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ACTES (APOCRYPHES) DES APOTRES

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sur le rivage nous appelle, que veut-il ? — Quel enfant ? réplique Jean. — Tu ne vois donc pas un homme debout, au visage allègre ? — Non, repart-il ; mais débarquons et voyons ce qu’il veut. Comme en silence nous mettions la barque à sec, 77 vint nous aider. Et II m’apparut avec la tête chauve et la barbe chenue, tandis que Jacques le voyait jeune et imberbe. Souvent, poursuit saint Jean, il m’apparut sous les traits d’un homme petit, vilain. Autre prodige : lorsque je reposais sur sa poitrine, tantôt sa poitrine me semblait molle, tantôt elle me semblait résistante comme la pierre. Une fois il me conduisit avec Jacques et Pierre sur la montagne où il avait coutume de prier, et nous lui vîmes une clarté lumineuse indicible. Une autre fois sur cette même montagne, comme il s’était relevé pour prier à l’écart, j’approchai seul et je le vis sans ses vêtements, nu, mais il ne ressemblait point à un homme : ses pieds, plus blancs que la neige, illuminaient la terre, sa tête touchait le ciel. La surprise me fit pousser un cri. Il se retourna, et je ne vis plus qu’un homme petit, qui, me prenant le menton, me dit : Jean, ne sois pas incrédule, niais plein de foi. Pour moi je souffris du menton pendant trente jours, jusqu’à lui dire : Si une caresse de toi fait ce mal, que serait-ce d’un soufflet ? Et lui : A toi de ne point tenter celui qui ne peut être tenté. Une autre fois, à Génézareth, la nuit, Jean entend une voix qui dit à Jésus : Ceux que tu as choisis ne croient pas encore en toi. Et le Seigneur répond : Tu dis bien, car ils sont hommes. Encore des prodiges : un jour j’essaie de le saisir, et je découvre qu’il est immatériel, incorporel et comme s’il n’était pas. Un pharisien nous invite à un repas, chaque convive a un pain devant soi : Jésus partage son propre pain entre les convives et cette parcelle suffit à rassasier chacun. Souvent marchant avec lui je voulus voir la trace de ses pas sur le sol, et jamais je ne la vis. Ce que je vous dis là est peu de chose, car les grandes merveilles doivent actuellement être tues, elles sont indicibles et on ne peut pas plus les rapporter que les entendre (87-93). A la suite, saint Jean rapporte l’hymne que Jésus aurait chantée avec ses disciples avant d’être livré (91-96), et qui est une prière de style archaïque, gnosticisant.

Plus loin, toujours dans le même fragment quatrième, vient un récit de la passion. Saint Jean n’est pas demeuré auprès de Jésus, il s’est enfui à la montagne des Oliviers : là, sur la sixième heure du jour, au moment où les ténèbres se font sur toute la terre, Jésus apparaît devant Jean. Là-bas, lui dit-il, en Jérusalem on me met en croix, on me perce d’une lance, on m’abreuve de fiel : à toi je parlerai, écoute ce que je dirai. Je t’ai fait venir sur cette montagne pour que tu entendes ce qu’un disciple doit entendre d’un maître, un homme de Dieu. Ce disant, il me montrait une croix lumineuse, et la foule. Et je vis le Seigneur sur la croix. Il n’avait pas d’apparence (i/v-ua), mais seulement une voix, une voix qui n ; tut pas si vzix f iiiiiIk re, mus une voix douce et belle, vraiment d’un Dieu, et qui disait : Cette croix de lumière est appelée tantôt verbe, tantôt esprit, tantôt Jésus, tantôt Christ, tantôt porte, tantôt route, tantôt pain, tantôt semence, tantôt résurrection, tantôt fils, tantôt père, tantôt vie, tantôt vérité, tantôt foi, tantôt grâce. Ainsi pour les hommes, mais en réalité elle est en soi la pensée et pour nous l’exprimé, définition de tout…, non point la croix de bois que tu vas voir, non plus que je ne suis le crucifie’, moi que tu entends sans le voir. J’ai été pris pour ce que je ne suis pas, ce qu’ils disent que je suis est humble et indigne de moi. Et comme le lieu de mon repos ne se voit ni ne se dit, je ne serai pas vii, moi, le maître d’icelui. Ce galimatias gnostique se poursuit, et nous l’abrégeons pour ne citer que les traits caractéristiques. Sache, dit Jésus, que je suis tout dans le l’ère et le l’ère eu moi. Je n’ai souffert rien de ce qu’ils diront que j’ai souffert : cette passion que je t’ai montrée je veux qu’on l’appelle mystère. Ce que tu vois, je te l’ai montré ; ce que je suis, moi seul le sais, personne autre. Tu entends que j’ai souflert, je n’ai pas souflert ; que je n’ai pas souffert, j’ai souffert ; que j’ai été meurtri, je n’ai pas été frappé ; que j’ai été pendu, je n’ai pas été pendu ; que mon sang a coulé, il n’a pas coulé ; simplement ce qu’ils disent de moi n’est pas réel, mais ce qu’ils ne disent pas, cela, je l’ai souflert. Entends : meurtrissure du Verbe, sang du Verbe, blessure du Verbe, crucifixion du Verbe, mort du Verbe : pense au Verbe d’abord, pense ensuite au Seigneur, troisièmement à l’homme et à ce qu’il a souflert. L’apôtre Jean, ayant fini de rapporter les discours du Christ, conjure les fidèles qui l’écoutent de vénérer non point un homme, mais un Dieu indéfectible, un Dieu immuable, un Dieu plus haut que toute puissance et tous les anges et créatures, un Dieu plus ancien que les siècles (97-105).

