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479 ADULTÈRE (L’) ET LE LIEN DU MARIAGE D’APRÈS LES PÈRES

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une preuve que les chrétiens de son temps interprétaient l’Évangile en ce sens que le divorce mosaïque suivi d’un nouveau mariage n’était pas admis par l’Évangile. Comment répond Tertullien ? Il soutient qu’il n’y a pas une si grande différence entre la loi mosaïque et la loi évangétique. Pourquoi ? parce que, dit-il, Dieu n’a défendu le divorce que conditionnellement, pour le cas où quelqu’un renverrait sa femme, dans l’intention d’en épouser un autre. Dico enim illum conditionaliter tune fecisse divortii prohibitionem, si ideo quis dimiltal uxorern, ut aliani ducat. Il est défendu pour la même cause d’épouser la femme renvoyée. Car le mariage n’a pas été rompu et subsiste… Mais le Christ en défendant conditionnellement de renvoyer son épouse, ne l’a pas défendu complètement ; il l’a permis en effet lorsque la cause de sa prohibition n’existe pas. C’est ainsi qu’il n’est pas en désaccord avec Moïse. Après avoir rappelé que le mari peut renvoyer sa femme, si elle est adultère, Tertullien conclut : « La légitimité du divorce a donc eu aussi le Christ pour défenseur. » Habet itaque et Christum asserlorem justitia divortii. Adv. Marcionem, 1. IV, c. xxxiv, P. L., t. ii, col. 473, 474. Voilà le passage où l’on a cru voir que Tertullien admet la rupture des lois du mariage et le droit de se remarier en cas d’adultère. Mais ce passage affirme absolument le contraire. Il reconnaît assurément le divorce qui consiste dans une simple séparation des époux. Mais il rejette le divorce qui donnerait soit à l’épouse, soit à l’époux le droit de se remarier. Il ne se contente pas en effet de garder le silence sur ce droit. Il dit expressément que le Christ condamne le divorce quand le mari le fait avec l’intention de se remarier (c’est la condition ou l’hypothèse dans laquelle il défend le divorce). Tertullien pensait donc que, même lorsque l’époux renvoyait sa femme pour cause d’adultère, ni l’un ni l’autre ne pouvaient se remarier : c’est absolument la doctrine défendue aujourd’hui par les catholiques. Seulement Tertullien l’exagérait en raison de ses erreurs montanistes ; il croyait en effet que les époux ne pouvaient se remarier, même après la mort de l’un d’eux.

Saint Cyprien, pour établir la doctrine du Christ sur le mariage, se contente de citer le texte de saint Paul, I Cor., iiv 10 sq., qui formule la loi de l’indissolubilité sans faire aucune réserve. Testimonia ad Quirinum, P. L., t. iv, col. 804. Il pensait donc que le lien du mariage persiste, même lorsque le mari a renvoyé sa femme pour cause d’adultère.

Saint Jérôme a traité cette question d’une façon particulière dans sa lettre à Amandus : Tant que le mari est vivant, qu’il soit adultère, qu’il soit sodomiste, qu’il soit couvert de fautes et abandonné de sa femme à cause de tous ces crimes, il est réputé le mari de celle à qui il n’est pas permis d’en prendre un autre. P. L., t. xxii, col. 500. Dans une autre lettre à Océanus, il rapporte la pénitence publique à laquelle se soumit Fabiola, noble femme romaine, qui avait transgressé la loi du Christ en se remariant à cause de l’adultère et des autres crimes de son mari. Fabiola avait cru pouvoir user de l’autorisation de la loi civile qui permettait le divorce. Elle ne connaissait pas, dit saint Jérôme, la rigueur de l’Évangile dans lequel tout droit de mariage est ôté aux femmes du vivant de leurs maris. Nec Evangclii rigorem noverat, in quo nubendi universa causatio, viventibus viris, fœminis amputatur. P. L., t. xxii, col. (590-698. Il ajoute dans la même lettre que sur ce point les hommes et les femmes ont les mêmes obligations. Jbid., col. (591.

