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AGGÉE, II, 7-10

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contre la traduction de la Vulgate hiéronymienne se peuvent ramener à trois chefs.

a) Dans le texte hébreu, le verbe est au pluriel : vebdû, « et venient. » D’où il faut conclure que le sujet hemdat ne saurait désigner une seule personne, mais doit avoir un sens collectif. On parle du désir pour donner à comprendre les choses mêmes qui en sont l’objet : divitiæ, res pretiosse, optima quæque. Si on ne veut pas y voir un collectif, il faut alors lier tellement le mot hemdat aux deux suivants Kol-haggoïm, « omnium gentium, » lui servant de complément, qu’il ne fasse plus qu’un avec eux ; ce complément du sujet, étant au pluriel et renfermant l’idée principale, explique comment le verbe se trouve lui-même au pluriel. C’est là ce qu’on est convenu d’appeler la régie de Glassius, de constructions ad. sensum. De la sorte la proposition : Et venient desiderium omnium genlium, éqmvautk celle-ci : Et venient ea [pretiosa] quaz desiderantur ab omnibus j gentibus. C’est ainsi que les Septante et les autres’anciennes versions ont rendu le texte. Si, au contraire, la phrase hébraïque est à traduire comme fait la Vulgate, elle est réfractaire à toute analyse grammaticale. Et d’abord hemdat, « desiderium, » mis pour la personne même du Christ qu’on désire, ne peut pas avoir un sens collectif. Ensuite cunctis gentibus son complément ne saurait inlluer sur ce verbe pour le mettre au pluriel, puisque ces deux mots ne renfermeraient plus l’idée principale, qui, dans ce cas, se concentre manifestement tout entière sur hemdat, « le Désiré. »

Sans nier la valeur de cette considération grammaticale, j’avoue qu’elle ne me convainc pas entièrement. Il ne serait pas difficile, je crois, de signaler plus d’un exemple de construction hébraïque où l’enallage n’est guère plus explicable qu’ici, même dans l’hypothèse que la Vulgate a bien rendu le texte. Citons seulement d’après l’hébreu, Job, xv, 20 ; Ps. cxviii, 103 ; Is., xvi, 4 ; xlv, 8. Cf. Gesenius-Kautzsch, Hebr. Gram., §lb5 ; Ribera et Sanctius, in h. I. ; Pusey, Comment, in the minor Prophets, p. 495, 496 ; Corl uy, Spicil. bibl., t. i, p. 521. D’ailleurs il est à remarquer que le concept du Christ envisagé comme la source de tous les biens messianiques, donne à hemdat un sens cumulatif, qui fait équivalemment de ce mot un terme collectif.

b) Le P. Knabenbauer, Comment, in Proph. min., t. ii, p. 193, estime que si Aggée s’était servi du mot hemdat pour désigner le Messie, il n’eût pas été compris de ses contemporains, parce que rien jusque-là ne les avait préparés à cette appellation. A cela on peut répondre qu’à propos de toute appellation messianique, il a bien fallu commencer à l’employer une première fois. Je ne vois pas bien pourquoi un des derniers prophètes eût été réduit à ne désigner le Messie que par les noms que ses prédécesseurs lui avaient déjà donnés. Au reste il est à remarquer ici que, si la dénomination elle-même n’était pas encore reçue, la chose qu’elle désigne se trouvait être tout à fait conforme aux idées juives. Le Messie est la suprême espérance d’Israël ; c’est sur lui que les patriarches et les prophètes ont les yeux fixés ; le messianisme est comme le foyer de la vie religieuse et nationale des Juifs. Voir Messie. Est-il dès lors rien de plus naturel que le Messie soit conçu et désigné comme l’espoir du monde entier ? Et qu’on ne dise pas que les gentils ne pouvaient pas attendre celui qu’ils ignoraient encore ; car, n’attachant pas plus d’importance que de juste à cette attente universelle d’un libérateur, dont on retrouve chez tous les peuples des traces plus ou moins visibles ; nous nous bornerons à faire remarquer (car cela suffit), qu’il s’agit ici de celui qui devrait être l’objet de l’attente générale, plutôt que de celui qui l’était en réalité. Cf. Sanctius, Ribera, A Lapide, Éstius. C’est dans le même sens qu’en plus d’un endroit de l’Écriture, le texte original affirme que le nom de Jéhovah est loué de toutes les nations, par exemple, Ps. cxii, 3, bien qu’en réalité cela veuille dire tout simplement qu’il est digne de louange. C’est pourquoi les Septante et la Vulgate ont très bien traduit aîveibv tô ovojxa Kvptou, laudabile nomen Domini. Et puis, une fois en chemin, il faudrait être conséquent et aller jusqu’au bout : soutenir avec saint Augustin que ce passage doit nécessairement avoir trait au second avènement du Messie : ut enim desideratus essel exspectantibus, prius oportuit eum dilectum esse credentibus, nam promus ejus adventus nondum erat desideratus omnibus. De civ. Dei, xviii, 35, P. L., t. xli, col. 593. Enfin, il est aisé de citer plusieurs endroits de l’Écriture antérieure à Aggée, par exemple dans Isaïe, où le Messie reçoit une appellation à peu près identique : Et legem ejus insulse exspeclabunt, xlii, 4 ; ou encore me insulse exspectabunt, lx, 9 ; li, 5. C’est à dessein que nous omettons ici Gen., xux, 10, 26, dont le texte, les versions et les commentaires présentent un caractère trop problématique pour fournir une base solide au rapprochement.

