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AFRIQUE (ÉTAT RELIGIEUX DE L’)

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quoique toujours inaccessible. Que veut-il de nous ? Que nous réserve-t-il ? La vie a-t-elle un but, et quel est-il ? Cela, on ne le sait pas, et on ne se le demande point. L’homme se trouve être sur terre — c’est un fait — comme y sont les singes et les oiseaux ; il y vit, il s’y reproduit, il y fait ce qu’il peut, et il est probable qu’il y mourra, quoique la mort n’arrive presque jamais que par le fait d’un maléfice accidentel. Toute moralité n’est pas absente de sa conduite, loin de là : il connaît le bien et le mal, bien que ce ne soit pas toujours ce que nous estimons tel. Mais cette moralité ne lui paraît pas commandée par le pouvoir supérieur dont il ne conserve que le souvenir lointain. — Le noir est-il donc sans culte ? Non pas, mais ce culte s’adresse presque uniquement aux influences surnaturelles qui peuvent avoir prise sur lui et sur lesquelles il a prise. Tel est d’abord, en bien des tribus du moins, l’Esprit de la Terre, celui qui paraît être « le Prince de ce Monde », comme Dieu est le Maître du Ciel ; tels sont les esprits divers, les uns plutôt favorables, les autres simplement malins, les autres naturellement méchants, dont l’univers est plein. Telles sont surtout les ombres des morts, qui llottent désemparées sans pouvoir retrouver leur pauvre corps désorganisé, qui reviennent volontiers aux lieux connus et aimés, qui apparaissent dans le sommeil, qui agitent le corps des enfants et que, pour avoir la paix, il est nécessaire de fixer dans leurs crânes, dans leurs tombeaux, dans des grottes, dans des arbres particuliers, dans des bois sacrés, dans des statuettes, etc. A ces esprits, à ces génies, à ces ombres, on adresse des prières et on fait des sacrifices — les deux vont ensemble — et c’est là le fond de la religion des Bantous : bonorer les mânes des ancêtres et les esprits pour se les rendre favorables ou tout au moins les empêcher de nuire. Ce culte est privé ou public, selon qu’il s’agit d’une requête personnelle, d’un anniversaire de famille, d’une maladie à prévenir ou à guérir, d’un voyage à faire, d’une chasse à entreprendre, d’une fortune à réaliser, ou d’un événement intéressant le village ou la tribu : calamité publique, guerre, sécheresse, épidémie, famine, saison nouvelle, anniversaire de la mort d’un chef, etc. L’importance du sacrifice varie pareillement avec celle de la fortune, de la faveur à obtenir, de l’esprit invoqué : c’est une pièce d’étoffe, un peu de nourriture, quelques grains de maïs, de la bière, quand on s’adresse à l’ombre d’un mort. Mais les cérémonies publiques sont plus solennelles ; et, généralement, des invocations, des prières, des processions, des danses, avec costumes spéciaux, accompagnent l’immolation de la chèvre, du mouton, du bœuf… ou de l’homme. Presque toujours on participe à ces sacrifices d’une façon ou d’une autre, en y mettant quelque chose de soi, par exemple en y mêlant sa salive ou en se l’assimilant de quelque manière, en buvant le sang de la victime, en se frottant de ses cendres, en mangeant de sa chair. Telle paraît bien être l’origine de l’anthropophagie, pratiquée encore chez bon nombre de tribus bantoues, chez les Fans ou Mpawins du Gabon, les Manywéma du Haut Congo, les Bondjos de l’Oubanghi : c’est une communion, communion généralement provoquée, d’ailleurs, par le sentiment de la vengeance contre un ennemi réel ou supposé, ou par le simple désir de multiplier les fêtes et les repas de haut goût. Ces sacrifices sont préventifs, destinés à préserver d’un malheur, à (’carter une maladie, à réussir dans une entreprise, un pillage, un vol, un commerce, à avoir des enfants, etc. ; ou expiatoires, pour éloigner le malheur et ramener la prospérité, satisfaire aux exigences d’un esprit, se débarrasser d’une possession, se purifier d’une souillure, accomplir un vœu, apaiser ou venger ses morts, etc.

