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AGNOÈTES

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qui affirment que l’humanité du Christ n’a pas toujours été unie à sa divinité, ou qu’elle ne lui a pas été unie hypostatiquement. De orlhod. jide, 1. III, c. xxii, P. G., t. xciv, col. 1088.

Citons encore parmi ceux qui ont rejeté la doctrine des agnoites, depuis le viiie siècle : en Orient, l’auteur des Scolia vetera in Lucam, ii, 40, P. G., t. cvi.col. 1689 ; Théophylacte, In Luc, H, 52, P. G., t. iicxxi col. 732 (cf. Euthymius, In Luc, ii 52, P. G., t. cxxix, col. 897, qui s’explique moins clairement) ; en Occident, le vénérable Bède, Hom., xii, m Dominic. post Epiphan., P. L., t. xciv, col. 65 (le même auteur, In Lucam, ii 52, P. L., t. cxii, col. 5’13, se contente de remarquer qu’il y eut un développement de la science humaine de Jésus) ; Alcuin, De fide S. Trinitatis, 1. II, c. xi, P. L., t. ci, col. 30 ; S.Anselme, Car Deus homo, 1. II, c. xiii, P.L., t. clviii, col. 413 ; l’auteur de la Summa Sententiarum, attribuée à Hugues de Saint-Victor, tr. I, c. xvi, P. L., t. clxxvi, col. 73 ; S. Bernard, De gradibus humilitatis, c. iii, n. 9, P. L., t. clxxxii, col. 946 ; Pierre Lombard, Sent., . III, dist. XIII, XIV. Disons même que plusieurs de ces auteurs ne semblent pas faire assez de différence entre la science humaine du Christ et sa science divine.

&° Depuis le xii 1° siècle. — A partir de cette époque, tous les théologiens distinguent les diverses espèces de sciences humaines du Christ et en fixent la nature, l’objet et l’étendue. Albert leGrand, IV Sent., 1. III, dist. XIII, a. 10, 12 ; dist. XIV, a. 1, 3, 4, et saint Bonaventure, IV Sent., 1.111, dist.XIV, a. 2, q. I ; ii, m ; a. 3, q. ii iii, attribuent à l’âme du Christ une triple science : 1. la science des bienheureux ou la vision intuitive ; 2. la science d’Adam dans l’état d’innocence ou science infuse ; 3. la science des hommes, depuis le péché, ou la science expérimentale. La raison pour laquelle ils accordent à l’humanité du Christ ces trois sciences, c’est que le Christ, comme chef de l’humanité, devait posséder sur la terre toute la science qui a été accordée à n’importe quel homme en cette vie ou en l’autre. Saint Thomas d’Aquin attribue aussi à l’âme du Christ ces trois sciences ; mais, pour justifier leur existence, il ne recourt pas moins aux considérations philosophiques qu’aux raisons théologiques. Il estime, en effet, que toutes les puissances de l’âme du Christ ont dû atteindre toute la perfection dont elles étaient susceptibles.

1. Le Christ a donc reçu la vision béatifique avec toute la perfection qu’elle peut avoir dans une créature intelligente. Sum. theol., III a, q. ix, a. 2. Cependant le Christ, comme homme, est fini. Il n’a donc pu comprendre Dieu, comme Dieu se comprend lui-même. La vision intuitive ne fait donc point connaître à l’âme du Sauveur tous les possibles que Dieu pourrait produire. Mais elle lui fait voir l’essence divine et dans l’essence divine toutes les créatures passées, présentes et futures, tout ce que ces créatures ont fait ou feront, tout ce qu’elles pourraient faire. Ibid., q. x, a. 1, 2.

Depuis le premier instant de son existence, l’âme du Christ a l’intuition continue et toujours actuelle de toutes ces choses. Ibid., q. XI, a. 5, ad l um.

2. L’intellect passif du Christ étant capable de recevoir une science infuse des mêmes objets, l’a reçue également depuis le moment de sa création. Mais la science répandue ainsi en son âme est simplement habituelle. Le Christ ne pense pas constamment aux divers objets qu’il connaît de cette manière. Il porte son attention sur chacun d’eux, suivant sa volonté, et rend ainsi cette science actuelle. Sum. theol., III a, q. ix, a. 3 ; q. xi, a. 5.

