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AGNŒTES

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agnoites. II. Doctrine des Pères et des théologiens. III. Le sentiment des agnoètes est-il une hérésie, une erreur ou une opinion libre ?

I. Sectes et auteurs agnoites.

1° En quoi consiste la doctrine agnoite ? — Le Christ ayant deux natures, l’une divine, l’autre humaine, a par suite aussi deux sciences, la science de sa nature divine et la science possédée par son Ame humaine. La science possédée par son âme humaine est multiple A son tour, en raison de ses diverses sources. L’âme du Christ possède, en effet : 1. une science de vision en Dieu qui résulte de la vision béalifique qui lui a été accordée sur la terre ; 2. une science infuse surnaturelle mise en son Ame dès le moment de sa création ; 3. une science naturelle et expérimentale acquise par les moyens naturels dont nous disposons ici-bas.

La science divine du Christ est infinie comme celle de son Père. Quant à la science de son âme humaine, saint Thomas enseigne qu’en raison de l’union hypostatique, l’âme du Christ a reçu, dès le premier moment de son existence, une science de vision et une science infuse qui ont pour objet l’essence de Dieu et toutes les créatures passées, présentes et futures, mais non tout ce qui est possible à Dieu. Ces deux sciences surnaturelles de l’âme humaine de Jésus s’étendent donc à la connaissance du jour du jugement dernier. Elles n’ont pu progresser ; car il en a reçu toute la perfection dès le moment de sa conception. Il n’en est pas de même de sa science naturelle, qui a pu se développer, puisqu’elle est expérimentale et acquise. Tel est, nous le verrons, le sentiment de saint Thomas d’Aquin, Sum. theol., III a, q. ix, a. 4, et d’un grand nombre d’autres théologiens. Suivant ce sentiment, les paroles de saint Marc, xxii, 32 : De die autem Ma, vel hora nemo scit, neque angcli in avlo, neque Filius, nisi Pater (cf. Matth., xxiv, 36), ne signifient donc point que l’âme du Christ ignore complètement le jour du jugement. Elles peuvent signifier qu’il ne le connait point par sa science naturelle, ou encore que cette connaissance n’entre point parmi celles qu’il est venu nous révéler. Ces paroles de saint Luc, n, 52 : Et Jésus proficiebat sapientia et œtate et gratia apud Deum et homines (cf. Hebr., v, 8), ne signifient pas qu’il y a eu progrès dans la science surnaturelle de l’humanité du Christ. Elles peuvent signifier ou bien qu’il y a eu développement dans sa science purement naturelle et acquise, ou bien qu’il ne manifestait les trésors de sa science divine, de sa science de vision et de sa science infuse, qu’à mesure qu’il avançait en âge. Il faut en effet interpréter ces textes évangéliques, par les autres textes de la sainte Écriture qui nous révèlent la science surnaturelle du Christ. Joa., i, 14, 18 ; iii, 11, 31 ; vi, 45, 46 ; iiv 15 ; xviii, 37 ; Coloss., ii 3 ; Hebr., x, 5 ; cf. Luc, ii 46-18 ; Joa., iii, 11-13 ; iivi 55 ; xvii, 25, 26.

Ainsi aucune vérité n’a jamais été ignorée de la nature divine du Verbe et aucune des connaissances qui n’exigent pas une intelligence infinie n’a été ignorée de l’Aine humaine de Jésus-Christ. Or on a appelé agnoètes ou agnoites ceux qui ont attribué au Christ l’ignorance, envolât, de quelques-unes de ces connaissances, comme celle du jour du jugement dernier, ou qui ont prétendu qu’il s’était instruit peu à peu de ces connaissances, les ayant ignorées d’abord.

Quelques auteurs modernes, comme Klée, Manuel de l’histoire des dogmes chrétiens, c. iv, § 2, n. 7, traduction Mabire, Paris, 1848, t. ii p. 67, 68, ont pensé que le nom d’agpoètes ne devait pas s’appliquer à ceux qui ont attribué cette ignorance à la nature humaine du Christ, mais seulement à ceux qui l’ont imputée A sa personne en général, et par conséquent à sa nature divine, aussi bien qu’à sa nature humaine. Nous ne partageons point ce sentiment. On appelle d’ordinaire agnoètes, les hérétiques qui ont refusé à l’humanité du

