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ACCEPTATION DES LOIS — ACCEPTION DE PERSONNES

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obligatoire ; aussi l’encyclique Quanta cura du 8 décembre 1864, et le Syllabus portant la condamnation des propositions 3, 19, 20, 28, 29, 36, 37, 42, 44, 5i, 57, etc., toutes imprégnées de l’esprit « moderne et laïque », sont-ils des documents formellement relatifs à la question qui nous occupe. — Nous ne conclurons pas sans appeler la plus sérieuse attention du lecteur sur 1-inlluence néfaste exercée ici par le kantisme. L’indépendance totale de la raison à l’égard du monde externe et objectif qu’elle ne connaît même pas avec certitude, à l’égard des vérités venant du dehors qu’elle méprise ou néglige comme opposées à sa dignité et à son droit, tant qu’elle ne parvient pas à les construire a priori d’après les seules ressources et les seules exigences de ses catégories ; ce subjectivisme effréné en spéculation s’est également donné libre carrière en pratique et en action. L’obligation morale ne résulte, selon lui, que de l’impératif catégorique, c’est-à-dire, en net et franc langage, du bon plaisir et du caprice, tout au plus de la sagesse et de l’honnêteté des consciences individuelles. Les enseignements répétés de Léon XIII sur la valeur objective des lois, surtout des lois ecclésiastiques, sont particulièrement opportuns, nécessaires, efficaces, contre celte forme nouvelle, raffinée et captieuse, d’une erreur lant de fois déjà réprouvée par l’Église. Les catholiques trop bienveillants pour la méthode et la morale kantiennes feront bien d’y prendre garde : ils renouvelleraient facilement la thèse de Luther, de Richer, de Quesnel, de Fébronius ; la thèse révolutionnaire qui mène finalement à l’anarchie. Que le régime démocratique ait les préférences marquées du présent ; qu’il doive obtenir un complet triomphe dans l’avenir, c’est probable. Mais tant que durera l’ordre social, tant par conséquent que durera le genre humain qui est essentiellement ordonné à la société, il y aura, chaque jour, des enfants qui arriveront à l’âge d’obéir, des citoyens qui arriveront à l’âge d’agir politiquement, et qui n’auront nullement, ni les uns ni les autres, le droit de refuser leur soumission aux lois préexistantes, sous le fallacieux prétexte qu’ils ne les auront pas acceptées. Tant que durera l’Église catholique, tant par conséquent que durera l’humanité ici-bas, le pouvoir législatif établi par Jésus-Christ obligera antérieurement à toute acceptation des fidèles. Nulle philosophie moderne ne détruira jamais de tels faits et de tels droits.

Consulter Suarez, De legibus, 1. III, c. xix ; 1. IV, c. xvi ; Konings, Theol. moralis, n. 122-124, avec les références à saint Alphonse : Jules Didiot, Morale surn. fondani., théorèmes lxxv, lxxvii. — Étudier surtout les encycliques Diuturnurrt, Immortale Dei, Libertas, Rerum novarum, du souverain pontife Léon XIII. J. Didiot.

ACCEPTION DE PERSONNES. Cette locution est d’origine biblique ; l’hébreu DUS Nwa signifie littéralement intueri facieni, considérer, non pas les mérites réels de quelqu’un, mais ses apparences, ses qualités d’emprunt, son « masque » ; d’où les expressions grecques équivalentes : TipoirooTrov Xa|j.^âvsiv, fDiTteiv eiç kçiogwkov tivoç, Oau|j.àÇ£tv 7rpô(70)7ra, et la traduction latine : accipere personam ; en français : acception de personnes.

Le langage vulgaire entend par « acception de personnes » tout jugciiient, favorable ou défavorable, déterminé par des considérations, ordinairement intéressées el purement personnelles, étrangères à celles qui (livraient seules intervenir dans la décision légitime d’une cause ou d’une affaire donnée. Il y a donc acception de personnes toutes les Ibis qu’on prend comme base d appréciation ses sentiments pour une personne, au lieu de la réalité de la chose appréciée. Ainsi entendue, l’acception peul être, suivant les cas, moralement lionne ou mauvaise ; bonne, ou au moins indifférente, si son motif est en soi légitime el honnêtemenl admissible (paienti’, amitié, gratitude, etc.) ; mauvaise, dans le cas

contraire, si elle blesse l’ordre moral (justice, libéralité, etc.).