Ainsi, dans la pensée du noir, le monde a été organisé par une puissance supérieure pour marcher régulièrement. Abus pourquoi ces désordres partiels, ces ma ladies, ces morts, ces pestes, ces sécheresses, ces inondations, ces famines, ces épidémies ? Eh bien ! toutes ces choses inexpliquées sont le fait d’une action ténébreuse que les « voyants » sont chargés de trouver et qui ne peut être neutralisée que par des procédés spéciaux, très nombreux et très divers, dont le sacrifice est la base. C’est à cette idée générale qu’il faut aussi ramener la croyance partout répandue qu’il y a, pour chaque individu ou chaque famille, une chose sacrée ou défendue, le tabou des Maoris, à laquelle on ne peut toucher : c’est un arbre, un fruit, un poisson, un animal quelconque. C’est à cette idée encore que se rapporte l’usage des amulettes, composées de choses aussi rares que bizarres : en certaines tribus on en trouve pour tout et contre tout. C’est à cette préoccupation enfin que répondent les sorts jetés sur les champs, le bétail, les personnes, et les moyens mis en œuvre pour les conjurer ou les neutraliser. L’épreuve judiciaire destinée à faire connaître le coupable, joue pareillement un rôle considérable dans la justice africaine. Les possessions, variables suivant les esprits qui en sont les auteurs, sont fréquentes, et chaque genre de possession exige un traitement particulier. La divination, la seconde vue, les philtres, les enchantements, les horoscopes, les présages, sont (gaiement connus ; mais toutes ces pratiques, qu’on remarque plus peut-être que le reste, ne constituent en somme que la partie superstitieuse et accessoire de la religion fondamentale des noirs.

On s’étonnera, sans doute, de n’avoir, en cette étude, encore rien appris des sorciers, des fétiches, des pratiques barbares ou abominables du paganisme africain, rien non plus des manifestations extraordinaires provoquées au cours de ces cérémonies… Nous y arrivons. Par « sorcier » ou « féticheur », on entend d’ordinaire en français tous ceux qui, à un degré et d’une façon quelconque, sont les agents de la religion ou de la superstition africaine. Il y a là une confusion et une erreur que les noirs ne commettent jamais. Le vrai « sorcier » est le « jeteur de sorts », celui qui, en relation avec les puissances occultes du mal, envoie les maladies, détermine la mort, ensorcelé ses ennemis et va, de nuit, sous la forme d’une boule de feu, d’un oiseau ou d’un autre animal, répandre ses maléfices : ces sorciers sont redoutés et haïs. Plusieurs ont recours à eux pour se débarrasser de leurs ennemis ; mais malheur à eux s’ils sont découverts ! Ils le sont par les « devins » ou les « voyants », qui ont à chercher les auteurs de la maladie ou de la mort. Si c’est Dieu, il n’y a rien à faire ; si c’est un esprit, il lui faut un sacrifice ; si c’est le sorcier, sur la suggestion d’un ennemi, il faut trouver l’un et l’autre. On les trouve, on leur inflige une amende, on les brûle, on les mange : le tout dépend des usages. Une pratique aussi très répandue, surtout parmi les Bantous occidentaux, est celle de l’envoûtement, et il est curieux de retrouver, au centre de l’Afrique, les mêmes pratiques de sorcellerie signalées dans notre Europe, non seulement au moyen âge, mais encore à la fin du xix « siècle. Peut-être est-il utile d’ajouter ici que ces sorciers et ces sorcières ne sont pas toujours condamnés injustement : en laissant de côté leur rôle surnaturel, il est certain que plusieurs sont de très habiles et de très authentiques empoisonneurs. Le « devin » ou le « voyant » découvre aussi les objets perdus, conseille les Jamilles, interprète les sorts ; c’est un homme écouté, respecté et influent. Souvent il est « médecin » : il traite, et, quelquefois même, il gin rit. Mais il est, de plus, « magicien, » et c’est lui qui prépare les amulettes ; il est « pharmacien », et à ce titre il dispose des remèdes, des simples, des secrets, des recettes merveilleuses gui enlèvent ou prévien nent les maladies, qui parent aux accidents, qui rendent heureux. Souvent il devient « exorciste », traite les possédés et force l’esprit à déguerpir. Mais nous revenons