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AGGÉE, II, 7-10

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Nous avons adopté cette disposition symétrique, pour que le parallélisme du rythmé hébreu saute aux yeux.

7° Il suffit de jeter un coup d’oeil sur ce tableau comparatif du texte et des versions pour s’apercevoir que la Vulgate présente une variante caractéristique à l’endroit capital du passage : et veniet desideratas citnelis gentibus. Elle substitue le singulier au pluriel : veniet pour venient ; surtout elle met desideralus au lieu de desiderium. Saint Jérôme aura-t-il cédé ici, comme en plus d’un autre endroit, cf. Cornely, Introd. in sacr. Script., t. i, p. 425-426, au désir de préciser et de donner du relief à ce qu’il croyait être une prophétie messianique, substituant dans ce but le concret à l’abstrait : le désir*’1, la chose souhaitée et attendue pour le désir lui-même, tout comme fait Cicéron quand il écrit : Valete desideria mea ? C’est là une hypothèse très probable, et même certaine. On ne peut guère supposer en effet que le saint docteur ait lu dans le texte hébreu autrement que les Septante et les autres anciens traducteurs. La terminaison féminine du mot hemdat, « désir, » est trop caractéristique pour se prêter à une confusion quelconque. Tout au plus serait-il permis de conjecturer que les Septante auront lu le pluriel hemdat, bien que leur traduction puisse aussi bien s’expliquer avec le singulier collectif hemdat. Saint Jérôme a cru mieux traduire que les Septante : voilà tout.

S’appuyait-il pour en agir ainsi sur quelque interprétation traditionnelle reçue des Occidentaux ? Rien n’autorise à penser que les latins aient connu avant lui la traduction et veniet desideratus cunctis gentibus. Il est vrai qu’on la rencontre plusieurs fois sous la plume de saint Augustin, De civ.Dei, xviii, 35, 48, P..L., t. xli, col. 593, 611 ; Serm., l, P. L., l. xxxviii, col. 330 ; In Psalm. cxviii, 20, P. L., t. xxxvii, col. 1557 ; mais tous ces écrits sont postérieurs à la version de saint Jérôme ; et, d’ailleurs, en un endroit au moins saint Augustin se réclame expressément de l’hébreu, P. L., t. xli, col. 611. Or nous savons qu’en pareil cas son autorité est toujours le témoignage de saint Jérôme. Néanmoins il est possible que [ l’ensemble de tout le passage eût déjà reçu en Occident une interprétation messianique. Cette hypothèse donnerait à comprendre comment il se fait que, sans plus d’explication, saint Augustin l’expose si souvent dans ce sens. Et peut-être tel aura été le point de départ de saint Jérôme pour accentuer le messianisme du verset 8 e.

8° Quant à l’opinion de Ribera, in h. L, prétendant que les juifs postérieurs à saint Jérôme ont sciemment altéré ce passage à l’effet de l’obscurcir, elle n’est pas soutenable en face du texte et des versions. Il faut en dire autant de ceux qui, à la suite de quelques anciens, traduisent comme s’il y avait behenidat, « et viendront les nations avec empressement, » ou encore et hemdat, « et on s’approchera du Désiré des nations. »

II. Exégèse du passage. —

1 » Que saint Jérôme ait entendu par ce « Désire des nations » le Messie en personne, son commentaire ne laisse aucun doute à ce sujet. P. L., t. xxv, col. 1402. Il est pareillement incontestable que cette interprétation a été généralement suivie des latins depuis le moyen âge. Qu’il suffise de citer llaymon, P. L., t. CVIII, col. 217 ; Rupert, P.jL., t. ci.xviii, col. 686, 687 ; puis, dans leurs commentaires sur Aggée. Albert Le Grand, Hugues de Saint-C.lier, Nicolas de Lire, Ribera, Sancti us, Cornélius a Lapide, Menochius, Tirinu s, Sa, Estius, dom Calmet ; enfin, plus près de nous, liade, Corluy, Vigouroux, etc. A ces noms on pourrait joindre ceux de Luther, d’un grand nombre d’anciens protestants et parmi les modernes celui du D r Pusey. Avant notre époque les voix discordantes se comptent facilement. C’est par exemple celle de Mariana qui interprète le membre de phrase et veniet desideratus cunctis </<//tibus, en disant : id est divitise, aurum, argent um quæ omnes cupiunt. D’ailleurs il tient pour le sens messianique de l’ensemble du passage. Depuis un siècle, les protestants dits orthodoxes comme Hengstenberg et quelques exégètes catholiques, par exemple Reinke, le P. Knahenbauer et M. l’abbé Trochon se sont rangés à ce sentiment. A notre connaissance, le P. Houbigant fut le premier à opposer une dénégation radicale en refusant au passage tout entier un sens messianique quelconque. Vulgatus : veniet desideratus cunctis gentibus non sic licebat per verbum VEBAUnitmeri pluralis, quo numéro id legunt omnes veteres. Prseterea séries orationis excludit ab hoc loco Messise ad vent um, ad quem Messiam nihil pertinet de his verbis : meum est ar-GENTUM. .. P. Houbigant, Biblia hebr., t. IV, p. 709. Cette opinion est devenue celle de tous les rationalistes et d’un grand nombre de protestants.

