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AGONIE DU CHRIST. AUTHENTICITE DU RÉCIT

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Les écrits des saints Pères.

Le nombre et la qualité des témoins entendus prédisposent déjà en faveur de l’authenticité, mais si des textes et des versions on passe aux écrits des Pères, c’est à la certitude que doit aboutir l’examen. Les adversaires comme les partisans de l’authenticité conviennent du fait et de l’exactitude de ces citations ; aussi bien nous bornons-nous ici à celles qui sont plus anciennes et particulièrement significatives. Qu’il suffise de nommer saint Justin, P. G., t. vi, col. 717, saint Irénée, P. G., t. vii, col. 957, saint Hippolyte, P. G., t. x, col. 828, saint Denys d’Alexandrie, P. G., t. x, col. 1592, saint Épiphane, P. G., t. xliii, col. 73, saint Chrysostome, P. G., t. lviii, col. 740, Théodoret, P. G., t. lxxx, col. 961 ; t. lxxxiii, col. 325, saint Éphrem, Evang. concord. Exposit., édit. Mœsinger, p. 235, saint Jérôme, P. L., t. xxiii, col. 552, saint Augustin, P. G., t. xxxiv, col. 1165, saint Hilaire, P. L., t. x, col. 375, qui est incertain, le pseudo-Denys l’aréopagite, P. G., t. iii, col. 181, Arius, Nestorius, P. G., t. xlii, col. 232, Théodore de Mopsueste, P. G., t. lxvi, col. 725, etc. Qu’on ne dise pas que les Pères ont bien pu connaître exclusivement par la tradition l’apparition de l’ange et la sueur du sang ; car ils trouvent ce récit dans l’Écriture ou, tout au moins, en font un usage manifestement scripturaire : « Plus de quarante auteurs célèbres, répandus par tous pays de l’antique chrétienté, reconnaissent que ces versets appartiennent à l’Evangile ; quatorze d’entre eux sont aussi anciens, et plusieurs beaucoup plus anciens que les plus vieux manuscrits survivants de l’Évangile. » Burgon, Revision revised, p. 81. Le pseudo-Denys pourrait seul faire quelque difficulté, mais il ne faut pas oublier que dans le style des auteurs ecclésiastiques le mot TtapâSoii ; ne signifie pas toujours la tradition par opposition à l’Écriture ; quelquefois on veut désigner parla l’Écriture elle-même telle qu’elle est garantie par la tradition. Ce dernier sens serait dans le cas tout à fait ad rem, puisque l’auteur se sert ici d’un texte que plusieurs exemplaires ne portaient pas.

Tous les éditeurs du Nouveau Testament ont regardé notre passage comme authentique. Lachmann (1842) s’est avisé le premier de l’imprimer entre crochets. Puis sont venus MM. Westcott et Hort qui le tiennent pour une interpolation d’origine occidentale, faite de très bonne heure et d’après quelque tradition. Leur sentiment repose avant tout sur la confiance excessive qu’ils ont mise en B. C’est là le fondement de tout leur système critique et c’est aussi ce qui en fait la fragilité. On commence à le voir et à le dire. MM. Tischendorf, Hammond, Scrivener, Cebhardt et Nestlé sont d’un avis contraire et se prononcent résolument pour l’authenticité.

II. Explication de la divergence présentée par les textes.

Reste à rendre compte de la divergence présentée par les textes. Comment s’est-elle produite ? On a fait à cette question plusieurs réponses dont il importe d’apprécier la valeur.

1° Les docètes, voyant que ce passage était décisif contre eux, l’auront fait disparaître, et l’altération se sera reproduite, multipliée par la transcription. — Celle hypothèse ne repose sur aucun témoignage positif. De plus, il est inadmissible qu’une secte relativement restreinte ait réussi à faire prévaloir son texte au point d’être, au IVe siècle, le plus communément reçu, tant en orient qu’en occident, s’il faut en croire saint Hilaire et saint Jérôme.

