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ADOPTION SURNATURELLE DE L’HOMME PAR DIEU

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positions réglant les conditions du mariage entre l’adopté et les parents adoptifs n’étaient pas les mêmes que celles du droit romain, à quoi faudrait-il s’en tenir ? Heureusement, nous l’avons dit, ces cas ne sont pas très pratiques : l’adoption se réalise rarement parmi nous, et d’ailleurs notre législation française est plus stricte sur ce point que la loi antique. Nous ne voyons pas le moyen d’avoir une doctrine absolument sûre, si ce n’est par un enseignement précis que nous donnerait l’autorité pontificale, mais qui nous fait actuellement défaut.

Nous avons cependant encore une autre réponse de la S. C. du Saint-Office, à la date du 23 février 1853. On avait demandé : An adoptio celebrata in forma prsescripta a codice civili regni Neapolitani producat necne impedimentum canonicum cognationis legalis dirimens matrimonium ? On répondit : Affirmative.

Nous avons ici une législation différente de l’antique droit romain, puisqu’on se croit obligé de poser une semblable question. On répond que l’empêchement existe dans les conditions formulées par ce code nouveau. Il y aurait donc ainsi autant de prescriptions canoniques différentes qu’il y a de législations, c’est-à-dire autant qu’il y a de peuples et de nations. Il suffirait que ces législations modernes, différant en cela des lois de l’Asie Orientale, comme celles en vigueur en Chine ou au Japon, admissent le principe de l’adoption romaine, pour que l’empêchement de mariage existât. Il suffirait qu’il y eût adoptio légitimé imita, c’est-à-dire agrégation à une famille, par une solennité légale quelles qu’en soient les formes. Voilà ce qui paraît le plus probable. Mais nous n’osons affirmer, pour le moment, cette doctrine comme absolument certaine.

Ce n’est pas d’ailleurs le seul point sur lequel nos usages ou nos codifications modernes rendent obscures certaines de nos lois canoniques. Espérons" que ces nuages seront dissipés, à l’heure opportune, par les rayons lumineux et puissants du soleil qui brille au Vatican, et qui a reçu la destinée divine d’éclairer toutes les consciences et d’illuminer toutes les âmes.

Gasparri, Tractatus canonicus de matrimonio, Paris, 1891, t. I, p. 532 sq. ; Rosset, De sacramento matrimonii, Saint-Jeande-Mauiienne, 1895, t. iii, p. 464 sq. — Sur l’histoire de la question, voir Freisen, Gesehichte des canonischen Eherechts, ~2’édit., Paderborn, 1893, § 52, p. 555-501 ; Esmein, Le mariage en droit canonique, Paris, 1891, t. I, p. 357 sq.

A. PlLLET.


2. ADOPTION SURNATURELLE de l’homme par Dieu dans la justification.


I. Histoire.
II Doctrine.

Il y a deux sortes d’adoption : l’une, au sens large, qui ne confère aucun droit ni sur le nom ni sur l’héritage de l’adoptant, mais consiste à recevoir avec bienveillance une personne étrangère et à la traiter plus ou moins comme un enfant de la famille ; l’autre, au sens strict, qui ne consiste pas seulement dans la bienveillance et les égards, mais confère le droit positif de porter le nom et de revendiquer l’héritage de l’adoptant. Prise dans cette seconde acception, la seule usitée en théologie, l’adoption peut se définir, d’après saint Thomas et les autres théologiens : Persans extraneæ in filium et hæredem gratuita assumptio, l’acte gratuit par lequel on prend une personne étrangère pour fils et héritier. Sum. theol., III a, q. XXIII, a. 1. Cette définition générale convient à la fois à l’ordre naturel et à l’ordre surnaturel. Seulement, dans le premier cas, c’est l’homme qui adopte son semblable ; et, dans le second, c’est Dieu lui-même qui adopte l’homme pour fils et héritier, en lui conférant la grâce de la justification. Il s’agit ici de cette dernière adoption, dont nous allons étudier la théologie au double point de vue historique et doctrinal.

I. Histoire.

Jusqu’au VIe siecle.

