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AGONIE DU CHRIST. LA SUEUR DE SANG

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Conséquence dogmatique. — Jésus a pris la nature humaine, inférieure à la nature de l’ange par lequel il est fortitié, soumise à la souffrance et aux infirmités, et composée d’un corps passible et véritable, puisque sa sueur sanglante se répand sur la terre. Cette conséquence a été mise en lumière par les saints Pères, pour établir la réalité de l’incarnation, en particulier par saint Irénée, Contra hær., l. III, c. xxii, P. G., t. vu col. 957 ; saint Hilaire, De Trinitate, l. X, n. 41, P. L., t. x, col. 375 ; saint Épiphane, Ancoratus, c. xxxvii, P. G., t. xliii, col. 84.

Conséquence morale. — La morale stoïque nie la douleur ; elle fait consister le courage à ne point sentir la souffrance et à se suffire à soi-même. Partant de cette conception de la vertu et du courage, on a reproché à Jésus d’avoir tremblé devant la mort. Cette accusation déjà formulée par Celse, cf. Origène, Contra Cels., l. II, n. 24, P. G., t. xi, col. 840, a été répétée jusqu’à nos jours. Mais il n’y a aucune lâcheté à redouter la douleur et la mort, il y en aurait seulement à essayer de s’y soustraire, lorsqu’on doit les subir. Or Jésus, loin de fuir et de se soustraire à l’atteinte des Juifs et aux souffrances, accepte au contraire le calice qui lui est réservé ; il attend Judas et sa troupe pour se livrera eux. Mais cela ne l’empêche point de permettre à un ange de le réconforter, et d’éprouver de cruelles angoisses. Il met ainsi sous nos yeux, dans sa personne, l’idéal de la vertu chrétienne, beaucoup plus accessible à l’imitation de tous que l’idéal du stoïcisme, et beaucoup moins contraire aux sentiments naturels de l’homme. C’est un idéal où l’humilité comme la connaissance de la faiblesse humaine et la souffrance ont leur place à côté de la force d’âme. Il n’oblige pas celui qui va subir de grandes i tortures, à s’enfermer en lui-même pour rejeter toute | consolation et tout secours du dehors et à traiter la douleur comme un vain mot. Jésus au contraire redoute les maux qu’il accepte, il prie son Père, il invite ses disciples à le prier avec lui, il se laisse humblement fortifier par l’ange qui lui apparaît. Ces prières, cette humilité, ce sentiment de la douleur ne diminuent point la valeur de son courage ; ce sont des preuves de la vérité de sa force d’âme, et de la sincérité de toutes ses paroles. ]

S. Thomas, Sum. theol., III", q. xii, a. 4, ad 1°™ ; Suarez, In tertiam partem, in hune lecum et disp. XXXIV. sect. ii, Opéra, Paris, 1872, t. xvili, p. 70 ; t. xix, p. 542 sq. ; dom Galmet, Dissertation sur la sueur de sang, dans Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes à l’Écriture Sainte, Paris, 1720, t. iii, [ p. 012-625 ; Faivre (pseudonyme), L’ange et la sueur de sang, dans La controverse, 1881, t. i, p. 190-210, reproduit dans Fillion, Essais d’exégèse, in-12, Paris, 1884, p. 101-127 ; les commentateurs de saint Luc, par exemple Knatienbauer, Evangelium secundum Lucam, Paris, 1890, p. 590 sq.

A. Vacant.



III. AGONIE DU CHRIST. La sueur de sang.
I. Existence des sueurs de sang.
II. Conditions où elles se produisent.
III. La sueur de sang du Christ.

I. Existence des sueurs de sang.

La sueur, incolore à l’état normal, peut quelquefois être colorée (chromhydrose). Lorsqu’elle l’est en rouge, cette coloration peut faire naître l’idée de sueur de sang (hémathydrose). Et en effet c’est dans ce sens que les auteurs anciens et beaucoup de modernes ont interprété le phénomène, qui est d’ailleurs fort rare. Mais certains esprits ont trouvé étrange ce suintement de sang à travers la peau saine ; ne l’ayant pas observé eux-mêmes, ils ont mis en doute la perspicacité de ceux qui en ont rapporté des exemples et ont supposé qu’ils avaient été trompés par des malades enclins à la supercherie ou par des apparences. « De là, dans l’esprit médical de notre époque, une sorte de scepticisme classique plus ou moins explicitement avoué à l’endroit de l’hémathydrose : peu s’en faut qu’on ne la relègue parmi les faits rares et quelque peu fabuleux, admis souvent sur la foi de la tradition et auxquels manque le contrôle d’une science rigoureuse. »

D r J. Parrot, Étude sur la sueur de sang et les hémorrhagies névropathiques, dans Gazelle hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 1859, p. 634.