De tous les Pères, c’est saint Augustin qui traite le plus clairement ce point de doctrine. Cependant dans son traité De (ide et operibus, c. xix, n. 33, P. L., t. XL, col. 221, il dit que la faille de celui qui se remarie après avoir renvoyé sa femme pour cause d’adultère est moins grande que s’il l’avait renvoyée pour d’autres causes. Il ajoute même que le texte de l’Évangile où le Christ dit

qu’on ne peut se remarier, en cas d’adultère, est sL obscur qu’à son avis, il y a lieu d’excuser l’erreur de ceux qui pensent le contraire. Mais plus tard répondant à Pollentius qui admettait cette erreur, saint Augustin écrivit deux livres De conjugiis adulterinis, où il approfondit la question et lui donna une solution qui ne laissait plus place au doute. Il reconnaît que les textes de saint Matthieu sont obscurs ; mais il ajoute que la question est tranchée clairement par les autres passages de l’Écriture, 1. I, c. xi, P. L., t. XL, col. 458. Plus loin il donne pour fondement à l’indissolubilité du mariage chrétien, son caractère sacramentel. Il dit que le sacrement subsiste aussi longtemps que les deux époux sont vivants. Il poursuit : le Seigneur a dit sans exception : Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère. Si le lien conjugal était rompu par l’adultère de l’un des époux, il s’ensuivrait cette absurdité : qu’une femme devrait à son impudicité d’être délivrée de ce lien, c’est-à-dire d’être désormais indépendante de l’autorité de son mari. Il affirme donc qu’une femme reste liée tant que son mari n’est pas mort. De la même manière, dit-il, le mari demeure toujours lié tant que sa femme est encore en vie. S’il la congédie pour cause d’adultère, qu’il n’en prenne pas une autre ; car il commettrait ainsi le crime qu’il reproche à l’épouse dont il s’est séparé. De même, si la femme renvoie son mari adultère, elle ne doit pas s’unir à un autre homme ; car elle est liée aussi longtemps que son mari vit. Seule la mort de celui-ci peut lui rendre la liberté de s’unir à un autre sans commettre d’adultère. L. II, c. v, P. L., t. xl, col. 473 sq. On a prétendu que saint Augustin avait douté ensuite de l’exactitude de cette doctrine et qu’il en avertit dans ses Rétractations. Esmein, Le mariage en droit canonique, t. ii, p. 53. Le saint docteur se félicite au contraire en ce passage d’avoir jeté beaucoup de lumière sur le sujet, bien qu’il reconnaisse que son œuvre n’est point parfaite. Voici ce qu’il dit : Scripsi duos libros de conjugiis adulterinis quantum polui secundum Scripturas, cupiens solvere (lif/icillimam quæslionem, quod utrum enodalissime fecerim nescio ; imo vero non me pervenisse ad hujus rei perfectionem sentio, quamvis multos ejus sinus aperuerim, quod judicare poterit quisquis intelligente)’legit. Retract., 1. II, c. lvii, P. t., t. xxxii, col. 653. Saint Augustin, après avoir constaté la difficulté de la question, a donc été un partisan résolu de l’indissolubilité du mariage en cas d’adultère de l’un des époux. Ses écrits ont contribué pour une large part à affermir cette doctrine dans l’Église.

Le pape saint Innocent I er répondait à Exupère de Toulouse qu’il fallait priver de la communion comme adultères les hommes ou les femmes qui, après s’être séparés de leur conjoint, contractaient un second mariage. Epist., vi, n. 12, P. L., t. xx, col. 500. Cf. Epist., xxxvi, col. 602.

Aux témoignages des saints Pères nous pouvons ajouter ceux de quelques conciles de cette époque. Le concile d’Elvire en Espagne, tenu au commencement du ive siècle (305), a porté le canon suivant : « La femme chrétienne qui se sera séparée de son mari adultère chrétien et qui en épouse un autre doit être empêchée de le faire. Si elle le fait, elle ne doit plus être admise à la communion, avant que le mari qu’elle a quitté ne soit mort, ou à moins de maladie grave. » Can.9, Mansi, Conciliorum collrctio, Florence, 1759, t. ii, col. 9.

Le concile d’Arles à la même époque (314) formulait une doctrine semblable ; il y avait cette seule différence que le concile d’Arles envisageait le cas où le mari renvoie sa femme adultère, tandis que le concile d’Elvire parlait du cas où la femme abandonne son mari adultère. Mais comme la loi civile permettait aux hommes de se remarier en ce cas et qu’il (’lait sans doute diflicile d’obtenir d’un mari jeune encore qu’il se conformât à la loi de