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ACCEPTATION DES LOIS


rée. La prétention de soumettre les lois et les arrêtés du roi à l’acceptation du peuple révoltait absolument ces bons écrivains, quelque peu fanatiques de loyalisme et de royalisme. Nous n’avons pas à démontrer contre eux que les envahissements du pouvoir civil avaient indûment supprimé les garanties qui, pendant les premiers siècles de la monarchie très chrétienne, protégeaient la juste liberté du peuple et le préservaient de l’absolutisme du gouvernement. Mais nous devons déclarer que leur zèle à combattre l’acceptation populaire des lois de l’État ne donne plus aucune valeur sérieuse à leurs protestations et dissertations.

IV. Véritable doctrine de l’Église en cette matière. — 1° Relativement aux lois civiles d’abord, on doit mentionner la condamnation faite par Alexandre VII, le 24 septembre 1665, de cette proposition 28e : « Le peuple ne pèche pas, quand même il ne recevrait pas une loi promulguée par le prince, sans avoir pour cela aucune bonne raison. » D’après le pape cette thèse est « au moins scandaleuse >). — De notre temps, Pie IX a censuré à diverses reprises, et notamment dans le célèbre Syllabus du 8 décembre 1864, les thèses suivantes : « 60. L’autorité n’est rien que la somme du nombre et des forces matérielles. » — « 63. Il est permis de refuser l’obéissance aux princes légitimes, et même <le se révolter. » — Les encycliques de Léon XIII, sur la doctrine catholique opposée aux erreurs sociales actuelles, établissent très fortement le pouvoir à la fois naturel et surnaturel des lois régulièrement portées dans la société civile : naturel, parce qu’il résulte de l’essence même de la race humaine faite pour vivre et agir selon des lois sociales et politiques ; surnaturel, parce qu’il est consolidé et promulgué par la révélation de l’Ancien -et du Nouveau Testament, très particulièrement par les Épitres de saint Paul. Voir l’article Pouvoir civil. La prétention de soumettre la législation purement profane à l’acceptation du peuple, en tant que cefui-ci est nettement distinct du « corps législatif » quel qu’il soit, monarchique, aristocratique ou démocratique, est donc une prétention implicitement ou équivalemment hérétique. Car lorsque saint Paul, après le livre des Proverbes, affirme que les princes régnent et légifèrent de par Dieu, on ne saurait les mettre à la merci d’une acceptation ou d’un refus de leurs sujets. On irait pratiquement, sinon formellement, contre la doctrine de l’EspritSaint lui-même. Cf. Prov., iivi 15-16 ; Rom., xiii, 1, 4 ; I Pet., ii, 13, etc. — 2° Relativement aux lois ecclésiastiques, Martin V et le concile de Constance ont réprouvé cette thèse 15e de Wiklef : « Nul n’est prince temporel, nul n’est prélat, nul n’est évêque, quand il est en péché mortel. » On voit le parti qu’on peut tirer contre les lois canoniques, et même contre les lois civiles dont nous parlions précédemment, d’un principe si hardi. Pour ne pas accepter une loi, il suffira de déclarer que le législateur est en (Hat de péché mortel. — Jean Huss raisonnait de la sorte en ses propositions 8, 10-13, 20, 22, etc. ; il reprenait à son compte (prop. 30) la thèse de Wiklef, et il disait : « 15. L’obéissance ecclésiastique est « ne obéissance selon les inventions des prêtres de l’Église, et outre l’expresse autorité de l’Écriture. » Rien entendu, Martin V et les Pères de Constance condamnèrent tout cela. Ils ordonnèrent aussi d’interroger les gens suspects de wikléfisme et de hussisme sur les points suivants : « 23. Item, croit-il que le bienheureux Pierre fut le vicaire du Christ, ayant pouvoir de lier et de délier sur la terre ? » — « 24. Item, croit-il que le pape canoniquement élu, à un temps déterminé et sous un nom propre, soit le successeur du bienheureux 1’icrre, ayant une suprême autorité dans l’Église de Dieu ? » — huilier soutenait, dans le même sens que les hérétiques du moyen âge, cet article 27° réprouvé par Léon X le 16 niai 1520 : « Il est certain qu’il n’est pas du tout au pouvoir de l’Église ni du pape d’établir des

