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AGAPES

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Canons de saint Hippolyte, Tertullien, Clément d’Alexandrie.

Les canons de saint Hippolyte fournissent des indications très explicites. Ils supposent d’abord que l’agape est un repas offert par un chrétien généreux aux pauvres ou aux veuves : c’est une distribution charitable. Ce repas est servi à l’église, le texte dit fautivement x-jpiaxyj pour x-jpiaxfô. On le sert le soir, à l’heure du lucernaire, et il doit être terminé avant la nuit close. Le repas des veuves, Canones Hippolyli, can. 183-185, Leipzig, 1891, p. 111, paraît moins solennel, peut-être plus fréquent ; à chacune on doit servir à boire et à manger en quantité suflisante. Le repas des pauvres, can. 164-182, ibid., p. 105 sq., est plus important : l’évêque y assiste et ouvre la séance par une prière sur les pauvres et sur la personne charitable qui les a invités ; puis est prononcée une prière d’action de grâce à Dieu ; on chante des psaumes avant de se retirer. On doit boire et manger son content, mais non jusqu’à s’enivrer ; pas trop de paroles, pas de cris, de peur qu’on ne vous raille ou que vous ne scandalisiez et que celui qui vous a invités ne soit confus de votre désordre.

Ce repas servi à des pauvres semble d’abord n’avoir rien de liturgique. Toutefois les canons d’Hippolyte en excluent formellement les catéchumènes. Can. 172, ibid., p. 106. Puis ces mêmes canons font distribuer aux convives par l’évêque, ou à son défaut par le prêtre, au commencement du repas, le « pain de l’exorcisme avant qu’ils ne s’asseoient, pour que Dieu préserve leur agape de la crainte de l’ennemi ». En l’absence de prêtre, cette distribution sera faite par le diacre ; en l’absence de diacre, un laïque pourra rompre le pain, mais rien de plus, pas d’oraison, pas de bénédiction. Can. 178-182, ibid., p. 109-110. Qu’est ce « pain de l’exorcisme » distribué ainsi aux lidèles au début de l’agape ? On pourrait incliner à y reconnaître un pain consacré dans une messe antérieure. Nul n’ignore que dans la messe antique les pains consacrés étaient distribués aux fidèles, qui les prenaient de leurs mains et les consommaient séance tenante ou les emportaient avec respect chez eux. On sait par saint Basile, Epist., xciii, ad Ceesariam, P. G., t. xxxiv, col. 484-485, que cet usage était encore en vigueur au IVe siècle, notamment à Alexandrie et en Egypte, aussi bien dans le peuple que chez les solitaires, et qu’il était rapporté au temps des persécutions. Mais si les lidèles gardaient chez eux des espèces consacrées, c’était pour se communier en cas de péril, ou, s’il s’agit des solitaires, pour suppléer au manque de prêtre. Il serait donc extraordinaire que ces espèces consacrées aient pu être consommées ainsi au début de l’agape, en un temps où le jeûne eucharistique était déjà une règle sévèrement pratiquée. Le pain de l’exorcisme sera plutôt une simple eulogie, un de ces pains présentés à la messe à l’oblation, mais non consacrés, que les fidèles se partageaient comme un gage de bénédiction. La seule présence de cette eulogie et de cette fraction du pain au début de l’agape, fraction du pain accompagnée d’une oraison de l’évêque, aura donné’à l’agape l’apparence d’une liturgie eucharistique incomplète.