Le cinquième fragment, désigné d’ordinaire sous le titre de Metaslasis ou mort de saint Jean, débute par une sorte d’homélie adressée par Jean aux fidèles accourus un dimanche. L’homélie est suivie d’une prière à Dieu, d’une couleur liturgique qui va s’accentuer encore. Car Jean demande du pain et prononce une véritable prière eucharistique. Après quoi, il rompt le pain avec ses fidèles. Puis il s’en va hors de la ville, fait creuser sa tombe et s’y couche, non sans prononcer une dernière prière : toi qui m’as donné la pure science (yveiTiv) de toi, Dieu Jésus, père et maître des choses supercélestes ; toi qui m’as conservé jusqu’à cette heure pur et n’ayant touché aucune femme ; toi qui, lorsque jeune je voulais me marier, m’es apparu et m’as dit : Jean, j’ai besoin de toi ; toi qui, lorsque je voulais encore me marier, m’as dit sur la mer : Jean, si tu n’es pas mien, je te laisse te marier ; toi qui m’as laissé deux ans gémir et qui la troisième année m’as ouvert les yeux de l’intelligence ; toi qui as fait que mon àme ne possède rien d’autre que toi seul… (106-115).

Le cinquième fragment, qui a dû sa conservation à ce qu’il renferme le récit de la fin solennelle de l’apôtre, a gardé la trace de préoccupations encratites. Les encratites ne sont pas une secte, ils sont un esprit très répandu au IIe siècle, esprit de rigorisme qui prélude aux schismes des inarcionites, des montanistes, plus tard des novatiens, et pour lequel le salut a pour condition l’abstinence de toute sensualité : de là, la condamnation du mariage en même temps que l’usage de la viande et du vin. C’est bien l’esprit que nous trouvons dans le prière de saint Jean remerciant Dieu d’avoir échappé au mariage, et le sens de la parole de Jésus : « Si tu n’es pas mien, je te laisse te marier. » La tendance encratite est assez commune au IIe siècle, pour que nous devions avoir à en retrouver plus loin mainte autre trace.

Le docétisme est plus rare parce que, erreur non plus morale, mais christologique, il a été éliminé plus vite. Le docétisme est un essai de christologie qui distingue Jésus du Christ, fait du Christ un être impassible et veut que Jésus seul ait souffert : deux êtres dont l’un, le divin, est intermittent, à moins que l’autre, l’humain, soit fantomatique. L’auteur de notre quatrième fragment conçoit le Sauveur comme une apparition : à Jacques il se montre sous les traits tantôt d’un enfant, tantôt d’un jeune homme, à Jean sous les traits tantôt d’un vieillard petit et laid, tantôt d’un être lumineux et impalpable. La passion surtout prête à ces développements. Une apparence (a/r, ij.a) soutire sur la croix, un je ne sais quoi d’humble et d’indigne du Christ. L’impalpable Christ au contraire n’a pas souffert, n’a pas été crueilié, n’est pas mort ; ce qu’a élé son étal pendant la passion est un mystère ; ce qui paraissait était irréel, ce qui était réel a élé impénétrable comme le Verbe qui en est le sujet. El ce Verbe luï-même est tout dans le l’ère. La distinction du Père et du Fils n’existe pas, car les termes de