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AGNOSTICISME


débet convenire, et id quod significatur, et modus quo significatur ; ut autem negatio sit rêva, satis est si alterutrum non convenu. Kleutgen, De Deo, n. 307.

Ces remarques posées, nous allons nous occuper directement de la doctrine spencérienne.

/L vices de Méthode. — Qu’il suffise de remarquer que la théorie de l’inconnaissable part d’un subjectivisme systématique et s’appuie gratuitement sur des notions confuses et sophistiques, relatives à la connaissance et à l’explication scientifiques.

Il est hors de doute que le subjectivisme sensualiste de Hume constitue le fond de l’idéologie de Spencer. Voir Mercier, Les origines de la psychologie contemporaine, c. iii, a. 2. Nous supposons démontrée ailleurs la fausseté de cette doctrine. La théorie de la connaissance et de l’explication scientifiques est sophistique et dénuée de fondements suffisants. En effet, nous venons de faire voir que pour H. Spencer, inconnaissable et inexplicable sont synonymes : à ce titre, sont déclarées inconnaissables toutes les notions qui ne peuvent être classifiées dans un genre ou rattachées à une cause. C’est déclarer, en d’autres termes, qu’en dehors de l’explication scientifique (déduction ou classification) il n’y a pas connaissance. Mais ce postulatum n’est pas recevable ; car il faut que l’explication scientifique conçue comme relative à une base (genre ou cause) suppose la connaissance de cette base. Admettons que cette connaissance d’un principe ne sera point scientifique au sens strict ; admettons même un instant la terminologie qui la désigne comme une croyance : elle n’en sera pas moins fondamentale et certaine.

//L CONTRADICTIONS INHÉRENTES AUX CONCLUSIONS

finales. — 1° La notion de l’inconnaissable à laquelle aboutit Spencer est contradictoire : « L’auteur affirme, d’une part, que tout connaissable est une manifestation de l’inconnaissable qui se « révèle » par là ; et, d’autre part, il nous dit que cet inconnaissable échappe absolument à notre connaissance. C’est là une contradiction évidente. Ce qui se révèle à nous, nous est nécessairement connu, du moins en quelque manière : on ne peut l’appeler absolument inconnaissable. » Gruber, Le positivisme, p. 263. —2° La notion des inconnaissables est également entachée de contradiction en elle-même, et avec la doctrine spencérienne de l’évolution. Elle affirme l’identité des inconnaissables divers avec l’inconnaissable unique dont ils sont les modes et les manifestations : « Nous affirmons l’identité de deux inconnus. Scepticisme absolu touchant la nature des choses, affirmation la plus dogmatique de leur identité : tel est le résumé de la doctrine de l’évolution. Ces deux états d’esprit ne sauraient se concilier. Quand M. Spencer professe que des forces peuvent se transformer en sensations, il ignore ce qu’est la force et ce qu’est la sensation… Pourtant, il me faut croire que le phénomène matériel s’est transformé en phénomène moral ; chaleur, lumière, affinité dont je ne sais rien, deviennent sensation, émotion, pensée dont je ne sais pas davantage. Mystère d’une part, mystère de l’autre ; seulement M. Spencer m’affirme que le premier mystère s’est transformé dans le second. Entré ce scepticisme et ce dogmatisme, la contradiction est manifeste. » Denys Cochin, L’évolution et la vie, p. 60, 61.

IV. IGNORANCE DE LA DOCTRINE THËOLOGIQUE TRADITIONNELLE.

Ceux qui opposent la théorie de Spencer à la preuve traditionnelle de l’existence de Dieu trahissent généralement une grave ignorance au sujet de cette dernière. Ils supposent que la théorie scolastique, se bornant aux indications d’une analogie douteuse, attribue gratuitement à la nature divine les perfections quelconques découvertes dans les créatures. Il suffira, par exemple, d’observer certaine analogie entre l’ordre de l’univers et celui d’une montre, pour attribuer à une cause suprême la perfection d’un artiste intelligent. En