Le dogme de l’adoption surnaturelle est un de ceux qui sont le plus clairement et le plus fréquemment enseignés par l’Écriture. (Voir plus bas le résumé de ses enseignements. ) On y trouve affirmé, non seulement le fait de l’adoption, mais, à un certain degré, sa nature même et les privilèges qu’elle entraîne. Cette netteté et cette insistance de la révélation semblent avoir spécialement frappé les chrétiens des premiers siècles, qui attachaient la plus haute importance à l’adoption merveilleuse dont Dieu les avait gratifiés. De là, cette coutume qu’avaient plusieurs d’entre eux de prendre des noms qui rappelaient leur naissance et leur filiation surnaturelle, comme Adepta, Regeneratus, Renatus, Deigenitus, Theogonius, etc. Voir Marligny, Dictionnaire des antiquités clirétiennes, 2e édit., Paris, 1877, art. Noms des chrétiens, p. 513. Le dogme de l’adoption divine était si répandu et, pour ainsi dire, si populaire parmi les fidèles, que les Pères s’en servent comme d’une base d’argumentation pour démontrer d’autres dogmes, à propos des hérésies d’Arius et de Macédonius. Voir surtout saint Cyrille d’Alexandrie, P. G., t. lxxv, col. 610, 1086, 1087, 1098, 1122, etc. Au reste, les Pères s’attachent principalement à faire ressortir l’excellence et la sublimité de l’adoption surnaturelle. C’était pour eux un thème de développements aussi élevés que pratiques, et ils n’ont pas manqué de s’en servir. Voir, entre autres, S. Irénée, Cont. hær., IV, xxxi, 2, P. G., t.vn, col. 1069 : V, xviii, 2, t. vii, col. 1173 ; S. Athanase, Cont. arian., orat. il, 59, P. G., t. xxvi, col. 271 ; S. Jean Chrysostome, In Matth., horail. ii, 2, P. G., t. lvii, col. 26 ; S. Cyrille d’Alexandrie, surtout dans ses commentaires sur l’Évangile de saint Jean, P. G., t. lxxiii, col. 153158, 242-244 ; t. lxxiv, col. 571, 714 ; et aussi t. lxxv, col. 526, 568, 610, 906, etc., S. Augustin, In Joa., tr. XI, 6, P. L., t. xxxv, col. 1478 ; tr. XII, t. xxxv, col. 1484, 1486 ; S. Fulgence, Epist., xvii, 7, P. L., t. lxv, col. 459 ; Fulbert de Chartres, P. L., t. cxli, col. 199. Sans doute, on ne trouve pas chez eux une explication didactique de l’adoption divine et de ses rapports avec la grâce sanctifiante proprement dite ; mais, avec les données générales qu’ils fournissent, ce problème est assez facile à résoudre. Certains théologiens contemporains, comme le D r Scheeben, professeur au séminaire archiépiscopal de Cologne, ont prétendu à ce sujet (voir les références pins bas) qu’il y avait une profonde divergence de vues entre les Pères grecs et les Pères latins. Les premiers, selon Scheeben, expliqueraient le dogme de l’adoption par la présence du Saint-Esprit, ou de la grâce incréée, dans l’âme juste, les seconds, par l’infusion de la grâce sanctifiante. Le docteur Scheeben s’appuie surtout sur saint Cyrille d’Alexandrie, dont il cite plusieurs passages en laveur de sa thèse, et notamment le commentaire de l’Evangile de saint Jean, i, 13, dans P. G., t. lxxiii, col. 158. Mais, comme l’a fort bien montré le P. Granderath dans la Zeitschrift fur kalholische Théologie, Inspruck, 1884, p. 565-57’i, si quelques passages, détachés du contexte, peuvent sembler favorables à la thèse de Scheeben, l’ensemble de la doctrine de saint Cyrille lui est opposé. Voir aussi le cardinal Franzelin, De Deo trino, 3e édit., Rome, 1881, th. xliii, p. 633-637. Au reste, suivant la juste remarque du P. Granderath, loc. cit., p. 571, en note, on pourrait sans doute réunir plusieurs passages isolés des Pères grecs, et les mettre en opposition au moins apparente avec l’enseignement des Pères latins. Cette divergence plus ou moins superficielle serait d’autant moins étonnante qu’il s’agit d’un dogme très relevé, dont l’exposition est difficile ; qu’en outre les Pères ne se servent pas de la terminologie scolastique, qui distingue si bien les différentes espèces de cause ; et qu’enfin ils ne traitent pas ex professo du dogme de l’adoplion, mais s’appliquent surtout à prouver la divinité du Fils ou du Saint-Esprit. Ces réserves faites, on doit dire d’une façon générale, avec le P. Granderath, qui a étudié longuement la question, que la doctrine des