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ABBESSES

théologiens et des canonistes, à celle d’une mère de famille, ou mieux, ce nous semble, d’un père de famille, puisque l’abbesse, bien souvent, avait, même vis-à-vis de î’évêque diocésain, l’exemption passive au moins pour le temporel, et parfois l’exemption active, comme nous l’expliquerons ci-dessous. Son autorité administrative était donc, plus que celle de la mère de famille, qui est subordonnée au père, indépendante du contrôle immédiat du père du diocèse.

L’abbesse a encore, vis-à-vis de ses filles, une autorité spirituelle, c’est-à-dire une autorité de direction, de coercition, de commandement. Ce pouvoir de commandement, même en vertu du vœu d’obéissance, ne va pas jusqu’à lui permettre d’imposer, sous forme de mesure générale, des obligations autres que celles de la règle, pas plus que son pouvoir de coercition ne l’autorise à les frapper de peines autres que les peines disciplinaires. Une abbesse commettrait donc un abus si, par exemple, elle interdisait à une sœur la participation aux sacrements.

Son pouvoir de direction s’étend à toute mesure utile à l’observance plus parfaite de la vie régulière, soit à l’égard de chaque scur en particulier, soit à l’égard de toute la communauté’, à l’exclusion toutefois — et cette exclusion est capitale — de toute juridiction spirituelle proprement dite, de tout pouvoir des clefs ou pouvoir d’ordre. Ainsi une abbesse ne peut, en aucune façon, bénir liturgiquement ses religieuses, ni les entendre en confession, ni leur donner la communion, ni fulminer des censures (interdit), ni fixer des cas réservés, ni bénir les ornements sacrés, ni prêcher au sens liturgique de ce mot, etc. Qu’on ne s’étonne pas de voir ainsi spécifiés par les canonistes les actes prohibés aux abbesses. Cette nomenclature indique ce que les abbesses ne doivent pas faire et ce que précisément certaines d’entre elles s’arrogeaient de faire.

IV. Confessions a l’abbesse. — Les Capitulaires de Charlemagne font mention de « quelques abbesses qui, contrairement aux usages de la sainte Eglise, donnent les bénédictions et les impositions des mains, font le signe de la croix sur le front des hommes, et imposent le voile aux vierges en employant la bénédiction réservée aux prêtres : et tout cela, conclut le Capitulaire cité, vous devez, Pères très saints, le leur prohiber absolument dans vos paroisses respectives ». Thomassin, Vêtus et nova Eccl. discipl., part. I, l. II, c. xii, n. 15 sq., Venise, 1773, t. i, p. 145.

Le Monasticum Cislerciense rappelle la sévère prohibition d’Innocent III, en 1210, contre les abbesses de Burgos et de Palencia, « qui bénissent leurs religieuses, entendent la confession de leurs péchés, et se permettent de prêcher en lisant l’Évangile… » homassin, ibid., I. III, c. xlviii, n. 4.

L’abbesse de Fonlevrault imposait, de sa propre autorité, aux moines et aux moniales de son obédience, des offices et messes, des cérémonies et rites qui n’étaient point dûment approuvés par Rome. La S. C. des Rites, interrogée à ce sujet, répondit par une condamnation catégorique de cet abus : Non licuisse, née licitum abbatissæ, monialibus et nwnachis, prceter officia expressa in Jireviario… recilare et respective celé. brare, proitt neque novos ritus adliibere sub pœnis in constitutionibus PU V, démentis VIII et Urbani VIII contenlis. Die 6 aprilis 1658. Analecla juris pontificii, t. vii, col. 348.

