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ADAM

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saint Thomas, Ia-IIæ, q. lxxxix, a. 3, affirment une sorte d’incompatibilité, au moins morale, entre le péché véniel, et l’état de justice originelle, qui exclut tout mal du corps et de l’àme. Le fait qu’Adam ait pu pécher mortellement ne renverse pas cette assertion, car le péché mortel détruisant l’état même de justice originelle, la question de conciliation entre les conséquences de ce péché et le bonheur du paradis terrestre ne se pose plus ; il en serait autrement dans l’hypothèse du péché véniel seul.

III. Péché d’Adam.

Épreuve et faute d’Adam.

Apres qu’il eut formé l’homme, Dieu le prit et le plaça dans un jardin de délices, pour qu’il en prit soin et en fût le gardien. Et voici ce qu’il lui prescrivit : « Mange de tous les fruits du paradis, mais ne touche point à l’arbre de la science du bien et du mal, car du jour où tu mangeras de ce fruit, la mort sera ton partage. » Gen., il,’15-17. Ce fut là l’épreuve que le Seigneur voulut imposer au premier homme, comme à sa compagne Eve, avant de leur accorder la couronne de la suprême félicité. Il y avait précepte strict et grave, comme le prouvent assez la sanction qui l’accompagnait et les conséquences qui devaient résulter de la désobéissance. Cette gravité ne venait pas, il est vrai, de l’objet mémo du précepte, mais de sa fin : Dieu voulait affirmer et faire reconnaître son droit inaliénable de maître suprême. Suivant la pensée des Pères, de saint Jean Chrysostoine en particulier, In Gen., homil. xiv, n. 3, P. G., t. lui, col. 115, il en usait envers le premier homme, comme un maître généreux qui céderait un superbe palais, à la seule condition pour le donataire de reconnaître son droit de suzeraineté par une modique redevance. Combien de temps dura l’épreuve, c’est ce qu’on ne saurait dire sans se jeter dans l’arbitraire. Suarez, l. IV, c. vin. Il ne semble pas qu’elle ait été longue, et elle ne fut pas heureuse. Eve, habilement tentée par le démon, succomba, et entraîna son mari dans sa chute, deditque viro suo, qui comedit. Gen., iii, 1-7. Ce péché du premier homme s’appelle le péché originel au sens causal, peccatum originale originans. C’est comme tel, dans Adam, que nous devons l’étudier.

Possibilité du péché d’Adam. —

La première question qui se pose, c’est la possibilité même de cette faute. Comment concevoir, dans cette volonté si droite, une pareille faiblesse ? dans cette intelligence si riche, une pareille erreur ? dans cette nature exempte de concupiscence, un mouvement désordonné soit à l’égard du fruit défendu, soit même à l’égard d’Eve, la séduisante provocatrice ? Dans cette difficulté, il faut d’abord faire la part des suppositions inexactes ou gratuites. Ces dons si relevés de la volonté, de l’intelligence et de la nature n’existèrent en Adam et Eve qu’avant leur premier péché ; or, rien n’autorise à dire que ce premier péché ait été accompagné d’un mouvement de concupiscence ou d’une erreur spéculative du jugement. L’homme, par le seul fait qu’il est libre, peut, par sa propre volonté, se porter vers un bien apparent, alors même que l’intelligence lui montre qu’il a tort ; c’est l’erreur pratique, inséparablement jointe à tout choix mauvais, mais il n’y a pas nécessairement davantage : Video meliora proboque, détériora sequor… Reste donc la faiblesse de la volonté, et là, c’est le grand et mystérieux problème de la liberté créée qui se dresse devant nous : Deus ab initia constitua hominem, et reliquit eum in manu consilii sui. Eccle., xv, 14. La créature, si riche qu’elle soit des dons de la nature et de la grâce, reste libre, tint qu’elle n’est pas définitivement fixée au bien suprême par la vision béatifique, de s’arrêter en elle-même et de se détourner de Dieu ; elle peut toujours dire, théoriquement ou pratiquement : l’as de maître, non serviam. Les anges étaient incontestablement plus parfaits qu’Adam, et beaucoup sont tombés.

Nature du péché d’Adam.

