Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/317

Cette page n’a pas encore été corrigée
591
592
AGNOÈTES


II me paraît incontestable que c’était le second. Ils ne faisaient pas sans doute, entre les diverses sciences humaines du Christ, les distinctions qu’imaginèrent plus tard les scolastiques. Mais ils ne disent jamais qu’il n’y avait dans l’âme du Christ aucune science surnaturelle. Us disent seulement que ses lumières purement naturelles et humaines le laissaient dans une certaine ignorance, parce qu’il avait pris notre nature avec ses infirmités. Ils réfutaient ainsi les ariens qui imputaient cette ignorance au Verbe et ils expliquaient les textes évangéliques d’une façon très acceptable.

D’ailleurs, nous avons la preuve que ces Pères n’entendaient parler d’ignorance dans le Christ que par rapport à sa science purement humaine et naturelle. Cette preuve se trouve dans d’autres affirmations où ces mêmes Pères et leurs contemporains enseignent clairement que le Sauveur a connu le jour du jugement comme homme et que les progrès en sagesse que lui attribue l’Évangile étaient apparents et non réels. Montrons-le. Saint Athanase, Contra arianos, orat., iii, n. 51 sq., P. G., t. xxvi, col. 412, dit que le progrès de Jésus en sagesse consistait dans une manifestation de plus en plus complète de sa divinité ; saint Grégoire de Nazianze, Orat., xliii, n. 38, P. G., t. xxxvi, col. 548 ; cf. Epist. ad Clidonum, P. G., t. xxxvii, col. 182, que la sagesse que le Christ possédait se manifesta peu à peu ; saint Cyrille d’Alexandrie, qu’il mesurait à son âge la manifestation de ses prérogatives, Cont. Nestorium, 1. III, c. iv, P. G., t. lxxvi, col. 153, ou qu’il montrait plus de sagesse à mesure qu’il grandissait, pour se conformer à la manière d’être des hommes, Thesaur., assert, xxviii, P. G., t. lxxv, col. 422, ou encore que ce n’était pas lui qui progressait, mais l’admiration de ceux qui le voyaient, In Joa., i, 14, c. IX, n. 98, P. G., t. lxxiii, col. 164, 165 ; saint Ambroise, De fide, 1. V, c. iv, 54, P. L., t. xvi, col. 460, qu’il a feint d’ignorer ce qu’il savait ; saint Fulgence démontre longuement que son âme humaine avait une pleine connaissance de la divinité. Il déclare qu’on sortirait des limites d’une foi saine, en pensant le contraire : Perquam durum est et a sanitate fidei penitus alienum, ut dicamas, aniniam Christi non plenani suse deitatis habere nolitiam, cuni qua naturaliter unam creditur habere personam, Epist., Xiv, n. 26, P. L., t. lxv, col. 416 ; saint Épiphane enseigne que le Christ avait la connaissance du jour du jugement, bien qu’il n’eût pas encore exécuté ce qu’il doit y faire. Ancorat., xxi, P. G., t. xliii, col. 57.

Il résulte de ces textes que les mêmes Pères à qui nous avons entendu reconnaître l’ignorance du Christ pour l’attribuer à ce qu’il y avait d’humain en lui, ont affirmé dans d’autres passages que l’àme du Christ était exempte de cette ignorance. Y a-t-il là contradiction ? Qui oserait porter une semblable accusation contre tous ces Pères de l’Église ? Évidemment, malgré une contradiction apparente, il y a accord et unité dans leur doctrine. Pour que cet accord soit complet, il suffit d’entendre, comme nous l’avons fait, les textes que nous avons cités en premier lieu. Ces Pères ont donc vraiment admis, d’une paît, que le Christ devait ignorer bien des choses, par ses lumières purement humaines et naturelles ; et, d’autre part, qu’il les connaissait par les lumières surnaturelles et divines, auxquelles participait sa sainte humanité.

Un grand nombre d’autres Pères de la même époque affirment aussi contre les ariens et contre les nestoriens que Jésus connaissait comme homme le jour du jugement et que son progrès en sagesse ne fut qu’apparent. Citons saint Basile, Cont. Eunom., 1. IV, P. G., t. xxix, col. 696 ; saint Cbrysostome, tloni., lxxviii, in Matth., n. 11, P. G., t. lviii, col. 703 ; saint llilaire, De Trinitatc, I. IX, c. i.xii sq., P. L., t. x, col. 331-341 ; saint Jérôme, In Matth., xxiv, 36, P. L., t. xxvi, col. 188 ; saint Augustin, In Ps. vi, n. 4, P. L., t. xxxvi, col. 90 ;

De diversis quxstionibus, q. lx, lxv, P. L., t. xl, col. 48-60 ; cf. De Triait., 1. XIII, c. xix, P. L., t. xlii, col. 1034.

