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AGNOSTICISME


connaissances : le premier, objet de foi, le second, objet de science. Ces écoles peuvent s’appeler agnostiques dans un sens plus restreint, mais encore assez large et mal défini. Il vaut mieux les appeler écoles fldéisles. Telles sont les doctrines de Maine de Biran, Hnmilton, etc. Voir Ollé-Laprune, De la certitude morale, c. iv, § 3, Paris, 1880, p. 183.

Toutes les écoles précédentes assignent à la foi ou au sentiment un rôle légitime en dehors de toute méthode scientifique et de toute donnée rationnelle. On peut ramener à un triple chef les vues systématiques ou préjugés qui les inspirent : préjugé historique, préjugé psychologique, préjugé logique.

1° Préjugé historique.— L’histoire des dogmes et des religions, aussi bien que l’observation contemporaine, ayant fait voir toute une catégorie de vérités religieuses et morales universellement et spontanément admises, indépendantes, semble-t-il, de tout raisonnement, on en conclut à l’existence d’un sentiment aveugle. Cette observation est superficielle, la spontanéité de cette croyance repose sur une induction prompte et naturelle à l’esprit humain, c’est-à-dire sur le principe de causalité et l’argument d’analogie qui en est une application. Voir Diel (Existence de).

Préjugé psychologique.

L’incapacité de l’intelligence est affirmée : soit au nom d’une suprématie de la volonté, soit comme conséquence du sensualisme (philosophie de la volonté, philosophie de l’empirisme sensualiste). D’une part, divers systèmes philosophiques — exaltant la volonté au détriment de l’intelligence et parfois annulant celle-ci — ont fait dépendre surtout des dispositions morales, des affections et sentiments aveugles, l’acceptation des principes (Maine de Biran, Pascal). D’autre part, H. Spencer, dont la philosophie répond proprement à la désignation moderne d’agnosticisme, prétend établir empiriquement l’impossibilité où nous sommes de concevoir et de comprendre les idées dernières de la science et de la religion.

3° Préjugé logique (théorie de Y Inconditionné). — H. Spencer prétend arriver rationnellement au même résultat. Pour cela il montre objectivement la relativité de toute connaissance : d’explication en explication, nous sommes forcés de ramener tout système scientifique à des vérités dernières, inexplicables par d’autres vérités (et par conséquent inconnaissables, si l’on adopte la terminologie spencérienne). Puis il cherche à obtenir subjectivement la même conclusion par l’impossibilité de concevoir l’Infini et l’Absolu.

C’est à ce point de vue logique ou dialectique que l’agnosticisme est particulièrement remarquable. Ces ; sous cette forme qu’on le reconnaît plus facilement non seulement dans l’histoire de la philosophie, mais dans l’histoire des hérésies. C’est ainsi qu’il mérite tout spécialement l’attention du théologien parce qu’on le retrouve, aussi bien au moyen âge qu’au temps des premières luttes théologiques, taisant le fond des doctrines condamnées par la tradition ecclésiastique et l’enseignement des docteurs. A ce point de vue, son étude peut nous apprendre comment le dogme chrétien s’est précisé dans son évolution traditionnelle.

II. AGNOSTICISME PROPREMENT DIT (FORME DIALECTIQUE). — lo Agnosticisme propre aux hérésies du christianisme primitif. — De tout temps, ce fut une des maximes fondamentales du panthéisme que « dans la substance, toute détermination est une négation ». Voir Caro, Idée de Dieu, c. ii, § 2. Spinoza s’est particulièrement inspiré de cet axiome, aussi bien que les néo-platoniciens et les gnostiques : les uns et les autres en ont fait un principe directeur de leurs spéculations ; celles-ci supposent la confusion perpétuelle de l’Être absolu (possédant toutes les déterminations possibles), et de l’Être indéterminé ; d’où la contusion de l’être divin avec l’être universel, qui réapparaît fréquemment

chez les écrivains modernes. Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la religion, passim. Saint Thomas combat cette erreur, Contra gentes, 1. I, c. xxvi. Il montre comment on a pu la tirer d’un passage aréopagitique mal interprété, De cœlesti hierarchia, c. iv : Esse omnium est supersubstantialis divinitas. Voir Stentrup, De Deo uno, th. xiii.