2° Les orthodoxes, c’est-à-dire les catholiques d’alors, l’ont supprima, au moins dans la lecture publique, de peur que le spectacle du Christ agonisant, réduit à être réconforté par un ange, ne fût interprété, dans un sens arien, de l’infériorité du Verbe. P. G., t. xlii, col. 231, 299 ; t. xliii, col. 73, 83. Photius accuse les syriens de cette résection ; Nicon, Isaac le catholique et d’autres encore en rendent les arméniens responsables. Saint Épiphane le met sur le compte des orthodoxes en général, comme nous avons déjà dit ; et si son témoignage ne porte pas sur Luc, xxii, 43, 44, il a certainement pour objet un cas absolument semblable. — Quelque documentée que soit cette hypothèse, elle ne tient pas devant le fait incontestable que les versets retranchés dans saint Luc se lisent dans saint Matthieu, xxvi, 39 ; et cela précisément dans les évangéliaires destinés à la lecture publique. A quoi bon taire dans le troisième Évangile ce qu’on publiait dans le premier ?

3° Reste une troisième explication qui paraît beaucoup plus acceptable, Scrivener n’hésite pas à la faire sienne. On sait, à n’en pas douter, que pendant les quatre premiers siècles, il y eut plusieurs essais de concordance évangélique. Du quadruple récit on en faisait un seul, aussi complet que possible sans redites ni lacunes. Le plus remarquable monument de ce genre est le Diatessaron de Tatien. Sans aller aussi loin, les rédacteurs des évangéliaires se seront inspirés de la même méthode. Quand il était question de fixer d’une façon définitive la lecture à faire pour une fête donnée, il fallait bien se prononcer pour le récit de l’un des quatre évangélistes. Mais si l’on s’arrêtait à saint Matthieu par exemple, on avait soin de le compléter par l’intercalalion de fragments tirés des trois autres, dans le cas où le récit du premier Évangile était incomplet. Il est aisé de s’imaginer quelle confusion ce procédé ne tarda pas à introduire dans le texte biblique. Nous n’en sommes pas réduits ici à une simple conjecture ; saint Jérôme, P. L., t. xxix, col. 528, dans sa préface au pape Damase, dit clairement ce qu’il en était : Magnus siquidem hic in nostris codicibus error inoleint, dum quod in eadem re alius Evangelista plus dixit, in alio quia minus putaverint, addiderunt. Vel dum eumdem sensum alius aliter expressit, ille qui unume quatuor primum legerat, ad ejus exemplum ceteros quoque existimaveril cmendandos. Unde accidit ut apud nos mixla sint omnia et in Marco plura Lucse atque Matthœi. Bursum in Matthseo plura Joannis et Marci et in ceteris reliquorum quæ aliis propria sunt inveniantur. L’insertion de Luc, xxii, 43, 44, dans Matth., xxvi, 39, n’est pas un cas isolé. Pour nous borner ici à un seul exemple, on peut constater dans cette même section, que les évangéliaires prescrivent de lire, le jeudi soir de la semaine sainte, l’intercalation du lavement des pieds : c’est Jean, xiii, 3-17, transporté entre le verset 20 et le verset 21 de Matth., xxvi. L’habitude qu’on avait d’écrire et de lire Luc. xxii, 43, 44, après Matth., xxvi, 39, passa bientôt des évangéliaires à quelques exemplaires ordinaires des Évangiles, puis l’altération se propagea au point d’être assez commune dans le monde gréco-romain du IVe siècle. Moins de trois siècles plus tard, les versets interpolés avaient fait retour à leur place primitive, tellement que l’ancienne erreur ne restait plus que dans un petit nombre d’exemplaires. C’est saint Anastase du Sinaï qui nous l’apprend, P. G., t. lxxxix, col. 290. 11 rend même raison de ce triomphe définitif de l’intégrité du texte évangélique : « On peut bien, dit-il, fausser une leçon dans un nombre plus ou moins grand d’exemplaires grecs et latins ; mais comment altérer toutes les versions qui existent déjà en soixante-douze langues ? » C’est aussi la remarque de saint Jérôme dans cette même préface au pape Damase, que nous venons de citer : Nec emendare quid licuit… nec profuit, cum multarum gentium linguis Scriptura anle translata doceat falsa esse quæ addila sunt.

4° Nous suggérons en finissant une dernière hypothèse. Les plus anciens témoignages — ceux de saint Justin et de saint Irénée — établissent, il est vrai, que le récit de la sueur de sang se lisait dans le texte évangélique du IIe siècle (saint Justin le dit expressément) ; mais ils ne précisent pas si c’était dans saint Luc ou dans saint Matthieu. Dès lors, ne pourrait-on pas supposer