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AFRIQUE (ÉTAT RELIGIEUX DE L’)


à conclure que les races, les familles et les groupes divers qui se rencontrent là, sont venus s’y déposer ou s’y former comme autant de couches successives, encore aujourd’hui reconnaissables dans leurs principaux éléments.

I. Animisme et fétichisme.

1° Négrilles ou Pygmées. — Avant tout, nous trouvons les Négrilles ou Pygmées d’Afrique, déjà signalés par les anciens et retrouvés de nos jours. C’est une petite race, bien distincte et nettement constituée comme telle, non seulement par l’exiguité de sa taille (l iii, 20, 1 iii, 30, l iii, 40), mais par son type général et tout un ensemble de caractères ethniques. Inégalement répandus par faibles groupes au milieu des autres tribus, dans presque toute l’Afrique équatoriale et méridionale, ils ne vivent que de ce que leur donnent spontanément la terre et les hommes, sans culture ni élevage, sans habitations permanentes, sans rien qui rappelle ce que nous honorons du titre de civilisation. Ils portent différents noms ou surnoms, suivant les pays qu’ils habitent ; mais, quoique toujours errants, ils se considèrent eux-mêmes et sont regardés par les autres tribus comme les premiers habitants du continent, comme les « maîtres de la terre ». A ces Négrilles (Akka, Akôa, Watvva, etc.), se rattachent les Saan ou Bushmen (hommes de la brousse), qui habitent, mêlés ? ux Hottentots, les régions semi-désertiques du sud. Quelle peut bien être la religion de ces petits hommes, qui semblent être actuellement les représentants les plus inférieurs de l’humanité ? Chose curieuse : il s’est trouvé que, comme leurs congénères, les Négritos des îles Andaman, de la Malaisie et de quelques îles océaniennes, les Négrilles africains ont une conception plus claire de la divinité que beaucoup de races supérieures au milieu desquelles ils vivent. Cette divinité paraît même être pour eux un être personnel et souverain auquel on adresse des prières et à qui l’on offre des sacrifices, celui, particulièrement, des fruits nouveaux. Mais les Négrilles en ont peur, et quand l’un des leurs est mort dans le campement : « Fuyons, disent les autres, car Dieu nous a vus ! » Par ailleurs, ils ont des cérémonies pour accompagner la naissance, la puberté, le mariage et la mort de leurs semblables ; celles de la sépulture impliquent la connaissance ou le pressentiment d’une vie future. Point ou presque point d’idoles et de ce qu’on est convenu d’appeler « fétiches » et « amulettes ». Quant aux objets et aux pratiques de sorcellerie, c’est pour eux moins une affaire de religion que de sciences. Les Négrilles sont en effet partout réputés pour connaître la vertu secrète des choses ; et s’ils usent, par exemple, d’un procédé magique pour se rendre invisibles ou pour trouver du gibier, c’est à peu près au même titre qu’un chasseur européen qui a ses secrets, lui aussi, au même titre qu’un guérisseur de nos campagnes qui a ses mystères.

Hottentots.

Au-dessus des Négrilles et des Bushmen viennent, au point de vue ethnographique, diverses tribus dispersées dans le bassin de l’Orange, Nama-Kwa, Gri-Kwa, Korana, etc., que les premiers colons européens ont confondus sous le nom, qui ne signifie rien, de Hottentots. Ils sont grands, bien faits, de couleur claire tirant sur le jaune, à crâne dolichocéphale. Contrairement aux Bushmen, ils mènent la vie pastorale ; leur langue, caractérisée par la présence de sons particuliers, sorte de claquements ou clics, est agglutinative et à suffixes pronominaux. Parce que, chez eux, les fétiches et les amulettes sont rares, et qu’ils aiment les danses nocturnes — plus encore que la plupart des noirs — les voyageurs ont cru qu’ils n’avaient d’autre religion que le culte de la lune ! En réalité, les Hottentots ont surtout le culte des morts. Les inhumations, chez eux, sont très solennelles, ils invoquent leurs ancêtres dans les circonstances graves de la vie et attribuent à leurs mânes une inlluence certaine, soit pour le bien soit pour le mal. Au-dessus de ces

ombres, d’ailleurs, ils reconnaissent une Puissance surnaturelle, « Tsu-Goab, » expression que les missionnaires ont adoptée pour traduire le mot « Dieu ».