Christ la science surnaturelle dont nous parlions tout à l’heure. Nous voyons ce terme employé pour la première fois, lorsqu’on veut désigner les eutychiens qui imputaient une science bornée au Christ, considéré comme homme. S. Grégoire le Grand, Epist., . X, epist. xxxv et xxxix, ad Eulogium, P. L., t. lxxvii, col. 1001, 1096 ; S. Jean Damascène, De hæres., n. 85, P. G., t. xciv, col. 756. Il est appliqué aussi, à la même époque, aux nestoriens qui soutenaient la même erreur, en attribuant deux personnalités au Verbe. Res autem manifesta est, quia, quisqxiis nestorianus non est, agnoita esse nullalenus potest. S. Grégoire le Grand, ibid., epist. xxxix, col. 1098. Dans son sens propre, le mot agnoites ou agnoètes désigne donc ceux qui ont imputé une science bornée au Christ considéré comme homme. Cependant dans un sens plus large ce mot a été aussi appliqué aux hérétiques qui ont prétendu limiter sa science divine ; car comment imputer l’ignorance au Verbe, sans l’imputer aussi à l’humanité qu’il a prise. Aussi nous nous conformerons à cet usage, dans la liste que nous allons donner des sectes et des auteurs agnoites.

Sectes et auteurs agnoites.

1. Les ariens attribuaient au Fils de Dieu une nature inférieure à celle du Père. Or pour établir cette hérésie, ils soutenaient que le Christ avait ignoré le jour du jugement, et les choses au sujet desquelles il pose des interrogations dans l’Évangile. S. Athanase, Contra arianos, iii, n. 50 sq., P. G., t. xxvi, col. 428 sq. ; S. Grégoire de Nazianze, Oral., xxx, n. 15, P. G., t. xxxvi, col. 124.

2. Les apollinaristes.

Apollinaire (voir ce mot) disait que le Christ avait pris une Ame humaine sans entendement. Il devait donc attribuer l’ignorance à cette âme inférieure. Quelques-uns de ses disciples allèrent plus loin encore, puisqu’ils refusaient toute âme humaine au Christ.

3. Les nestoriens et les hérétiques à tendances nestoriennes étaient naturellement portés à diminuer les prérogatives de l’humanité du Christ, puisqu’ils n’admettaient pas qu’elle fût terminée par la personne du Verbe. — Théodore deMopsueste qui inspira l’hérésie de Nestorius, disait que Jésus comme homme était ignorant au point de n’avoir point su qui le tentait au désert. Théodore de Wopsueste, De incarn., 1. VII, P. G., t. lxvi, col. 986 ; Léonce deByzance.ConL A T es(., l. lU, n.3’2, l~’.G., , . lxxxvi, col. 1373. — Nestorius soutenait que Jésus avait appris des choses qu’il ignorait et progressé ainsi en sagesse. S. Cyrille d’Alexandrie, Cont. Nest., 1. III, c. IV, P. G., t. lxxvi, col. 153. — Leporius, prêtre d’Ilippone, qui était infesté des mêmes erreurs que Nestorius, avait comme lui attribué de l’ignorance A l’humanité du Christ ; mais il se rétracta ensuite. Libellus emendationis, I’. L., t. xxxi, col. 1229. — Félix d’Urgel, qui renouvela les erreurs de Nestorius dans l’adoptianisme, enseignait que Jésus ignorait vraiment le lieu où était le corps de Lazare qu’il voulait ressusciter, le jour du jugement, les discours des deux disciples d’Emmaiis, de même qu’il ignorait si Pierre l’aimait plus que les autres apôtres. Agobard, Adversus Felicem Urgellenum, n. 5, P. L., t. civ, col. 37. — Ce fut aussi dans notre siècle le sentiment des gunthériens (voir ce mot). Stentrup, Prselecliones dogmaticæ, Christologia, c. lxxiii, t. ii p. 1106.

4. Monophysites.

Les monophysites confondaient la nature humaine du Christ avec sa nature divine. Ils auraient donc dû exagérer les prérogatives de celle nature humaine, an lieu de les amoindrir. Cependant, plusieurs d’entre eux, dont le chef était Sévère, formèrent la secte des phthartolatres ou corrupticoles qui regardait la chair du Christ comme corruptible. Après la mort de Sévère, Thémistius, diacre d’Alexandrie, qui appartenait A celle secte, en forma une nouvelle, en appliquant A l’Ame du Christ la même règle que les corrupticoles appliquaient à son corps. Il soutint donc que le Christ comme homme ignorait le jour du jugement.