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AFRIQUE (ETAT RELIGIEUX DE L’)

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ici à l’acte religieux, car on ne chasse l’esprit que par l’offrande de la victime que l’esprit lui-même réclame par la bouche du possédé. Enfin si le « prêtre » n’existe pas au sens propre du mot, il y a celui qui en remplit la fonction : c’est celui qui prie et sacrifie pour la l’amille ou pour la tribu, qui veille à l’accomplissement des cérémonies de la naissance, de la puberté, du mariage, de la sépulture, des services anniversaires, qui se préoccupe de détourner les iléaux, etc. En général, ces fonctions sont assumées par le chef de la famille, du village ou de la tribu. La circoncision doit ici figurer comme pratique familiale, mais non essentiellement religieuse, dans un grand nombre de tribus bantoues ; les Hottentots l’ont aussi, et la plupart des Nigritiens.

Ce n’est pas tout. Outre la religion et ce qui s’y rattache de plus ou moins loin, on trouve, surtout dans les tribus de l’Afrique occidentale, de vraies sociétés secrètes qui ont leur organisation, leurs épreuves, leurs rites, leurs mystères, leur hiérarchie : il y en a pour les hommes, et il y en a pour les femmes. Le but réel de ces sociétés paraît être de maintenir par la terreur les lois et les pratiques de la tribu, en même temps que d’exploiter les faibles, les simples et les « profanes », au profit des anciens et des initiés. C’est là qu’on décide les empoisonnements, les meurtres, la suppression de ceux qui gênent, l’impunité des collègues, tous les mauvais coups ; c’est là que se passent les scènes les plus dégradantes’ ; c’est là qu’on fait ripaille, aux dépens du peuple, sous prétexte que l’esprit veut manger ; c’est de là enfin que sortent les manifestations extraordinaires… Mais tout cela est strictement fermé, et nul mieux que le noir ne garde le secret de ses mystères : c’est pourquoi il est si difficile à l’Européen de les connaître.

Qu’est-ce que le « fétiche » africain ? On entend généralement par là (du portugais fetivo, « idole, objet enchanté »), certaines statuettes de bois ou de terre, certains arbres, certains objets, etc., « auxquels les nègres attribuent un pouvoir propre et surnaturel, et qu’ils adorent. »

Avant tout, il y a là une grande distinction à faire entre les Bantous de la cote orientale et ceux de la côte occidentale d’Afrique. Livingstone a écrit le premier que les noirs apparaissent plus superstitieux et plus idolâtres à mesure qu’on s’enfonce davantage dans les pays de forêts : cette remarque est juste. Les notions de religion précédemment exposées s’appliquent dans leur ensemble à toutes les tribus de la famille ; mais celles qui habitent les pays plus ou moins découverts du versant de l’océan Indien seraient à ranger plutôt parmi les animistes, et celles du versant de l’Atlantique parmi les fétichistes proprement dits. Chez les premiers, en effet, la croyance aux ombres et aux génies ne produit pas de ces statues grotesques et répugnantes qu’on rencontre sur la côte occidentale, dans de véritables petits temples ouverts au milieu des villages, ou dans des sanctuaires domestiques. Mais quels que soient les fétiches que l’on ait, statuettes, ossements d’hommes ou d’animaux, figures quelconques, pierres sacrées, c’est une erreur des anthropologistes de croire que le nègre « adore » en eux la matière ellemême et lui attribue un pouvoir surnaturel. En réalité, le fétiche n’a d’inlluence que par la vertu spéciale que le féticheur y a fixée. Aussi, beaucoup de ces statuettes, de ces arbres sacrés ou de ces pierres reposent sur des crânes et des ossements ; beaucoup renferment des débris humains, beaucoup sont enduits de sang ou frottés de cendres, et nul n’a de pouvoir que s’il est régulièrement consacré.

