Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/24

Cette page n’a pas encore été corrigée
13
14
ABBES

à autoriser la bénédiction de l’abbé par trois autres abbés, tantôt à permettre de recourir ad libitum à un évêque autre que le diocésain, tantôt enfin, mais plus rarement, à se regarder comme abbé implicitement bénit par le Saint-Siège aussitôt après l’élection.

En France, la pratique invariable est, croyons-nous, que les abbés sont solennellement bénits par l’évêque diocésain, assisté de deux autres abbés. Le jour de la bénédiction abbatiale doit être, aux termes du Pontifical, un dimanche ou un jour de fête.

Il n’est pas exact non plus que « la bénédiction n’ajoute rien au caractère de l’abbé ». Sans doute, elle ne confère, vi sua, ni grâce sacramentelle, ni caractère sacré ; elle ne donne ni pouvoir d’ordre, ni pouvoir de juridiction. Toutefois elle est, comme tout sacramental (voir ce mot), le signe rituel, institué par l’Église, comme moyen impétratoire d’une grâce qui adapte l’élu à sa nouvelle dignité. Ce n’est pas la bénédiction qui fait l’abbé ; c’est elle qui est « l’ornement spirituel » de la dignité abbatiale, Rotarius, Theol. regitlarium, Bologne, 1722, l. II, c. il, punct. iv, n. 9, t. iii, p. 489 ; elle n’est pas de nécessité, mais elle est de suprême convenance « pour que l’abbé exerce son pouvoir d’ordre, de spiritualité et de prééminence pastorale sur ses sujets, par des actes comme sont ceux de bénir, de conférer les ordres mineurs, de porter la crosse pastorale, etc. ». Petra, loc. cit., ri. 5. Cette raison de convenance a une telle force que, d’après le célèbre canon d’Innocent III, Cum contingal : De œtate et qualit., l’abbé ne peut, s’il n’est bénit, conférer les ordres mineurs, ni donner la tonsure, à moins qu’un privilège pontifical ne l’ait dispensé de cette bénédiction. Thésaurus résolut. S. C. Conc, t. iii, p. 24 : Adnotat D. Sacretarii. De ces données sommaires, deux conclusions se dégagent que nous pouvons formuler ainsi : La bénédiction abbatiale, par son symbolisme liturgique comme par ses prières rituelles, non moins que par l’interprétation traditionnelle qui lui a été donnée, suppose la perpétuité de la charge abbatiale. Hodie, disait déjà en 1724 le secrétaire de la S. C. du Concile que nous citions tout à l’heure, fere nullus benedicitur, cum non sint perpetui sed temporales. Thésaurus, loc. cit., § Quia vero.

La bénédiction abbatiale est requise non pour les actes de juridiction régulière, mais pour l’exercice privilégié d’un pouvoir d’ordre, notamment pour la collation des ordres mineurs. On pourra, nous ne l’ignorons pas, citer à rencontre de ces déductions, non pas une, mais vingt décisions contraires : toutefois ces décisions, affirmant ou concédant un privilège, ne font que confirmer la règle même dont ces privilèges sont une dérogation. Un abbé temporaire et non bénit est un vrai supérieur, et les canonistes ne font aucune difficulté de lui reconnaître tous les privilèges de la dignité abbatiale ; cependant il n’est abbé, au sens monacal et liturgique de ce mot, que dans la mesure la plus restreinte.

V. Droits et privilèges.

Les abbés ont communément le privilège de célébrer in pontifwalibus aux grandes solennités et de donner, intra territorium aul monasterium, la plupart des bénédictions rituelles réservées aux évêques, sauf celles qui requièrent le saint chrome.

Pour prévenir ou pour corriger les abus des interprétations privées, le Saint-Siège a déterminé le mode et l’étendue de ce droit. Les décrets ad rem d’Alexandre VII (S. C. des Rites, 27 sept. 1659) et de Pie VII (S. C. des Rites, 27 août 1823, promulgué par la constitution Decet Romanos Pontifices du 4 juillet 1823, Bullar. rom. contin., t. vu b, p. 2337) sont insérés in extenso dans la plupart des canonistes et des rubricistes. Cf. Gasparri, Tract, can. desanct. euchar., n. 677, 678, où une simple erreur d’impression attribue cette constitution à Pie VIII.

