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AGREDA (D’)


gination et de la poésie, peint quelquefois avec une grande vérité les faits et les circonstances particulières qui y sont racontés. La forme, cependant, mérite peu d’éloges : le langage, il est vrai, au témoignage de ses compatriotes, est pur et clair… Mais le mauvais goût… avait pénétré aussi en Espagne et le livre de Marie d’Agreda en porte incontestablement la trace. On y remarque trop souvent ces ornements guindés, cette enllure, cette emphase qui étaient alors en vogue… ; de longues applications morales finissent chaque chapitre et en augmentent encore la prolixité. » De plus, il y a dans cet ouvrage, il faut bien l’avouer, des assertions très extraordinaires. Mais d’autre part, il convient de ne pas oublier que l’auteur n’a eu pour but que d’édifier et n’a nulle prétention à faire œuvre de critique historique. Marie d’Agreda dit elle-même : « L’erreur de ma part est possible, car je ne suis qu’une femme ignorante…, mais, s’il y a erreur, elle n’est pas volontaire. Aussi bien, je m’en réfère à ceux qui doivent me guider et à toute correction de la sainte Église catholique. » Introduction à la première partie, n° 14.

Quelle créance mérite l’œuvre de Marie d’Agreda ? La réponse à cette question ne sort pas de la théorie générale de la foi à accorder aux révélations privées, matière qui sera traitée dans un article spécial. Voir Révélation. Au cas présent, la vie sainte de Marie d’Agreda crée un préjugé favorable à l’entière bonne foi de l’auteur. On n’a pas de sérieuse raison pour mettre en doute sa sincérité, dont sont garantes une obéissance admirable et une humilité profonde. Mais d’autre part, la culture d’esprit restreinte de l’écrivain, son ignorance de la théologie positive et de l’histoire, rendent possible, voire même probable, l’erreur dans la description de révélations qui peuvent avoir été surnaturelles. Il n’est pas admis en effet que les écrivains mystiques rapportant leurs révélations privées aient eu, pour ce faire, l’assistance divine que l’on reconnaît avoir été donnée aux auteurs inspirés de la Bible mettant par écrit la parole de Dieu.

II. Jugements divers.

Autour de l’œuvre de Marie d’Agreda se sont élevées les controverses les plus ardentes. Par un décret de la S. C. de l’Inquisition du jeudi 26 juin 1681, Innocent XI défendit la lecture de tous les volumes de la Mystique Cité de Dieu ; mais sur les instances de Charles III d’Espagne, le même pape, par un bref du 9 novembre 1681, fit surseoir à l’exécution du décret de condamnation. Lorsqu’en 1695 parut à Marseille la traduction française du livre de Marie d’Agreda par le P. Thomas Croset, récollet, six docteurs de la Sorbonne furent chargés, le 22 mai 1696, de l’examen de l’ouvrage, et à la majorité de 50 voix sur 152 membres, la Sorbonne condamna la Mystique Cité de Dieu, le 17 septembre 1696, comme renfermant bon nombre d’assertions téméraires et d’hallucinations apocryphes, de nature à exposer la religion catholique au mépris des impies et des hérétiques. Bossuet a jugé très sévèrement l’œuvre de Marie d’Agreda, et avec si peu de mesure que l’on a révoqué en doute l’authenticité de ce passage des œuvres de l’évêque de Meaux. Le seul dessein de ce livre, dit-il, porte sa condamnation ; le titre en est ambitieux jusqu’à en être insupportable, l’Écriture Sainte est la seule histoire qu’on puisse appeler divine. Et ce que l’on propose comme divin, ce sont des contes ramassés dans les livres les plus apocryphes. Bossuet proteste aussi contre les offenses à la pudeur qu’il prétend être nombreuses dans l’ouvrage ; il signale surtout le chapitre xv, qui traite de la conception de Marie. L’évêque de Meaux reproche encore à Marie d’Agreda sa « scolastique raffinée selon les principes de Scot. Dieu lui-même se déclare scotiste ». En un mot, dans cet ouvrage, tout est d’une fade et languissante longueur ; vrai artifice du démon pour « faire qu’on croie mieux connaître Jésus-Christ et sa sainte mère par

