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ADRIEN I er

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magne promet au Saint-Siège. Il est difficile de croire que Charlemagne au mois d’avril ait promis de dépecer un royaume dont il prévoyait sûrement l’annexion prochaine à ses autres domaines. De plus, Charlemagne à aucun moment de sa vie n’agit envers le pape comme un prince qui aurait des obligations et Adrien qui dans sa correspondance le fatigue de réclamations au sujet, tantôt d’une ville, tantôt d’un territoire, qui lui rappelle si fréquemment l’entrevue et la convention de 774, ne mentionne pas dans le détail les engagements à la fois si précis et si étendus que le roi franc selon la donation aurait contractés près du tombeau de saint Pierre. Il est infiniment probable que le biographe d’Adrien s’est rendu coupable d’une supercherie en donnant un corps à quelques promesses vagues de Charlemagne et qu’il a volontairement confondu les droits de propriété que les papes revendiquaient sur des patrimoines en Tuscie, dans le pays de Bénévent, en Corse et ailleurs, avec les droits de souveraineté sur les régions où étaient situés ces patrimoines. La donation de Charlemagne, en tant qu’elle est représentée par le texte de la vie d’Adrien, tout comme la fausse donation de Constantin qui est aussi de la seconde moitié du vine siècle, n’est probablement qu’une tentative, un moyen d’insinuation pour amener le prince franc à constituer un solide État pontifical. — On ne saurait affirmer d’une manière absolue que la fausse donation de Constantin soit du temps même d’Adrien, mais une lettre d’Adrien à Charlemagne, Jaffé, ibid., n. 2423, proposant à ce prince l’exemple de Constantin, semble prouver que dès le temps d’Adrien il régnait ou du moins il se formait à Rome un courant d’idées propice à la confection du document.

Ce n’est donc pas en vertu d’une donation générale, une fois faite, que le pape Adrien est parvenu à créer l’État pontifical, c’est par une série de concessions gracieuses obtenues de Charlemagne, dont la plus importante remonte au mois d’avril 774, et par la restitution ou l’échange d’anciens patrimoines dont l’Église avait gardé les titres de propriété. Après la chute de Pavie (30mai-2juin 774), Charlemagne fait rendre à l’exarchat de Ravenne les cités de Commacchio, Ferrare, Fænza, Imola et Bologne. Mais il fallut que le pape disputât ces villes et l’exarchat lui-même à l’archevêque de Ravenne qui se considérait comme le successeur de l’empereur d’Orient à Ravenne, au même titre que le pape l’était dans le duché de Rome. Il ne semble pas que Charlemagne invoqué de part et d’autre eût donné tort sans hésitation à l’archevêque, ce qui démontre bien le cas qu’il convient de faire de la donation de 774. Jaffé, ibid., n. 2408, 2415, 2416. Il est à croire que l’archevêque renonça à ses prétentions avant de mourir (777 ou 778) comme le firent certainement ses successeurs. — Le séjour de Charlemagne à Rome en 781 fut l’occasion de nouveaux remaniements : le pape abandonne Terracine, mais reçoit en toute souveraineté la Sabine où il n’avait eu jusqu’alors que des patrimoines. La Sabine fut ainsi détachée du duché de Spolète auquel le pape dut renoncer, malgré que ce duché se fût soumis à Adrien avant l’arrivée du roi franc en 774. — Quant à la Toscane et au pays de Bénévent, mentionnés dans la prétendue donation, Adrien n’en eut jamais la possession, mais en 787, lors d’un nouveau voyage de Charlemagne à Rome, l’État pontifical s’arrondit du côté de la Toscane (Tuscie), de Viterbe, Orvieto, Soana, des territoires de Rosellae et de Populonia, et du côté de Bénévent et Naples de toute la rive gauche du Liris avec les cités de Sora, d’Arpine (d’autres villes cédées au pape ne lui furent jamais remises). Ainsi se trouvait constitué l’État pontifical, tel à peu près qu’il a subsisté à travers de nombreuses vicissitudes jusqu’au XIXe siècle.