Dorn Martène, De anliquis Ecclesix rilibus, Rouen, 1700, 1. 1, p. 217, se fait l’écho, sans le garantir toute fois, du grief imputé’à d’autres abbesses qui confessaient leurs moniales ; et le savant bénédictin ajoute, non sans une pointe de fine bonhomie, que lesdites abbesses « avaient sans doute exagéré un tantinet leurs attributions : plusculum sibi tribuisse. » La question de la confession des sœurs par l’abbesse sera mise pleinement à point et sûrement résolue, en disant que le plusculum de D. Martène doit être en fortes majuscules. Les abus, fussent-ils avérés, ne prouvent pas le droit. En l’espèce, ils ne prouvent pas davantage la tolérance de l’Église, puisque nous voyons le Saint-Siège et les évêques réprimer rigoureusement, dès qu’elle vient à leur connaissance, cette intrusion, ou ces tentatives d’intrusion des abbesses au for sacramentel. Innocent III, par exemple, appelle cette intrusion une chose inouïe, inconvenante, absurde. Cf. l’étude si érudite et si solide publiée tout récemment par M. l’abbé Paul Laurain : De l’intervention des laïques, des diacres et des abbesses da}is l’administration de la pénitence, Paris, 1897.

Quant à certaines règles, qui stipulaient que la confession devait être faite à la supérieure, il n’y a pas lieu, croyons-nous, de s’y arrêter : cette confession à heure et jour fixes, et quelquefois à trois reprises par jour, n’était pas autre que la confession disciplinaire, ou la coulpe, en usage encore dans tous les ordres religieux anciens, où les religieux s’accusent soit au supérieur, soit à la communauté, de leurs manquements extérieurs à tel ou tel point de discipline, pour en recevoir non pas le pardon sacramentel, mais la pénitence de règle.

Le célèbre texte de saint Basile serait, de prime abord, plus embarrassant, puisqu’il donne comme plus convenable et plus religieux que la sœur « se confesse de tout péché, conjointement au prêtre et à la mère du monastère… » Mais, comme le fait remarquer dom Chardon, Histoire des sacrements : De la pénitence, c. vii, Paris, 1745, t. il, p. 551, cette traduction faulive a été justement corrigée dans l’original grec, par dom Garnier dans sa belle édition des œuvres de saint Rasile. Le texte grec ne parle pas de confession à faire au prêtre et à la mère, mais au prêtre seul en présence de la mère, coram seniore, qui restait à portée non pour entendre, mais pour voir ; et cette indication de saint Rasile était en pleine conformité avec l’ancienne discipline. Les confessionaux n’existant pas, la dignité du sacrement exigeait ces mesures prudentielles : de là les nombreuses prescriptions des conciles enjoignant que la confession se fit à l’autel, prope altare, coram altarï, et en public, c’est-à-dire bien en vue. Ainsi s’expliquent très naturellement et très légitimement les textes anciens sur la confession toujours publique ; ainsi croulent les déductions fantaisistes de l’inadvertance ou du parti pris. Si quelques abbesses ont peut-être exagéré leurs pouvoirs spirituels sur leurs filles, il serait souverainement injuste de voir et de leur reprocher des intrusions là où l’histoire et l’exégèse canonique ne trouvent que de pieux usages et de sages prescriptions.

V. Abbesses de las Huelgas, de Conversano. — L’autorité de l’abbesse ne comporte jamais, avons-nous dit, ni juridiction spirituelle proprement dite, ni pouvoir des clefs. A l’encontre de cette assertion, on pourrait citer, en dehors de certains abus réprouvés par l’Église, des faits passablement étranges et bien avérés. C’est ainsi que l’abbesse du monastère des cisterciennes de Sainte-Marie-ja-Royale, de las Huelgas, près de Burgos, (’lait, aux termes mêmes de son protocole officiel, « dame, supérieure, prélat, légitime administratrice au spirituel et au temporel dudit royal monastère et de son hôpital dit du roy, ainsi que des couvents, églises, ermitages de sa filiation, des villages et lieux de sa juridiction, seigneurie et vasselage, en vertu de bulles et concessions apostoliques, arec juridiction plénière, privative, quasi épiscopale, nullius diœcesis, et avec privilèges royaux : double juridiction que Nous exerçons en pacifique possession, comme il est de notoriété publique.., » Espana saqrada, par H. Florez, des augustiniens, Madrid, 1772, t. XXVII, col. 5781 Parmi les attributions de cette singulière juridiction, il y a à relever particulièrement « le pouvoir