En termes plus stricts de droit et de morale, l’acception de personnes est toute injustice par laquelle on préfère une personne à une autre ; ou enfin, plus précisément encore, en matière judiciaire et bénéliciale : une violation de la justice distribulive, par laquelle on préfère injustement une personne à une autre, en prenant pour motifs d’un jugement ou de la répartition des biens, charges et dignités sociales, des considérations personnelles étrangères aux mérites réels du sujet ou de la cause qui est en jeu.

Au point de vue de la morale naturelle, l’acception de personnes est un péché, en raison du désordre volontaire qu’elle introduit dans la préparation des jugements et décisions pratiques de l’esprit, au préjudice d’intérêts sacrés, que la double loi fondamentale de la vérité et de la justice impose absolument au respect de l’homme raisonnable.

De droit divin positif, Vacception de personnes a été maintes fois flétrie comme un mal dans l’Ancien et le Nouveau Testament :

Non accipies personam, nec muncra, quia muncra exesecant oculos sapientum et mutant verba justoruni. Deut., xvi, 19. — Nulla erit dislanlia personarum ; ita parrulum audietis ut magnum, nec accipietis cujusque personam, quia Dei judicium est. Deut., I, 17. — Ne accipias personam ut delinquas. Eccli., XLII, 1. — Cognosecre personam in jud icio non est from<m.Prov., xxiv, 23. — Non est apud Dominum Deum nostrum iniquitas, nec personarum acceptio. II Par., xix, 7. — Non enim est acceptio personarum apud Deum. Rom., il, 11. — Non est personarum acceptor Deus. Jac, x, 34. Cf. Lev., xix, 15 ; Deut., x, 17 ; Job, xxxn, 21 ; xxxiv, 19 ; Ps. xiv, 5 ; Prov., xvm, 5 ; xxiv, 23 ; Eccli., xxxv, 16 ; xx, 2i ; Is., xlii, 2 ; Matth., xxn, 16 ; Luc, xx, 21 ; Act., xi, 34 ; Gai., il, 6 ; Ephes., vi, 9 ; Col., m, 25. On trouvera les autres textes dans Peultier, Concordantiarum lliesaur., Paris, 1898, v is Accipio, Acceptor, Persona.

Les législations humaines ont toujours regardé comme grave, et sévèrement puni, le crime d’acception de personnes dans l’administration publique de la justice.

Le droit canonique en fait l’objet de prescriptions très rigoureuses, ainsi qu’on peut le voir dans les commentaires des canonistes, soit sur l’axiome juridique bien connu : In judiciis non est acceptio personarum habenda (De regulis juris, in 6°, reg. xn), soit sur les différents titres du Corpus juris concernant le mode de répartition équitable des biens, charges et dignités ecclésiastiques (Décrétai., 1. I, lit., xiv ; 1. III, tit. xn). En ce qui touche particulièrement la collation desbénéfices à charge d’âmes (épiscopats, cures, etc.), le concile de Trente (sess. VII, De réf., c. m ; sess. XXIV, De réf., c. i, xvm), rappelant et confirmant sur ce point la doctrine traditionnelle de l’Eglise, exige, sous menace de culpabilité grave : 1° qu’on choisisse toujours des sujets dignes ; 2° que, parmi ceux qui sont dignes, l’on donne la préférence à ceux qui sont jugés les plus dignes. Digniores… non quidem precibus vel liumano affeclu aut ambientium suggestionibus, seà eorum exigentibus meritis. C’est précisément pour éviter le plus possible les dangers que fait courir à l’Eglise, en si grave matière, l’acceptio personarum, que le saint concile a institué la discipline spéciale du concours pour la provision des cures vacantes.

En théologie morale, Vacception de personnes constitue un péché’(Ni personam « ceipihs. peccatum operamiui, Jac, n, 9) plus ou moins grave suivant l’importance des intérêts que lient compromettre la violation de la justice distributive ; péché mortel, d’après l’enseignement commun, quand il s’a^ii de pourvoir aux bénéfices à oharges d’âmes (cures) et surtout aux prélatures d’ordre supérieur (épiscopats). Saint Thomas rapporte ;