Les Pères du IV et du Ve siècle étaient donc bien persuadés que l’àme humaine du Christ avait été remplie d’une science surnaturelle.

Nous en avons encore une preuve certaine, au moins pour l’Occident, dans la rétractation que Leporius, moine gaulois rétugié à Hippone, fit alors de ses erreurs, en particulier de l’erreur agnoite. Cette rétractation, qui semble avoir été composée par saint Augustin, fut souscrite non seulement par Leporius, mais encore par Aurélius, évêque de Carthage, par saint Augustin, évêque d’Hippone, et par d’autres évêques d’Afrique. Ce qui fit dire au pape Jean II qu’elle avait été confirmée par un conciled’Afrique. Epist., ni, P. L., t. lxvi, col. 23. Elle fut en outre envoyée aux évêques des Gaules, qui avaient précédemment condamné Leporius. Cassien, qui avait contribué à cette condamnation en combattant les erreurs de Leporius, dit, De incarnatione, 1. I, c. vi, P. L., X. iv, col. 29, que sa rétractation est une confession qui avait été approuvée par tous les évêques de l’Afrique et des Gaules et qu’il y aurait impiété à rien nier de la foi qui y est professée. Or, la rétractation de Leporius condamne avec anathème la doctrine qui impute de l’ignorance à Jésus-Christ, comme homme. Voici les propres termes de ce document : At autem et hinc nihil inquam insuspicione derclinquam, tune dixi, immo ad objecta respondi, Dominum noslrum Jesum Christum secundum hominem ignorare. Sed nunc non solum dicere non prsesumo, verum etiani priorem anathematizo prolatam in hac parte sententiam ; quia dici non licet, cliam secundum hominem, ignorasse Dominum prophetarum. P. L., t. xxxi, col. 1217 sq.

3° Du vi » au xne siècle. — Nous avons dit qu’au commencement du VIe siècle, le monophysisme avait produit une branche agnoite, qui avait pour chef le diacre Thémistius. Euloge, patriarche d’Alexandrie, réfuta Thémistius dans son traité Contra agnoetas. Il y soutient que l’humanité du Christ, étant unie hypostatiquement à la sagesse éternelle, ne peut ignorer ni le présent, ni l’avenir, et qu’il y aurait témérité à le contester. Résumé dans Photius, Biblioth., cod. ccxxx, P. G., t. ciii, col. 1081. Le pape saint Grégoire écrivit à Euloge que tout était à admirer et rien à reprendre dans ce traité contre les hérétiques qu’on nomme agnoites. Ce pape formule nettement dans cette lettre la distinction qui guidait les Pères du ive siècle et du Ve siècle dans leurs affirmations en apparence contradictoires. Il dit que le Christ connaissait le jour du jugement dans sa nature humaine, mais non par les lumières de sa nature humaine. Epist., 1. X, epist. xxxv, xxxix, P. L., t. lxxvii, col. 1092, 1096.

D’un autre côté, dans une lettre synodique à Sergius, patriarche de Constantinople, saint Sophrone, patriarche de Jérusalem, mentionnait parmi les hérétiques dignes d’anathème, "Thémistius qui, faisant du Christ un pur homme, avait eu la folie de prêcher que le Christ ignorait le jour de la consommation et du jugement, non, il est vrai, selon sa divinité, mais selon son humanité. Epistola sijnodica ad Sergium, P. G., t. lxxxvii, col. 3192. Cette lettre fut lue au sixième concile œcuménique, troisième de Constantinople. Mansi, ConcH. colli’ct., Florence, 1765, t. xi, col. 850. Le cinquième concile général, second de Constantinople, avait précédemment condamné la doctrine de Théodore de Mopsueste, qui admettait un progrès dans le Christ, coll. VI 11, ean. 12 ; Mansi, ibid., t. IX, col. 381, mais sans parler spécialement de la science du Sauveur.

Au vin c siècle, saint Jean Damascène range les agnoites parmi les hérétiques. bi> lurrrs., n. 85, P. G., t. XC1V, Col. 756. Il dit ailleurs que ceii qui admettent un progrès réel dans la sagesse du Sauveur, sont des hérétiques