A l’époque où Parrot écrivait ces lignes, l’on ne connaissait pas encore la sueur rouge d’origine microbienne que Pick, Berichte der Natur. zu Gratz, 1873, et Hoffmann, Wiener med. Woschenschrift, 1873, en Allemagne, paraissent avoir été les premiers à signaler. Babés en 1883, Observations sur quelques lésions infectieuses des muqueuses et de la peau, dans Journal de l’anatomie et de la physiologie, 1884 ; Barthélémy et Balzer en 1884, Contribution à l’étude des sueurs colorées, dans Annales de dermatologie, t. v, 1884, en ont relaté de nouveaux cas, avec examen microscopique, spectroscopique et chimique à l’appui. Babès a même pu obtenir une coloration semblable à celle de la sueur en cultivant le microbe en question sur gélatine coagulée. C’était là une démonstration nette, établissant l’existence d’une catégorie spéciale de sueurs rouges qui, jusqu’à présent, n’a été observée que dans la région de l’aisselle, la sueur restant incolore partout ailleurs.

La coloration rouge de la sueur ne suffit donc pas à en démontrer l’origine hématique, mais ce serait faire un singulier raisonnement que de s’appuyer sur l’existence des sueurs rouges d’origine microbienne pour nier les sueurs de sang, sous le prétexte que l’examen microscopique n’aurait pas confirmé celles-ci comme il a confirmé celles-là. On peut admettre, si l’on veut, que, parmi les cas de sueurs rouges observées avant l’emploi ou sans le contrôle du microscope, il y en avait de microbiennes, mais encore faudrait-il qu’il s’agisse de sueurs axillaires rouges. Rien n’autorise à priori le scepticisme précité à l’égard de l’hémathydrose. Sans doute nous possédons aujourd’hui des moyens de contrôle qui manquaient aux anciens et qui sont indispensables quand il s’agit d’affirmer avec toute certitude la présence du sang dans une tache à peine perceptible à l’œil nu, mais ces moyens ne sont pas toujours nécessaires pour reconnaître la nature sanguine d’un liquide et ce serait faire injure gratuite aux anciens comme aux modernes que de croire qu’ils se sont trompés chaque fois que, diagnostiquant l’hémathydrose, ils n’ont pas appuyé ce diagnostic sur des recherches microscopiques ou chimiques.

D’ailleurs il est inutile d’insister sur ce raisonnement : des faits bien authentiques de sueurs de sang ont été publiés, qui sont de nature à satisfaire les esprits, tant par la valeur des observateurs que par les moyens de contrôle employés. Ces faits sont au nombre de deux et ont été rapportés par le professeur Parrot, loc. cit., et par le D r Magnus Huss, Cas de maladies rares observées et commentées, dans Archiv. gén. de médecine, août 1885. Tous deux ont reconnu au microscope la nature sanguine de la sueur de leurs clients, en sorte que leurs observations, bien que peu nombreuses, suffisent à légitimer toutes ou presque toutes les observations similaires. Il y a donc parmi les sueurs rouges un groupe de sueurs de sang, comme il y a un groupe de sueurs microbiennes.

Dans le cas de Parrot, le sang s’échappait de la peau du front et formait comme une couronne autour de la racine des cheveux ; dans le pli des paupières inférieures il coulait en quantité assez considérable pour qu’on pût en recueillir plusieurs gouttes. Dans celui de Magnus Huss, « ce n’était ordinairement que du crâne que la malade saignait, mais d’autres fois l’hémorragie s’effectuait par les cils ; plus rarement autour des poils de l’aisselle gauche, des poils du mamelon gauche, une fois par la racine des poils du pubis ; trois fois hémorragie des conduits auditifs gauches, » etc., etc. Caizergues, de Montpellier, dit, à propos d’une malade observée par lui : « Je ne fus pas peu surpris en examinant son visage, son cou, la partie antérieure de la poitrine, le