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AGNOÈTES

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Il fut combattu par une partie des monophysites en même temps que par les catholiques. Mais il se fit des partisans qui furent appelés agnoites ou thémisliens. S. Jean Damascène, De liœresibus, n. 85, P. G., t. xciv, col. 756. Photius, Bibliutheca, c. ccxxx, P. G., t. ciii, col. 1079, dit que c’étaient surtout des moines de Palestine. Il attribue même à ces moines d’être les auteurs de cette erreur.

5. Protestants.

Luther enseignait formellement que le Christ connaissait le jour du jugement, comme homme, même avant sa résurrection, Sinnreiche Tischreder, c. li, § 2, Sæmmtliche Schriften, Halle, 1743, t. xxii, p. 1975. Cependant plusieurs réformateurs du xvie siècle furent d’un sentiment opposé. Bellarmin, De Christo, 1. IV, cod. i, Lyon, 1590, p. 393, cite des textes de Zwingle, de Bucer, de Calvin, de Théodore de Bèze, où l’agnoétisme est enseigné. Il en cite aussi de Luther ; mais, à mon avis, ces textes de Luther sont conformes à l’opinion de Scot (voir plus loin) et n’expriment pas l’agnoétisme.

6. Auteurs modernes.

Outre les gunthériens, quelques auteurs catholiques modernes ont admis que le Christ avait ignoré, coin me homme, le jour du jugement dernier, et qu’en avançant en âge, il avait acquis des connaissances qu’il ignorait précédemment. Ils pensent en effet que l’humanité du Christ n’a pas été favorisée de la vision intuitive de Dieu, dès le moment de sa conception Ces auteurs n’ont point fait école. Indiquons en Allemagne, le docteur Klée, Kathol. Dogmatik, 4e édit., Mayenne, 1861, t. ii qui estimait, nous l’avons dit, que la dénomination d’agnoète doit être réservée à ceux qui ont attribué de l’ignorance à la personne divine du Christ, Manuel de l’histoire des dogmes chrétiens, c. iv, § 2, n. 7, traduction Mabire, Paris, 1848, t. ii p. 67 ; en France, l’abbé Bougaud, Le christianisme et les temps présents, Paris, 1878, t. iii, p. 445462, qui présente sa doctrine, comme une opinion absolument libre, bien qu’il reconnaisse qu’elle est opposée à l’enseignement de tous les scolastiques depuis Pierre Lombard.

II. Doctrine des Pères et des théologiens.


1° Avant le IVe siècle. — La question n’ayant été encore l’objet d’aucune controverse, les Pères de cette période ne paraissent pas avoir des vues bien arrêtées sur la science du Christ. Saint Irénée, Adversus hær., 1. II, c. xxviii, P. G., t. iiv col. 811, dit que le Christ a présenté la connaissance du jour du jugement, comme réservée au Père, bien que le Père communique tout au Fils ; l’intention du Christ était de montrer la supériorité du Père, et de nous détourner de vouloir pénétrer les secrets de la divinité. Origène remarque que le Christ interrogeait ceux qui l’entouraient non pour s’instruire, puisqu’il savait leurs secrètes pensées, mais pour se conformer aux usages des hommes, dont il avait pris la nature. Ce qui ne doit pas nous surprendre, puisque Dieu lui-même s’était accommodé aux habitudes humaines en appelant Adam en ces termes : Adam où estu ? Comment. inMatth. (xiii, 51), tom. x, n. 14, P. G., t. xiii, col. 865.

On voit par ces textes que les Pères des premiers siècles n’éprouvaient pas le besoin de distinguer entre la science divine et la science humaine du Sauveur. Les luttes contre l’arianisme devaient appeler l’attention des siècles suivants sur cette distinction importante.