En résumé, on peut donc dire que chez les Bantous, comme partout en Afrique, si l’on peut trouver des individualités qui paraissent être sans notions religieuses, nulle tribu n’en est dépourvue. Ces notions comprennent en général l’existence d’un principe supérieur céleste, inaccessible à l’homme ; celle d’un génie de la terre, qui

est le vrai dieu des sociétés secrètes ; celle d’une quantité d’esprits, bons, indifférents ou méchants, dont l’influence peut être utilisée ou neutralisée, et dont le pouvoir est, pour ainsi dire, localisé, par les tribus de la côte occidentale, dans des statues et des statuettes de toute nature ; celle enfin des mânes, ombres ou larves des morts, à qui va le culte familial. Par ailleurs, beaucoup de superstitions particulières, de pratiques vaines, ridicules, obscènes, cruelles, de cérémonies privées ou publiques, simples ou compliquées, transmises par la coutume ou nées d’une inspiration particulière, le tout reposant sur la prière et le sacrifice, dans le but de se procurer un bien, de conjurer un mal ou de mettre fin à un fléau. La religion ne commande point chez les noirs bantous une morale qui lui soit propre, et la préoccupation des récompenses ou des châtiments de la vie future n’apparaît, chez eux, presque nulle part.

Nigritiens ou Soudanais.

Toutes ces notions et ces pratiques religieuses sont plus ou moins celles que l’on retrouve parmi les populations étrangères à la famille des Bantous et auxquelles on applique le nom générique de Nigritiens ou Soudanais : ce sont, par exemple, sauf de nombreuses infiltrations, la plupart des habitants des vallées du Sénégal, du Niger, de la Gambie, de la Volta, du Chari, etc. Tous ces noirs forment des tribus parfois puissantes, de types, d’origines, de mœurs et de caractères qui sont loin d’être identiques ; mais en général on trouve chez eux un état d’organisation plus sérieux que parmi les Bantous, plus d’industrie, plus de travail, plus de ressources de toutes sortes. Tous les genres de vie, pastorale, commerciale, agricole, et tous les genres de gouvernement, république, monarchie et même anarchie, se trouvent représentés dans ce monde des noirs.

Là, encore, nous avons à faire la différence déjà constatée : d’un côté, vers l’est et en pays plus ou moins découverts, la religion tend plutôt vers l’animisme, avec peu ou point d’idoles, d’amulettes et de pratiques extérieures ; de l’autre, à l’ouest, dans les régions peuplées, fertiles, arrosées et boisées, le fétichisme classique se montre, au contraire, dans tout son épanouissement hideux. D’ailleurs, les idées fondamentales restent les mêmes. La notion de Dieu, d’un Dieu distinct et souverain, paraît plus claire chez ces populations : plusieurs même, comme les Malinkés, les Bambaras, les Songhaïs, les Serêres, les Achantis, etc., en ont une idée très nette : Dieu est pour elles un être souverain, créateur du monde et qui, dans une autre vie, punit les méchants et récompense les bons. Ils admettent l’existence de bons et de mauvais esprits. L’àme de l’homme est impérissable ; mais, après un certain temps de jouissance ou de souffrance matérielle, elle revient parmi nous commencer une nouvelle vie : c’est une sorte de métempsycose. Quant au monde, il est gouverné par des génies, sorte d’êtres intermédiaires entre Dieu et l’homme. Mais le vrai culte reste quand même aux âmes des morts, et, chez quelques tribus, il a déterminé ces horribles sacrifices humains qui ont rendu le Dahomé célèbre. A ce culte vient s’adjoindre naturellement celui des esprits. Chez les Achantis, les Volofs et ailleurs, chaque individu, chaque famille ou chaque village a même son génie tutélaire auquel on rend ses devoirs. D’autres esprits habitent les eaux, les bois, les rochers, et on se les concilie par des offrandes et des cérémonies. Souvent ils s’emparent du corps des mortels et il faut les en faire déguerpir ; ils se mêlent à notre vie, ils causent des maladies, ils se jouent des vivants, et ainsi, derrière tout fait inexpliqué, le noir découvre volontiers l’action d’un être surnaturel. Les féticheurs jouent ici un plus grand rôle, généralement, que dans la partie méridionale de l’Afrique, et il y a des pays où ils ont un véritable pouvoir avec lequel il faut compter.

Habitants du nord de l’Afrique.

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