Aucune constitution ne définissait les droits d’Adrien et de Charlemagne dans l’État pontifical. Le pape tendait

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

à s’attribuer une pleine souveraineté. Charlemagne se réservait certains droits à titre de patrice des Romains, et les exerçait, non sans soulever fréquemment les réclamations du pape. Adrien n’a pas la libre direction de sa politique extérieure. Cette politique est entièrement dirigée par Charlemage. De même le roi des Francs, par ses missi ou représentants, exerce un droit de juridiction supérieure qu’Adrien ne conteste pas, mais qu’il s’efforce de restreindre, demandant que ses subordonnés ne s’adressent pas directement au tribunal du roi, mais seulement en appel ou en dernière instance, et que les représentants du roi accomplissent dans Rome même et sous les yeux du pape leur mission de juges. Mais le pape conserve l’administration intérieure de son État : il décrète les lois (Rome n’est pas gouvernée par les capitulaires), il nomme les juges, recrute ses troupes et bat monnaie. Les conflits furent toujours résolus à l’amiable entre Adrien et Charlemagne, sans qu’ils aient cherché à préciser leurs droits respectifs par voie constitutionnelle.

Adrien I e1’mit à profit ses relations cordiales avec Charlemagne pour renforcer l’influence de l’Église romaine sur l’Église franque : il conseille au roi de réorganiser les circonscriptions métropolitaines, il envoie des palliums aux métropolitains, Jaffé, ibid., n. 2410, 2475, et accorde à Wilchair de Sens des pouvoirs étendus concernant la portion occidentale de l’empire franc ; il engage Charlemagne à promouvoir les réformes commencées naguère en Gaule et notamment l’unification de la liturgie gallicane et de la liturgie romaine ; à cet effet, il envoie au prince un exemplaire du sacramentaire grégorien. Jaffé, ibid., n. 2472. Dès le séjour du roi à Rome en 774, il lui avait remis la collection de canons de Denys le Petit. Jaffé, ibid., n. 2404. Charlemagne s’en inspira dans bien des capitulaires (capit. du 23 mars 789), mais ne donna jamais force de loi dans l’Église franque à l’ensemble de la collection. Plus d’une fois le pape eut lieu de rappeler au roi certaines prescriptions disciplinaires, notamment celle qui interdit aux évêques de porter les armes, Jaffé, ibid., n. 2472, et de défendre contre l’ingérence des représentants du roi l’élection de l’archevêque de Ravenne. Sur d’autres points, il ne semble pas que le pape ait fait de grands efforts pour obtenir du roi l’abandon de pratiques funestes à l’Église. Ainsi, Charlemagne continua de disposer librement des évèchés de son empire, comme l’avaient fait Charles Martel et Pépin le Bref. En 803, il établira la liberté des élections, comme l’en avait prié Adrien, mais la pratique ne sera jamais bien conforme à la théorie. Toutefois, il est inexact que le pape lui ait jamais reconnu formellement sur les sièges épiscopaux du royaume un droit de nomination et d’investiture. Le récit d’après lequel Adrien dans un synode romain lui aurait accordé ce droit et celui d’élire le titulaire du saint-siège est d’origine trop tardive pour n’être pas suspect et n’a été imaginé que par un partisan des prétentions impériales, peut-être sous le règne d’Otton I er. Le récit se trouve dans la chronique de Sigebert de Gemblours, Monumenla Germanise, Scriptores, t. iivi p. 393. De là est venue la mention du Privilegium Hadriani pro Carolo qui a passé de la Panarmie d’Yves de Chartres dans le décret de Gratien, c. xxii, dist. LXIII.

L’affaire théologique la plus importante du règne d’Adrien I er fut celle du culte des images. L’impératrice Irène, régente de l’empire d’Orient pour son fils mineur Constantin VI, proposa au pape de réunir un concile pour restaurer le culte des images. Le pape accueillit avec effusion ces ouvertures, approuva le dessein de concile, et envoya à Constantinople comme légats l’archiprêtre Pierre et un personnage de même nom, abbé du monastère de Saint-Sabas. Dans sa lettre, Jaffé, ibid., n. 2448, il blâme l’élévation de Tarasius, un laïque, sur

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