Il est à remarquer que tous ces privilèges ne sont pas inhérents à la dignité abbatiale, Tamburini, De jure abbalum, disp. XXI, q. i, n.l ; Petra, op. cit., t. iii, p. 180, et que, partant, ils valent uniquement selon la teneur des diverses bulles qui les ont concédés, modifiés ou amplifiés.

Les abbés réguliers ont le droit de conférer à leurs sujets la tonsure et les quatre ordres mineurs. Le privilège de conférer le sous-diaconat et le diaconat a été accordé aux abbés de Citeaux. Le texte du concile de Trente est formel : Abbatibus ac aliis quibuscumque. quantumvis excmptis, non liceat in posterum, intra fines alicujus diœcesis consistentibus, etiamsi nidlius diœcesisvel exempti essedicantur, cviQUAM, qui regu-LAnis sudditus sibi non sit, tonsuram vel ordines minores con ferre… Sess. XXIII, De réf., c. x. Ce décret, d’une formule intentionnellement exclusive, réduit donc le pouvoir des abbés, quels qu’ils soient, même nullius au sens canonique du mot, à la collation de la tonsure et des ordres mineurs, et uniquement pour leurs sujets réguliers. Donc, ni les novices, ni les oblats, ni les donnés ne peuvent être promus par l’abbé, puisque, ne faisant pas profession, ils sont, dans une certaine mesure peut-être, ses sujets, mais non pas ses sujets réguliers. A plus forte raison ne peut-il conférer ces ordinations à des séculiers ou même à des réguliers d’un autre ordre, fussent-ils munis, en bonne et due forme, des lettres dimissoires de leur évêque ou de leur supérieur respectif. La décision de la S. C. du Concile in una Catanensi, du 13 novembre 1641, à laquelle Urbain VIII donna expressément force de loi générale et inviolable, coupe court à toute difficulté sur ce point. A leurs sujets, et seulement à leurs sujets réguliers en vertu de la profession, les abbés peuvent conférer la tonsure et les ordres mineurs.

Et s’ils les conféraient à d’autres ? Sur cette question, les théologiens et les canonistes se divisent : les uns — et c’est le plus grand nombre — estiment que ladite collation serait absolument invalide ; les autres soutiennent que l’abbé, ayant des sujets réguliers sous sa juridiction, ordonne validement, quoique illicitement, ceux qui ne sont pas des sujets. En effet, disent-ils, cet abbé a déjà le pouvoir d’ordonner ; il userait mal de ce pouvoir en l’exerçant au profit de qui n’est pas son sujet, mais cette conduite irrégulière ne détruirait pas ce pouvoir lui-même. Fagnan soutient avec ardeur cette opinion, et Honorante, Praxis secretar., êdit. de Rome, 1762, p. 135, l’expose avec une complaisance approbative. Devant l’autorité de ces grands canonistes, on ne peut se défendre d’une certaine hésitation, quoiqu’il soit fort malaisé, ce nous semble, de saisir le bien fondé de leurs arguments. Sans doute, l’abbé de juridiction effective a le pouvoir de conférer les ordres mineurs ; mais ce pouvoir ne lui vient pas de son office, il n’est qu’un privilège. C’est la volonté du Saint-Siège qui lui confère la capacité ministérielle pour cette ordination. Cette capacité n’existe donc plus, dès que l’abbé franchit la limite que le Saint-Siège a fixée. Or cette limite est incontestable et incontestée : le pouvoir accordé ne s’étend qu’aux sujets réguliers de l’abbé et pas à d’autres : ce qui revient à dire que toute autre collation est nulle de plein droit.

Les abbés peuvent-ils donner des dimissoires pour les ordinations ? A leurs sujets réguliers, oui, et pour toutes les ordinations, comme les autres supérieurs des ordres religieux. Mais si l’on pose la question pour des sujets non réguliers, l’abbé simplement exempt ne le peut pas ; l’abbé de juridiction intraterritoriale ne lé peut pas davantage, ce nous semble, puisqu’il n’est pas l’ordinaire ; mais l’abbé de juridiction extraterritoriale le peut de plein droit, quia, dit la Rote (Honorante, op. cit., p. 136), sunt ordinarii et dimeesani in sua abbatia. A Rome cependant, le vicariat n’admet les dimissoires