ce livre que par l’Évangile ». Œuvres de Bossuet, Versailles, 1817, t. xxx, p. 637-640 ; cf. t. xl, p. 172, 204-207 ; t. xli, p. 92. Cette appréciation de Bossuet est outrée ; la remarque qu’il fait sur le titre de l’ouvrage est presque une mauvaise chicane. Quant au reproche de favoriser les doctrines scotistes, il manque d’exactitude. Marie d’Agreda a un certain nombre d’opinions empruntées à Scot, mais elle en a beaucoup d’autres défendues par saint Thomas. On ne comprend pas comment un esprit aussi élevé que celui de Bossuet ait pu qualifier d’obscène le langage de Marie d’Agreda. S’il y a de ci de là quelque expression un peu naïve, disons même un peu crue, cela provient du génie d’un peuple et d’une époque qui parlaient de certaines choses avec plus de simplicité que nous. Enfin, Bossuet prête à Marie d’Agreda — et très gratuitement — une intention qui ne fut jamais dans sa pensée, quand il dit que son livre prétend à une plus grande créance que celle due à l’Évangile. Sous Benoit XIII en 1729 et Clément XII en 1734, le procès de béatification de la vénérable Marie d’Agreda fut repris, ainsi que l’examen de son ouvrage. On chargea une commission de cardinaux de répondre à la censure de l’Inquisition prononcée en 1681. En 1747, le promoteur de la foi, Louis de Valentibus, écrivit un long mémoire justificatif où il réfutait en détail les objections faites aux doctrines de Marie d’Agreda. Le 16 janvier 1648 » Benoit XIV écrivit au général des observantins, Baphæl de Lugagnano, une longue lettre, où il indique la procédure à suivre pour l’examen des écrits de Marie d’Agreda. Le pontife insiste sur la question d’authenticité et indique la voie à suivre pour qu’on démontre que la Mystique Cité de Dieu a réellement Marie d’Agreda pour auteur. Benoit XIV rappelle les approbations données à l’ouvrage en question par les universités de Salamanque, d’Alcala, de Louvain et de Toulouse ; , il faudra, ajoute-t-il, tenir compte de l’opinion du cardinal Aguirre qui a fait des réserves sur le jugement dela Sorbonne, et aussi de celle d’Eusèbe Amort. Ce chanoine de Pollingen avait vivement attaqué l’œuvre de Marie d’Agreda dans son livre De revelalionibus, visionibus et apparitionibus privatis régulée tutse, Augsbourg, 1744. Il lui fut répondu par le franciscain espagnol Diego Gonzalez Matheo, et par le Bavarois Landelinus Maier. Ces réponses étaient faibles sur le terrain de l’histoire et de la critique scientifique. Aussi Amort répliqua-t-il par la Controversia de revelalionibus Agredianis explicala cum epicrisi ad ineplas earum revelalionuni vindicias éditas a P. Didaco Gonzalez Matheo et a P. Landelino Maier, Augsbourg, 1749. Les défenseurs de Marie d’Agreda ne se tinrent pas pour battus, et le P. Dalmatius Kich publia Revelalionuni Agredanarum justa defensio cum moderamine inculpatse tutelse, Ratisbonne, 1750, et Gonzalez Matheo revint à la charge avec son Apodixis Agrediana, Madrid, 1754 : il prouva cette fois (m’en plus de quatre-vingts passages, Amort avait mal compris le texte espagnol de Marie d’Agreda.

En résumé, si l’on veut juger l’œuvre de Marie d’Agreda, sans l’esprit de parti qui a malheureusement vicié bon nombre des appréciations portées sur ses écrits, il faut reconnaître qu’au point de vue de la théologie mystique et de l’édification, la Mystique Cité de Dieu mérite la vogue dont elle a joui. Au point de vue historique, ce livre contient plusieurs des erreurs qui lui ont été reprochées. Il a, ce qui suffit à le rendre suspect, trop de rapport, quant à son contenu, avec les deux livres apocryphes de YEnfance de Jésus et de la Nativité de la bienheureuse Vierge Marie. La chronologie et la géographie reçoivent, dans la Cité de Dieu, plus d’un accroc. En un mot, conclut Gorres, op. cit., t. ii, p. 121, « ce livre, par le tribut qu’il paie à l’étroitesse de la science de cette époque, nous donne le droit de dire que la nature a eu une part plus ou moins