De cette conception panthéistique générale, provient l’agnosticisme des premiers siècles. En effet, gnostiques et néo-platoniciens abusaient de cette notion véritable que Dieu est un être éminent, que sa notion est audessus des catégories (voir Eminence), échappe par conséquent à toute détermination logique telle que genre et différence. Le type le plus net nous est offert dans un système curieux attribué à Basilide par l’auteur des Philosophumena. Voir Duchesne, Les origines chrétiennes, autogr., p. 146. D’autres gnostiques prétendaient au contraire que Dieu. Être universel, est parfaitement connu. On peut constater une remarquable analogie entre leur système et l’ontologisme moderne. Voir snint Épiphane, Adv. hæreses, 76, P. G., t. xlii, col. 522, et Franzelin, De Deo uno, th. x. Obligés de combattre cette erreur ainsi que l’erreur stoïcienne — identification de la substance divine et de la substance universelle — les Alexandrins les plus orthodoxes ont fréquemment répété que Dieu est incompréhensible, en ce sens qu’il ne peut être défini par genre et par différences logiques. Saint Thomas s’inspirant particulièrement des écrits aréopagitiques a montré que Dieu était connu par la négation des propriétés finies telles que nous les connaissons dans les créatures, jointes à l’affirmation de propriétés analogues et éminentes. Voir Dieu (Connaissance de), Analogie, Éminence, Clément d’Alexandrie, Plotin.

2° Agnosticisme envisagé dans ses formes modernes. Théories d’Hamilton, Mansel et Spencer. — Spinoza, puis Hegel ont paru favoriser la confusion sophistique de l’être parfait et de l’être universel, en d’autres termes, de l’être négativement indéterminé, parce qu’il répugne à toute détermination finie, et de l’être privativement indéterminé, parce qu’il est conçu abstraitement, dépouillé de toutes les déterminations dont il est susceptible. Renan a plusieurs fois reproduit ce point de vue. Voir Caro, Idée de Dieu. La même équivoque panthéistique se retrouve à la base de l’agnosticisme moderne, tel qu’il résulte d’abord des spéculations d’Hamilton et de Mansel, puis surtout du système spencérien. L’exposition de ces théories nécessitera le recours à des éléments que nous avions d’abord distingués : le préjugé psychologique de l’empirisme sensualiste et le préjugé logique qui con* stitue la théorie de l’inconditionné.

Les théories d’Hamilton, Mansel et Spencer peuvent être synthétisées dans les trois affirmations suivantes : 1. L’absolu et l’infini sont des conceptions contradictoires ; 2. elles ont pourtant un élément commun : elles représentent l’inconditionné ; 3. l’inconditionné est chose absolument inconcevable ; donc, inconnaissable. Reprenons ces trois affirmations pour en expliquer le sens.

1. L’absolu est chose indépendante, complète, parfaite ; mais il est conçu comme un tout, c’est-à-dire fini. D’autre part l’infini est chose illimitée et indéfinie. Donc, il y a contradiction. Voir Dictionnaire de philosophie de Franck, art.HaHipon.Pour mieux comprendre l’origine de cette antinomie sophistique, il faut se reporter à l’antagonisme historique, qui se manifesta dans les écoles de philosophie grecque et se poursuivit jusqu’au moyen âge entre la notion de l’indéfini (ànEipov) et la notion du parfait (rcspa ; ). La première notion était pour les Ioniens, et les écoles matérialistes qui les suivirent, une sorte de principe absolu, imaginé comme un océan sans limites, puissance universelle, qui, en se déterminant, causait l’universalité des êtres. D’ailleurs, la seconde notion, également sous l’influence de la repré