En Afrique, Tertullien rapporte que la communauté chrétienne a une caisse à laquelle chaque fidèle contribue à son gré et selon ses ressources. Cette caisse est appliquée egenis alendis humandisque, aux orphelins, aux vieillards, aux naufragés, aux prisonniers pour religion. Tertullien y voit un effet de l’éminente charité fraternelle qui unit les chrétiens, et il poursuit : « Quoi d’étonnant si cette charité se traduit encore par des banquets, si tanta caritas convivatur ? Vous dénoncez nos modestes repas, cœnulas nostras, comme des prodigalités. Vous n’ayez aucune gêne au sujet des festins des Saliens, des Éleusinies, et autres, mais vous vous récriez sur le triclinium des chrétiens, de solo triclinio rhristianorum retractatur. Notre repas montre par son seul nom ce qu’il est : il est appelé ce que les Grecs appellent dilection, ?W vocatur quod dilectio pênes Grsecos est : quelque frais qu’il coûte, c’est ua bénéfice que de faire ces frais au nom de la religion, puisque ce sont les pauvres que nous secourons de cette douceur, inopes quosque refrigerio isto juvamus… Noble est la raison de ce repas, appréciez l’ordre qui le règle et comment il peut être un office de religion. On ne prend point place avant d’avoir adressé une prière à Dieu, non prius discumbitur quani oratio ad Deum prsegustetur : puis on mange à la mesure de sa faim, on boit à la mesure utile aux pudiques, on se rassasie comme il convient à qui n’oublie pas que même pendant la nuit on a Dieu à adorer, on converse comme qui sait que Dieu écoute. Et après qu’on a lavé ses mains, post aquam manualem, et que les lampes sont allumées, quiconque peut chanter, soit sur les saintes Écritures, soit de son inspiration propre, est invité à le faire au milieu de tous, et l’on peut juger alors comment il a bu. Une prière termine le repas, et l’on se retire paisiblement, ut qui non tam csenani csenaverint quani disciplinant. » Telle est la description classique de Tertullien, Apolog., xxxix, P. L., t. I, col. 408 sq. Ce sont dans l’ensemble les mêmes traits que nous relevions dans les canons d’Hippolyte. Ce repas est appelé agape ; il est payé aux pauvres, mais aux frais, semble-t-il, de la caisse commune. On le sert le soir et il se termine post lumina, c’est-à-dire après l’heure du lucernaire. Une prière ouvre le repas, une prière le termine, on chante des psaumes ou des compositions improvisées. On mange à sa faim, on boit à sa soif, mais la décence règle tout ; on est assis ou couché, on cause, on se lave les mains, c’est en tout un repas. Un autre opuscule de Tertullien, De jejun., P. L., t. ii, col. 977, nous apprend que ce repas est présidé par le clergé à qui une part double est servie, duplex prsesidentibus honor binis partibus depulatur. Tertullien devenu montaniste reprocha grossièrement aux catholiques, non certes l’eucharistie, mais leurs agapes, « cette charité en marmites, cette foi culinaire, cette espérance sur le plat, apud le agape in cacabis fervet, fides in culinis calet, spes in ferculis jacet. » De jejun., loc. cit. Ces agapes n’avaient rien de commun avec l’eucharistie.

Un passage du reste obscur de Clément d’Alexandrie, Psedag., Il, 1, P. G., t. viii, p. 385, s’accorde avec les indications de Tertullien. Clément parle des festins joyeux du monde, que l’on a appelés Senrvâpia, mais que le Seigneur n’appelle pas àyâ7ra ? : car le Seigneur a dit d’inviter les pauvres quand on fait un festin.

IVe et Ve siècles.

Tertullien et Hippolyte mis à part, on ne relève plus que des traces fort clairsemées de ces agapes. On en relève dans le 11° canon du concile de Gangres (343 ?). Mansi, Concil. collect., t. il, Florence, 1759, col. 1101 : « Si quelqu’un méprise ceux qui par esprit de foi font agapes et pour honorer le Seigneur y convient les frères, et s’il refuse, par dédain, de prendre part aux convocations, qu’il soit anathème. » Les canons de Gangres visent surtout des puritains, les eustathiens, enclins à condamner les usages et les lois ecclésiastiques ; on conclura de ce 11e canon que les agapes étaient pratiquées encore dans la haute Galatie. Au ive siècle, les canons 27e et 28e du concile ou soi-disant concile de Laodicée (de Phrygie), ibid., col. 570, pirlent aussi des agapes. Le 27e défend que les « clercs ou laïques conviés à l’agape emportent des parts » chez eux, car ce serait « outrager le règlement ecclésiastique ». L’agape était donc ici encore en usage. Le 28e défend de « faire ce qu’on appelle les agapes dans les basiliques, èv toïç x’jptàxoïç, ou dans les églises, de manger dans la maison de Dieu et d’y dresser des tables », àxo-joira. Le même esprit a dicté le 30e canon du troisième concile de Cartilage (397). Mansi, t. iii, col. 885 : « Personne, soit évêque, soit clercs, ne fasse de repas dans les églises, à moins que par aventure ils n’aient à réconforter des passants, hospiliorum necessilale, » ces deux termes dési-