2° IV’et Ve siècles. — Les ariens se servaient en effet des textes de l’Écriture que nous avons indiqués en commençant et encore de ceux où Jésus pose des questions, comme pour s’instruire. Matth., xx, 32 ; xxi, 19 ; Marc, v, 9 ; Luc, viii, 30 ; Joa., xi, 34. Ils en tiraient des objections contre la divinité du Verbe. Ils prétendaient en effet que ces textes prouvent l’ignorance du Fils de Dieu. Un grand nombre de Pères leur répondirent que cette ignorance doit être rapportée non à la

divinité du Christ, mais à son humanité. Le Christ montre, dit saint Athanase, Contra arianos, orat., iii, n. 43 sq., P. G., t. xxvi, col. 416, « qu’il connaît comme Verbe, mais qu’il ignore comme homme l’heure même où se produira la fin de toutes choses ; car c’est le propre de l’homme d’ignorer surtout des choses de cette nature. Or il y a là aussi un effet de la bienveillance du Sauveur. En effet, comme il s’est fait homme, il ne rougit pas de dire, en raison de sa chair ignorante : Je ne sais pas, montrant qu’il sait comme Dieu, mais que comme fait chair, o-apy.ixû ; , il ignore. » Le saint docteur poursuit longuement l’exposé de cette opposition entre la science de la divinité et l’ignorance de la chair. Il y revient dans sa seconde épître à Sérapion, n. 9, P. G., t. xxvi, col. 621. La même pensée est exprimée par saint Grégoire de Nazianze, Orat., xxx, n. 15, P. G., t. xxxvi, col. 124 ; et par saint Cyrille d’Alexandrie, Thésaurus de Trinitate, assert, xxii, P. G., t. lxxv, col. 369-374. Saint Ambroise, De incarnat., c. iiv n. 72, 73, P. L., t. xvi, col. 837, et saint Fulgence, Ad Trasimundum, 1. I, c. viii, P. L., t. lxv, col. 231, disent dans le même sens que le progrès dont parle saint Luc, n, 52, doit s’entendre non de la sagesse divine, mais de la sagesse humaine du Sauveur. C’est aussi l’avis qu’exprime encore saint Cyrille d’Alexandrie, Quod unus sit Christus, P. G., t. lxxv, col. 1332 ; et Honi. paschal., c. xvii, P. G., t. lxxvii, col. 780. D’autres Pères de la même époque prouvaient, contre les apollinaristes, l’existence d’une âme humaine dans le Christ par cette raison, qu’il avait été soumis à l’ignorance. Ainsi font saint Épiphane, Hser., lxxvii, n. 26, P. G., t. xlii, col. 677, et saint Proclus, Epis t., ii ad Annenios, n. 14, P. G., t. lxv, col. 869. Cf. S. Ambroise, De incarn., c. iiv P. L., t. xvi, col. 834 ; S. Fulgence, Ad Trasimundum, c. viii, P. L., t. lxv, col. 231.

Petau, De incarnatione, 1. XI, c. I, n.l5, Dogmata theologica, Paris, 1866, t. vi, p. 417, conclut de là que, avant le vie siècle, plusieurs Pères ont admis la même doctrine qui devait être alors condamnée chez les agnoites. Mais cette conclusion me semble absolument inacceptable. Les agnoites thémistiens soutenaient en effet que l’âme humaine du Christ était dans une ignorance complète du jour du jugement. Les Pères, dont nous venons de parler, s’expriment fort différemment. Ils disent que le Christ connaît le jour du jugement comme Verbe, mais qu’il n’a pas honte d’avouer qu’il l’ignore en raison de la nature humaine qu’il a prise. Ils disent de même que l’accroissement en âge et en sagesse dont parle saint Luc, ii 52, doit s’entendre non de la sagesse divine, mais de la sagesse humaine du Sauveur. Or ces expressions des Pères peuvent avoir deux sens. Elles peuvent signifier que l’âme humaine de Jésus-Christ n’avait aucune science du jour du jugement, ni aucune connaissance des choses par rapport auxquelles il aurait vraiment progressé en sagesse. Ainsi entendues elles formuleraient l’erreur des agnoites. Car elles affirmeraient que la nature divine du Christ a eu une pleine science, tandis que sa nature humaine était dans une entière ignorance. Mais ces expressions peuvent s’entendre d’une autre façon. On peut comprendre que le Sauveur savait toutes choses, en raison des lumières qui lui venaient de la nature divine, et qu’il ignorait beaucoup de choses en raison des lumières qu’il tirait de ses seules ressources humaines. Ainsi entendues, elles expriment la même doctrine que saint Thomas devait développer plus tard. Elles attribuent en effet la science extraordinaire du Christ non seulement à sa nature divine, mais encore à la science surnaturelle (soit de vision, soit infuse) qui fut accordée à son âme humaine, à cause de l’union hypostatique ; et elles imputent son ignorance et son progrès en sagesse, à sa science purement naturelle.

Lequel de ces deux sens était dans l’esprit des Pères ?