Mais quel fut le péché du premier homme ? La réponse projettera quelque lumière sur le problème qui vient d’être soulevé. En mangeant du fruit défendu, Adam pécha évidemment par désobéissance ; cette faute, Dieu la lui reproche, quand le coupable interpellé s’excuse de s’être caché, sur la honte que lui cause sa nudité : (Juis enim indicavit tibi quod nudus esses, nisi quod ex ligno de quo prseceperam tibi ne confédérés, comedisti ? Gen., iii, 11. Mais cette désobéissance eut un mobile intime ; ce qu’il fut ne nous a pas été expressément révélé. Sans aucun doute Adam fut faible en face d’Eve ; il y eut de sa part complaisance coupable, Dieu le lui rappelle au moment du châtiment, iii, 17 : Quia audisti vocem uxoris tuse et comedisti de ligno… Des Pères et des théologiens ont même vu là le premier péché. Il semble pourtant que le mobile initial, chez Adam, comme chez Eve, ait été ipielque chose de plus intime, un sentiment d’orgueil développé par ces paroles du tentateur, iii, 5 : Erilis sicut dii, scientes bonum et malum. La sainte Écriture l’insinue, au livre de Tobie, iv, 14, quand ce saint homme fait à son fils cette recommandation : « Ne soutire jamais que l’orgueil domine dans ta pensée ou dans tes paroles, car c’est en lui que toute ruine a pris commencement, in ipsa enim inilium sumpsit omnis perditio. » Beaucoup de Pères sont fort explicites à ce sujet. Suarez, l. IV, c. il, ni. C’est, en particulier la doctrine de saint Augustin. « Le mal les avait atteints au dedans, remarque-t-il, De civit. Dei, l. XIV, c. xiii, P. L., t. xli, col. 420, avant qu’ils n’en vinssent à la désobéissance formelle, car une mauvaise action est toujours précédée d’une mauvaise volonté. Or, quel a pu être le principe de cette mauvaise volonté, sinon l’orgueil, puisque selon l’Écriture, tout péché commence par là ? » Et le même Père dit encore d’Adam, De Gen. ad lilt., l. II, c. v, P. L., t. xxxiv, col. 432 : « Il ne faut pas croire que le tentateur eût vaincu l’homme, s’il ne s’était d’abord élevé dans l’àme de celui-ci un orgueil qu’il aurait dû réprimer. » Cette doctrine a été suivie et magistralement développée par le docteur angélique. Dieu ayant créé nos premiers parents dans un état de justice et de sainteté où la chair était parfaitement soumise à l’esprit, la révolte dut commencer par ce dernier, c’est-à-dire par le désir déréglé d’un bien d’ordre spirituel. L’homme pécha principalement en désirant de ressembler à Dieu dans la science du bien et du mal, désir inspiré à nos premiers parents par un amour déréglé de leur propre excellence. Voir IIa-IIæ, q. clxiii, a. 1 et 2 ; Suarez, loc. cit.

Ainsi s’explique le péché d’Adam, d’après ceux des docteurs de l’Église qui ont le plus et le mieux étudié la question. Explication naturelle, qui répond bien à la suggestion diabolique : « Vous serez comme des dieux connaissant le bien et le mal. » Elle répond aussi à ces paroles que Dieu dit après la chute et où perce une allusion ironique, iii, 22 : « Voici qu’Adam est devenu comme l’un d’entre nous, connaissant le bien et le mal. » Il a fallu qu’on ignorât cette doctrine, pour rééditer de nos jours une objection vieille comme le pélagianisme, à savoir qu’il y a dans le procédé des théologiens catholiques un cercle vicieux, consistant à expliquer d’abord le péché originel par la concupiscence, puis, la concupiscence par le péché originel. Il n’en est rien ; le premier péché’d’Adam et d’Lve s’explique sans la concupiscence, mais ce premier péché commis, la concupiscence existe et peut avoir son rôle dans les péchés suivants, comme seraient, du côté d’Adam, une affection déréglée à l’égard de sa compagne et, du côté d’Eve, un mouvement de curiosité sensuelle et de gourmandise, ni, G : Vidit igitur mulier quod bonum esset lignuM ml vescendum, et pulchrum oculis, aspectuque delectabile.

Gravité du péché d’Adam.

La gravité de la