3. L’intellect agent est donné à tous les hommes pour qu’ils arrivent à la science par leurs propres efforts. Le Christ ayant cet intellect agent dans sa nnture, s’en est servi pour acquérir par lui-même et sans les enseignements de personne (directement ou indirectement) toute la science expérimentale à laquelle cet intellect peut par venir. Saint Thomas d’Aquin a toujours pensé qu’il y avait eu progrès dans la science expérimentale du Christ, bien que ce progrès ait été très rapide, puisqu’il devait s’étendre durant sa vie, à tout ce que l’homme peut connaître. Cependant, dans son commentaire sur Pierre Lombard, IV Sent., 1. III, dist. XIV, q. i, a. 3, ad 5 » m, se conformant aux vues de son maître, Albert leGrand, 1 V Sent., 1. III, dist. XIII, a. 12, le docteur angélique n’admellait pas que ce progrès se fit dans l’intelligence du Christ elle-même. Il croyait que cette intelligence s’était trouvée complètement développée dès son premier acte ; il soutenait donc qu’il y avait eu progrès dans la science expérimentale du Christ, seulement en ce sens que les expériences faites par le Sauveur ajoutaient une nouvelle certitude à la science déjà possédée de son intelligence. Mais dans sa Somme théologique, il corrigea cette première manière de voir et admit que la science expérimentale du Christ avait progressé dans son intelligence elle-même.

La question revenait à savoir si le Christ avait acquis expérimentalement une science habituelle, qui paraissait avoir le même rôle que sa science infuse. Les vues opposées émises par saint Thomas dans son commentaire sur les Sentences et dans la Somme théologique, eurent dans la suite des partisans. Des théories diverses ont été formulées sur la science expérimentale aussi bien que sur la science infuse du Christ, parfois même sur la science qui résultait en lui de la vision intuitive. Le théologien qui s’éloigna le plus de saint Thomas d’Aquin, fut Duns Scot. Il reconnut aussi trois sortes de connaissances différentes dans l’âme du Christ : la vision béatifique, la science infuse qu’il appelait abstractive, et la science expérimentale qu’il appelait intuitive. 1° Duns Scot crut que l’âme du Christ pouvait voir dans l’essence de Dieu tout ce que Dieu y voyait luimême, même les simples possibles ; par contre, au lieu de dire, comme saint Thomas, que cette vision béatifique était toujours actuelle, par rapport à tous ces objets, il enseigna, à la suite de saint Bonaventure, lVSent., . III, dist. XIV, a. 2, q.i, ii ni, qu’elle était seulement habituelle, en ce sens que le Christ pouvait porter son attention à son gré sur les divers objets que l’essence du Verbe luiprésentaiteommedans un miroir. IV Sent., . III, dist. XI V, q. ii n. 16, 20 ; ReportataParisiensia, ! VSent., 1. III, dist. XIV, q. n. — 2° Nous avons dit qu’il appelait la science infuse du Christ abslractive. C’est qu’il pensait qu’elle ne pouvait porter sur les êtres existants, mais seulement sur des concepts abstraits. Il admet en conséquence que cette science pouvait progresser par application de ces concepts abstraits aux êtres existants. — 3° Il appelait la science expérimentale du Christ intuitive, parce qu’elle portait, suivant lui, sur les objets présents. Il soutint que cette science s’était développée dans le Christ, soit en raison de la présence des objets qui s’offraient à sa connaissance, soit par les souvenirs que ces objets lui laissaient, soit par les applications qu’il faisait à ces objets de sa science abstractive./V>S’erU., l. III, dist. XIV, q. iii, n. 7, 8 ; Reportala Parisiensia, IV Sent., 1. III, dist. XIV, q. m.

Ce n’est pas le lieu de rappeler les autres théories des scolastiques sur ces matières. Voir Science du Christ. Disons seulement que, malgré leur nombre et leur diversité, toutes ces théories reconnaissaient que le Christ avait joui de la vision intuitive depuis le premier instant de son existence. Elles étaient donc toutes en opposition avec le sentiment des agnoètes.

5 » Conclusions. — 1. Avant Arius, les Pères ne parlent pas clairement de la différence qu’il y a entre la science divine et la science humaine du Christ. — 2. Au ive et au Ve siècle la controverse avec les ariens les amène à insister sur cette différence. Ils opposent la science divine du Christ à sa science purement humaine, sans s’expliquer beaucoup sur la science surnaturelle que l’âme du