réalité, le raisonnement des maîtres de la scolastique était plus complet et plus rigoureux. Nous devons en indiquer brièvement la marche générale. Voir Dieu (Existence de), Analogie, Éminence. Ils établissaient d’abord l’existence de Dieu conçu comme acte pur (voir ce mot), et d’emblée ils arrivaient à ce résultat que nulle perfection existant dans les êtres créés ne peut lui faire défaut, bien qu’elle doive se réaliser en lui dans une modalité supérieure et sous une forme éminente. La connaissance des attributs divins se bornait donc à une question de rectification des concepts humains, à la question de savoir quelle correction doivent subir nos connaissances, relatives aux perfections des créatures, avant que ces conceptions puissent être attribuées à Celui qui est Vacte pur. Dans cette recherche, la philosophie traditionnelle admet le principe suivant : La première cause ne peut être connue par des notions fournies par son essence, mais seulement par des notions analogues. Point de notion fournie par son essence ; c’est-à-dire point de notion dont les éléments ne soient puisés dans les êtres créés. Les notions révélées elles-mêmes ne sauraient échapper à cette loi : JJnde Dyonisius dicit quod impossibile est nobis aliter superlucere divinum radium nisi circumvelatum varielate sacrorum velaminum. S. Thomas, In lib. Boet., q. vi, a. 3.

Fondé sur ces principes et s’appuyant toujours sur la doctrine des livres aréopagitiques, saint Thomas a fait ressortir ce double enseignement : 1° On ne peut connaître l’existence d’une chose et en ignorer totalement la nature (cette affirmation contredit directement le réalisme transformé d’Herbert Spencer). — 2° Les perfections des créatures s’appliquent à Dieu, non à titre de synonymes, mais avec une correction nécessaire. — Voici comment il a développé ces deux points : 1. Opusc. LXIII, In lib. Boet., q. vi, a. 3. Impossibilité de connaître l’existence et d’ignorer totalement : De nulla re sciri potest an est, nisi quoquo modo de ea sciatur quid est, vel cognitione perfecta, vel cognitione confusa… Ergo de Deo et de aliis substantiis immaterialibus non possumus se ire an est, nisi sciremus quodammodo de eis quid est sub quadam eonfusione. Or, la connaissance que nous pouvons avoir de Dieu ne s’appuie sur aucune composition réelle ou logique, sur aucune distinction de genre et d’accident qui serve à le définir. Donc, nous savons seulement son existence, et au lieu de connaissance propre, nous avons une connaissance par voie de négation, ou par voie de causalité ou par voie d’excès. Cette théorie est étendue à la généralité des substances immatérielles : Ita ergo de formis immaterialibus cognoscimus an est, et habemus de eis loco cognilionis quid est cognilionem per negalionem, per causalitatem et per excessum : quos etiam modos Dionysius ponit in lib. De divinis nominibus. Voir Éminence, Analogie. —2. Saint Thomas distingue la réalité désignée, illud ad quod significandum nomen imponitur, et le mode subjectif de notre conception. Au premier point de vue toute perfection qui revêt un mode exclusivement convenable aux créatures ne peut convenir à Dieu que métaphoriquement : Qusecumque nomina exprimunt hujusmodi perfectiones cum modo proprio creaturis, de Deo dici non possunt nisi per simililudinem et metaplioram. Hujusmodi autem sunt omnia nomina imposita ad significandam speciem rei creatse, sicut homo et lapis. Simililer quxeumque nomina proprielales rerum désignant quee ex propriis principiis specierum causantur… Au second point de vue, toute perfection revêt, par la constitution même de notre intelligence, un mode subjectif qui ne saurait convenir à Dieu. Ce mode implique la composition, c’est-à-dire la dépendance et la relativité. Cont. gentes, loc. cit.

En résumé, H. Spencer avait dit : Nous ne pouvons concevoir l’absolu que dans un mode de pensée relatif, puisque toute pensée humaine implique relation et opposition. Saint Thomas a bien senti la difficulté et s’en est