2° Il faut bien convenir que l’interprétation qui entend le verset 8e de la personne même du Messie est inconnue avant la fin du ive siècle. Le fait n’a rien d’étonnant, puisque ce sens se fonde tout entier sur la traduction de saint Jérôme. Jusque-là grecs et latins entendaient par ces mots des Septante : xa’i f É Çet Ta Êy.Xexrà 7râvTt<>v tùv èôviôv, et venient electa omnium gentium, « l’élite de toutes les nations qui devaient un jour se convertir à la foi chrétienne : trophées glorieux, dons inestimables dont Dieu se plaira à parer l’j'.glise de son Messie. » S. Cyrille, P. G., t. lxxi, col. 1046 ; S. Ambroise, P. L., t. xvi, col. 1064 ; S. Jérôme, P. L., t. xxv, col. 1404 ; S. Augustin, P. L., t. xli, col. 606. On peut, il est vrai, faire remarquer que saint Éphrem avait déjà écrit, en rapprochant Aggée, ii, 8, 9, de III Reg., x, 27 : « Il s’agit de l’Église même du Messie qui doit se remplir de cet argent véritable, quand sera venu celui après qui soupirent toutes les nations.)>Operaomniasyriace, t.ï, pA61. Mais il convient de ne pas oublier que « le commentaire de saint Éphrem sur l’Ancien Testament ne nous est parvenu dans sa forme originale que pour la Genèse et la majeure partie de l’Exode, dans le manuscrit du Vatican 110 du VIe siècle ; pour les autres livres, il existe, d’une manière abrégée, dans une Catena Patrum composée en 861 par Sévère, un moine d’Antioche. L’épitomé de Sévère, comparé avec le manuscrit 110 d u Vatican, montre que le commentaire de saint Éphrem, dont se servait le moine d’Antioche pour la Genèse, di lierait de celui de ce manuscrit. Ce commentaire est basé sur la Peschito, mais il a subi des interpolations ; il s’y trouve des citations des Septante que saint Éphrem, ignorant le grec, ne pouvait utiliser ». R. Duval, La littérature syriaque, Paris, 1899, p. 75. Il est à craindre que Sévère n’ait pris bien d’autres libertés. Si la phrase citée plus haut était vraiment de saint Ephrem, Bar-Hébrneus et Bar-Salibi ne l’eussent pas ignorée ; et ils n’auraient pas manqué d’enregistrer dans leurs propres écrits un commentaire si remarquable. L’école d’Antioche — y compris les commentateurs de langue syriaque — connaît même une exégèse qui ne regarde pas si loin. Il s’agirait tout simplement des nations ennemies d’Israël, comme Gog et Magog ; elles seront vaincues et leurs dépouilles viendront enrichir le temple de Jérusalem. Théodore de Mopsueste, P. G., t. lxvi, col. 487 ; Théodoret de Cyr, P. G., t. lxxxi, col. 1867-1869. Cf. S. Jean Chrysostome, P. G., t. Xi.vn, col. 296 ; t. lv, col. 222 ; t. i.vi, col. 158 ; t. lxi, col. 293 ; Bar-llébrœus, In XII Proph. min. scholia, p. 20 (recensuit fïern. Moritz, Leipzig. 1882) ; Bar Salibi, Comment, in V. T. (encore inédit, Biblioth. nat. de Paris, fonds syr.).

3° Avec la version de saint Jérôme on commence à entendre Aggée, 11, 8, du Messie en personne, (’/est là un sens qui plaît singulièrement i saint Augustin ; il y revient à plusieurs reprises (voir les endroits cités plus haut 1, 7°, col. 567). Mais la garantie principale, peut-être même unique, de cette interprétation est l’autorité de saint Jérôme qui prétend avoir rendu exactement le texte original. Toute la question se ramené donc à examiner >i celle prétention est fondée. Or les raisons qu’on fait valoir