui devait être versé par un frère impie. Et encore, 'Contra Faustum, l. XII, c. ix-x, t. xlii, col. 258-259 : Le Nouveau Testament, qui honore Dieu par l’innocence de la grâce, est préféré à l’Ancien, qui honorait le Seigneur par des œuvres terrestres, de même que le sacrifice de Caïn est rejeté, alors que celui d’Abel est accepté. À cause de cette préférence, Abel, le frère cadet, est tué par Caïn, le frère aîné ; ainsi le Christ, chef du peuple le plus jeune, est tué par le peuple plus ancien des Juifs ; l’un est immolé dans les champs, l’autre au Calvaire. Interrogé par Dieu, Caïn répond qu’il ne sait où est son frère et qu’il n’en est pas le gardien ; interrogé sur le Christ par la voix des Écritures qui est la voix de Dieu, le peuple juif ne sait ce qu’on lui demande. Caïn ment, les Juifs nient faussement. Ils devaient garder le Christ, en recevant la foi chrétienne. La voix divine les accuse dans l’Écriture. Le sang du Christ a sur terre une grande voix, quand tous les païens l’ayant entendue, lui répondent : Amen. Cette voix éclatante de son sang, c’est celle que son sang exprime par la bouche des fidèles rachetés par lui. De son côté, saint Grégoire de Nazianze, Orat., xvi, n.16, P. G., t. xxxv, col. 956, s’écrie : « Elle est terrible l’oreille de Dieu, entendant la voix d’Abel qui parle par son sang muet. » D’après saint Chrysostome, Adversus Judæos, viii, 8, P. G., t. xlviii, col. 939-940, Abel a été tué, parce qu’il avait offert une meilleure victime que Caïn. A-t-il été privé de la couronne du martyre ? Qui oserait le soutenir ? Au témoignage de saint Paul, il faut le placer au nombre des premiers martyrs. Selon Basile de Séleucie, Orat., iv, n. 1, P. G., t. lxxxv, col. 64-65, le juste Abel a passé le premier les portes de la mort. Il était en cela l’ombre du Christ. Il convenait de présager le dogme assuré de la résurrection par le sang d’un juste. La mort, qui frappait un innocent, devait être un jour vaincue, et le Christ est le premier qui soit ressuscité. L’auteur du Liber de promissionibus et prædictionibus Dei, part. I, c.vi, P.L., t.li, col. 738, dit qu’Abel est la figure du Christ, pasteur de brebis, qui a été tué par le peuple juif. Un sermon, attribué à saint Léon le Grand, Serm., iii, De pascha, P.L.,t. li,co. 1134, contient cette vérité que le Messie a été immolé dans la personne d’Abel. Saint Maxime de Turin, Homil., lv, P.L., t. lvii, col. 355-356, répète que, pour figurer Jésus-Christ, le juste Abel a été tué et l’innocent égorgé par l’impiété pour ainsi dire judaïque de son frère. Saint Paulin de Noie écrit de son côté, Epist., xxxviii, n. 3, P. L., t. lxi, col. 359 : Dès le commencement des siècles, le Christ a souffert dans tous les siens ; en la personne d’Abel, il a été tué par son frère. Alcuin, Comment. in Joan., l. I, P.L.,t. c, col. 768, dit dans le même sens : Au premier âge du monde, Abel le juste a été tué par son frère. Le meurtre d’Abel préfigure la passion du Sauveur ; la terre qui ouvre sa bouche et boit le sang de la victime, c’est l’Église qui reçoit le sang du Christ versé par les Juifs pour le mystère de sa rédemption. Saint Paschase Radbert, Exposit. in Matth., l.IX, c. xx, P. L.,t. cxx, col. 675, expose deux aspects du caractère figuratif d’Abel. Abel est la première figure du Christ : il l’a représenté, en offrant et en immolant un agneau ; il montrait ainsi l’agneau qui devait venir. Lui-même a été immolé pour le préfigurer et être par son sang un témoin fidèle. Ici encore, la tradition monumentale a exprimé la même idée que la tradition écrite. Sur un vitrail de Cantorbéry, qui date du xiiie siècle, Abel, par sa triste mort, figure le Christ immolé. Signat Abel Christi pia funera funere tristi. Barbier de Montault, Traité d’iconographie, t. ii, p. 16.

Les écrivains ecclésiastiques, dont nous avons rapporté jusqu’ici les témoignages, n’ont envisagé qu’un seul aspect du caractère figuratif d’Abel. D’autres en ont réuni tous les traits épars et ont fait une description d’ensemble. Saint Cyrille d’Alexandrie, Glaphyr. in Genes., l. I. n. 3, P. G., t. lxix, col. 40-44, a reconnu dans Caïn et Abel le mystère du Christ par qui nous avons été sauvés. Gain représente Israël, le premier-né de Dieu ; Abel, qui était pasteur, est la figure d’Emmanuel,