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ADAM

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Moment de cette élévation.

A quel moment Adam reçut-il la grâce sanctifiante ? La révélation ne donne pas de réponse précise ; au moyen âge, il y eut même partage d’opinions. De grands théologiens, comme Hugues de SaintVictor, Pierre Lombard, Sent., . II, dist.XXlV, saint Bonaventure, Scot, soutenaient que le premier homme fut créé dans un état de rectitude naturelle et qu’avant de recevoir la grâce sanctifiante, il dut s’y disposer par ses actes. Ils invoquaient surtout des raisons de convenance, dont la principale ressort de l’énoncé même de leur opinion : la sanctification propre à un adulte demande qu’il y ait de sa part une disposition préalable, et celle-ci ne se conçoit pas sans intervalle de temps entre la formation de l’homme et son élévation à l’état surnaturel. A l’encontre, Albert le Grand, saint Thomas, I a, q. xcv, a. 1, et toute son école admettaient la création et la sanctification simultanée du premier homme. Les Pères du concile de Trente ont évité à dessein de trancher cette controverse. Pallavicini, Hist., l. VII, c. ix, n. 1 ; Massarelli-Theiner, Acta genuina ss. œcumenici concilii Tridentini, Agram (1874), t. i, p. 131, 136, 146. Mais la seconde opinion est devenue courante en théologie ; elle se recommande par des raisons qui semblent prépondérantes. En général, les Pères la favorisent, soit en l’affirmant expressément, comme saint Basile, Adv. Eunom., l. V, P. G., t. xxix, col. 727, et saint Hilaire, cité par saint Augustin, Contra Jidian., l. II, c. viii, P. L., t. xliv, col. 692 ; soit en la supposant dans les interprétations qu’ils nous donnent de certains textes. Ainsi, dans le passage de l’Ecclésiaste, vii, 30, où il est dit que Dieu fit l’homme droit, ils verront cette droiture ou rectitude parfaite qui est due à la sainteté surnaturelle. S. Augustin, De corrept. et grat., , c. xi, n. 32, P. L., t. xliv, col. 370. Dans ce texte de la Genèse, i, 26 : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, » ou cet autre del’Épître aux Éphésiens, iv, 21 : « Revêtez-vous de l’homme nouveau, qui a été créé selon Dieu dans la justice et la vraie sainteté, » ils verront cette image parfaite ou ressemblance surnaturelle que la grâce sanctifiante mit dans le premier homme au jour de sa création et que Jésus-Christ rétablit en nous. S. Irénée, Cont. User., l. V, c. x, n. 1, P. G., t. vii, col. 1148 ; S. Basile, Sermo ascel., n. 1, P. G., t. xxxi, col. 870 ; S. Grégoire de Nysse, Deopi/ic. hom., c. xxx, P. G., t. xliv, col. 255 : S. Cyrille d’Alexandrie, In Joa., l. II, c. i, P. G., t. lxxiii, col. 203 ; S. Jérôme, In Eph., iv, 30, P. L., t. xxvi, col. 514 ; S. Augustin, De Gen. ad. litt., l. VI, c. xxiv, n. 35, P. L., t. xxxiv, col. 353, etc. De même encore, quand la Genèse, ii, 7, nous parle d’un souffle de vie communiqué au premier homme : Et inspiravit in faciem ejus spiracidum vitse, ils verront la grâce sanctifiante, don du Saint-Esprit et principe de la vie surnaturelle. S. Basile, loc. cit. ; S. Cyrille d’Alexandrie, De Trinit. dialog., c. iv, P. G., t. lxxv, col. 907. On peut, à la vérité, douter, et même nier, que ces Pères aient voulu donner alors le sens littéral, premier, de ces textes. Suarez, l. III, c. ix, n. 29 sq. ; Petau, De opific, l. II, c. n-iv ; Scheeben, Dogmatique, traduct. de l’abbé P. Bélet, Paris, 1881, t. iii, n. 313 sq. Mais ceci n’infirme pas la preuve d’autorité dans la question présente ; car du moment où ils appliquent ces passages à la sanctification d’Adam sortant des mains du créateur, ils supposent nécessairement cette sanctification soit en vertu du contenu implicite de ces textes, soit à titre de vérité connue par ailleurs. Le second concile d’Orange parle lui-même de cette intégrité dans laquelle la nature humaine avait été faite, in qua est condita ; et c’est dans le même sens que saint Augustin donne à la grâce d’Adam l’épithète de naturelle, c’est-à-dire attachée à la nature humaine dans son origine. De spirit. et litt., c. xxvii, P. L., t. xliv, col. 2 L 19.