Bantuus.

Depuis le bassin de l’Orange jusqu’à celui du Congo, du Haut-Nil et du Tana, de l’une à l’autre côte ou, si l’on veut, du 4e degré nord jusqu’au 27e sud environ, le continent africain est occupé par un ensemble de tribus plus ou moins importantes, formant la grande famille linguistique des Bantous (Ba-ntu, les Hommes). Le nom de « Cafres », sous lequel ils sont connus dans la région du Cap, de Natal, du Mozambique, vient de l’arabe « kafir », « mécréant, » que les musulmans leur ont d’abord appliqué, comme du reste ils ne manquent pas de le faire aux Européens eux-mêmes. La langue originelle des Bantous, agglutinative à préfixes pronominaux variables, s’est subdivisée en autant d’idiomes qu’il y a de tribus, mais on reconnaît facilement leur parenté de l’un à l’autre océan.

En prenant pour base les caractères ethnographiques et linguistiques, on distingue les Bantous en trois grandes sections, les occidentaux, les orientaux et les méridionaux. Au physique ils sont généralement bien faits ; mais on trouve chez eux une grande variété de types provenant du mélange avec les Négrilles, les premiers habitants qu’ils ont rencontrés sur le continent africain, avec les Hottentots, avec les Nigritiens, avec les Éthiopiens, ou même, en une faible proportion, avec les Sémites. Il y a lieu pareillement, pour la formation du type, de tenir grand compte de l’habitat, de la nourriture et du genre de vie. En général ils sont sédentaires, agriculteurs, chasseurs, pêcheurs, pasteurs, suivant le pays qu’ils habitent, souvent guerriers, mais paraissant incapables de se former en organisation durable et encore moins de constituer un obstacle sérieux et prolongé à une invasion étrangère. Des voyageurs, n’ayant pas les moyens d’investigation suffisants et dépourvus des connaissances philosophiques et religieuses nécessaires, ont pu trouver que telle tribu, à travers laquelle ils passaient, était dénuée de toute idée surnaturelle, ou simplement adonnée à « un grossier fétichisme ». Or les pratiques religieuses, représentées surtout par leurs deux éléments principaux, la prière et le sacrifice, font partie de la vie quotidienne des Bantous. Il n’est pas du reste aisé d’exposer en quelques lignes ce que l’on pourrait appeler leur « religion ». D’abord, nulle part on ne voit chez eux de théodicêe régulière, organisée en système et fidèlement transmise par la famille ou la société. Ils n’ont ni livres, ni écoles, ni enseignement officiel d’aucune sorte : ce qu’ils savent paraît être une sorte de dépôt, gardé par tout le monde, et transmis sans préoccupation supérieure, ici plus complet, là plus restreint, ailleurs compliqué de cérémonies extérieures, partout dénaturé, suivant le tempérament, l’intelligence et l’organisation des peuples. Au reste leur esprit est essentiellement pratique et peu porté à personnifier, comme on l’a dit parfois, les forces naturelles. Ce sont là des conceptions asiatiques et européennes, le noir ne les connaît pas. Pour lui, la pluie est la pluie, le vent est le vent, le tonnerre est le tonnerre, et rien de plus.

Dieu est connu, et partout il a un nom équivalent à ceux-ci : « le Grand, » « l’Ancien, » « le Céleste » ou « le Lumineux », « le Maître de la vie et de la mort, » parfois même « l’Organisateur » ou « le Créateur «.Cette idée d’un être souverain est parfois très distincte, parfois très obscure, mais en général on reconnaît que sur lui ou contre lui l’homme ne peut rien : c’est pourquoi presque nulle part l’homme ne s’en occupe. Notre prière ne l’atteint pas ; notre plainte expire à ses pieds. Dans plus d’une tribu, d’ailleurs, son nom se confond avec celui du ciel, c’est-à-dire de cet espace immense et lumineux où se font les nuées, les pluies et les tonnerres. Tout cela c’est Lui, non pas qu’il fasse corps avec ces phénomènes, mais il est derrière, très près ou très loin,