c) La troisième raison qu’on fait valoir contre le messianisme duꝟ. 8, du moins tel que saint Jérôme l’a précisé, est le contexte même de tout le passage. Aggée se présente au nom de Dieu pour donner du courage à Zorobabel et aux Israélites tristes et découragés par l’aspect chétif du temple qu’on vient de restaurer, et qui est si loin d’avoir la splendeur de celui que Salomon avait bâti. Cf. I Esdr., iii, 12. Par la bouche de son prophète, Jéhova déclare qu’il donnera à ce second temple une gloire bien supérieure à celle du premier. Mais en quoi consistera cette gloire ? Toute la question est là.

Nous venons de constater que la tradition n’est pas d’accord au sujet du verset principal, et on verra un peu plus bas qu’elle ne diffère pas moins dans les points secondaires. Dans ces conditions, il ne nous reste plus d’autre ressource que de tirer du texte le meilleur parti possible, d’après les règles d’une saine critique. L’exégèse biblique rationnelle trouve son meilleur point d’appui dans le contexte, et quand il s’agit — comme c’est ici le cas — d’un passage rythmé, dans le parallélisme hébraïque. Or il est manifeste que cet objet convoité de tous les peuples, qui doit pénétrer un jour dans Jérusalem pour y embellir le temple du vrai Dieu, nous est marqué d’une façon explicite dans le stique suivant : meum est argentum, et meum est aurum, « à moi l’argent et à moi l’or. » En substance le sens de tout le passage se peut paraphraser comme il suit : « Moi Jéhovah, par des merveilles qui rempliront la nature entière et rappelleront l’Exode, le Sinaï et la conquête de la Terre promise, je vais encore une fois ébranler tous les peuples ; ils affilieront à Jérusalem et m’y offriront dans ce temple ce qu’ils ont de plus précieux, car l’or et l’argent m’appartiennent. La gloire de cette maison sera à la (in plus grande qu’au commencement. C’est en ce lieu que je donnerai la paix ! » Nous avons ici une prophétie parallèle à celle qui se lit beaucoup plus développée au chap. lx d’Isaïe.

Cette exposition se suffit à elle-même. Les idées s’y lient en se complétant d’une façon si naturelle, qu’il est bien difficile de ne pas la déclarer satisfaisante et la seule vraiment soutenable. D’autant plus que la règle souveraine du contexte se trouve fortifiée par les deux difficultés qu’on élève de par ailleurs contre l’exactitude de la traduction et veniet desideratus cunctis gentibus. L’examen que nous venons d’en faire montre bien qu’elles ne sont pas concluantes ; mais il faut convenir qu’elles constituent une grave présomption contre la version latine. Cette présomption prend, ce semble, un caractère de certitude quand on serre de près le contexte. Pour ces raisons nous sommes d’avis que les Septante et les autres versions antiques ont ici raison contre saint Jérôme. Cette conclusion n’est pas incompatible avec le décret du concile de Trente sur L’authenticité do