Cette élévation primitive d’Adam à l’état surnaturel n’a rien que de convenable. Dieu le destinant à une fin du même ordre, il était juste qu’il le mît dès le début sur la voie et lui donnât dans la grâce sanctifiante des moyens d’action proportionnés. N’est-ce pas pour la même raison que saint Augustin nous montre Dieu créant les anges et les sanctifiant en même temps, s’nuul ils et condens naturam et largiens gratiam ? De civit. Dei, l. XII, c. ix, n. 2, P. L., t. xli, col. 357. Au reste dans cette supposition, il n’est pas nécessaire de nier ce que la première opinion a de sérieux. Si quelques théologiens, comme Dominique Soto et Molina, ne voient pas la nécessité d’une disposition préalable ou coopération de la part d’Adam, le plus grand nombre la maintient, car c’est un mode de sanctification plus parfait en soi, et plus convenable aussi à un adulte, non moins qu’à la nature de la grâce sanctifiante qui dit amitié entre Dieu et l’homme. Mais il ne s’ensuit pas qu’il faille, à proprement parler, un intervalle de temps. Tout en admettant la simultanéité physique de l’acte créateur et de l’acte sanctificateur, on peut, dans l’unique instant réel où tout se passe, concevoir une certaine virtualité où se placent les actes qui auraient accompagné, chez Adam, l’infusion de la grâce sanctifiante. Deux remarques de saint Thomas aideront à comprendre ce point délicat. Entre la forme et la disposition qu’elle peut supposer dans le sujet, il y a tout au moins un rapport de subordination, ordo naturæ, mais non pas nécessairement un rapport de temps, ordo lemporis. Ia-IIæ, q. cxiii, a. 8. Par ailleurs, le mouvement de la volonté n’emportant pas l’idée de continu, ne suppose pas non plus de succession de temps. I a, q. xcv, a. If ad 5um. Rien n’empêche donc que, même au premier instant de sa création, il y ait eu, de la part du premier homme, coopération à la grâce. Comme l’âme du Christ, au moment de l’incarnation, comme l’âme de la très sainte Vierge Marie, dans son immaculée conception, l’âme d’Adam nous apparaît, dans cet unique instant, d’une virtualité si riche, tout à la fois créée par Dieu, adhérant à lui sous l’action de la grâce actuelle par un acte d’intense charité et sanctifiée par la grâce habituelle dans cet acte même d’adhésion à sa fin suprême. Cf. Suarez, c. xix.

Conséquences de cette élévation.

Il suffit maintenant d’énoncer quelques conséquences qui résultèrent pour Adam de son élévation à l’état surnaturel. Aux dons insignes qui ornaient déjà son intelligence et sa volonté, s’ajoutèrent ces vertus infuses, théologales et morales, qui forment le noble et inséparable cortège de la grâce sanctifiante. En particulier, la foi s’implanta dans cette âme, comme la boussole d’une vie désormais orientée vers Dieu, fin surnaturelle. Adam crut certainement en Dieu fin et rémunérateur suprême, Hebr., xi, 6 ; vraisemblablement il connut le mystère de la très sainte Trinité, et même celui de l’incarnation, mais en tant qu’il se distingue du mystère de la rédemption. En un mot, saint Thomas assigne pour objet à la foi du premier homme ce qui lui était bon de connaître pour pouvoir diriger sa vie d’une façon conforme à l’état où il se trouvait, quanta erat nccessaria ad gubernalionem vitse humanse secundum station illum. I a, q. xcv, a. 3 ; ll a II*, q. ii, a. 7 ; Suarez, c. xviii.

Enfin pour avoir une idée complète du chef-d’œuvre que fut Adam avant sa chute, il faudrait joindre aux dons proprement naturels ou surnaturels les privilèges appelés communément préternaturels, l’intégrité ou absence de concupiscence, l’immortalité, l’impassibilité, la félicité relative du paradis terrestre. Mais, comme tous se rapportent à l’état de justice originelle, il suffit de les indiquer ici, en faisant cette remarque : les théologiens ont une si haute idée de la perfection qui résultait de tout cet ensemble de dons insignes de l’intelligence et de la volonté, que la pluplart, suivant en cela