articles de foi, ni même des lois pour les mœurs on pour les bonnes œuvres. » — Il ajoutait, en son article 29e également condamné : « Nous avons trouvé le chemin pour énerver l’autorité des conciles, pour contredire librement à leurs actes, pour juger leurs décrets, et pour confesser avec confiance tout ce qui nous paraît vrai, que cela ait été approuvé ou réprouve par un concile quelconque. » — « Ni pape, ni évêque, disait-il encore dans une proposition censurée en 1521 par la faculté de théologie de Paris, ni un seul d’entre les hommes, n’a droit d’imposer même une seule syllabe à un chrétien, à moins que ce ne soit de l’assentiment de celui-ci ; et tout ce qui se fait autrement se fait en esprit de tyrannie. » — En 1682 le pape Innocent XI, en 1690 le pape Alexandre VIII, en 1794 le pape Pie VI, rejetèrent énergiquement la fameuse Déclaration du clergé de France, les Quatre articles de 1682, tendant à soumettre la puissance pontificale à celle des conciles, et à la restreindre par les principes ou préjugés des Églises particulières. — La 90e proposition de Quesnel condamnée en 1713 par Clément XI, et depuis par plusieurs papes, par plusieurs conciles provinciaux, applique à la matière des censures canoniques la théorie générale des Quatre articles : « L’Eglise a le pouvoir d’excommunier pour l’exercer par les premiers pasteurs, du consentement au moins présumé du corps tout entier. » Voilà bien cette théorie janséniste du rôle ministériel de l’épiscopat, dans lequel on inclut le pontificat suprême, et qui ne peut agir qu’au nom et que de l’aveu plus ou moins explicite de la société entière. Si elle n’y consent pas, si elle n’accepte pas les sanctions et a fortiori les lois et préceptes des premiers pasteurs, ceux-ci ne peuvent rien faire d’obligatoire ni d’efficace. — Le bref de Pie VI en date du 28 novembre 1786, contre le livre allemand d’Eybel intitulé : Qu’est-ce que le pape ? — la condamnation par le même Pie VI, dans sa constitution Auclorem ftdei du 28 août 1794, des propositions 2 et 3 du pseudo-synode de Pistoie nettement favorables à ce système républicain qu’Edmond Rieher avait voulu introduire dans l’Église dès 1611 ; — la condamnation des propositions 4 et 5 réduisant l’autorité ecclésiastique à un simple rôle de persuasion ; — celle des propositions 6 à 11 exagérant audacieusement le droit des évêques et celui des prêtres même, afin de diminuer d’autant le suprême pouvoir pontifical — visent implicitement et parfois explici tement la prétention schisrna tique de subordonner la législation canonique à l’acceptation des inférieurs. — On peut voir dans les Conférences d’Angers, t. iii, IIIe conférence, u° question, comment les « maximes du royaume » refusant l’obéissance aux bulles des souverains pontifes, si elles n’étaient acceptées par l’État, conduisaient notre clergé jusqu’aux frontières du joséphisme et du richérianisme, s’il ne les lui faisait pas franchir catégoriquement. Les Conférences d’Amiens, XIe conférence, v c question, péniblement combattues par celles d’Angers, tenaient à ce sujet des discours inquiétants par leur obscurité autant que par leur témérité ; et la Constitution civile ou plutôt hérétique et schismatique du clergé trouva le terrain suffisamment préparé par toutes ces louches et suspectes doctrines, pour prétendre et parvenir à tyranniser pendant quelques années la « fille aînée de l’Église ». — Le lamennaisianisme, condamné en 1832 et en 1834 par Grégoire XVI, exaltait si fort le consentement universel en théorie, qu’il devait aboutir à se substituer en pratique au pouvoir doctrinal et législatif de l’Église. La conséquence ne manqua pas de se produire ; et l’auteur du système, heureusement abandonné’de ses disciples, se déclara panthéiste et républicain révolutionnaire. — Le libéralisme absolu, avec son absolue liberté de conscience, n’est pas réellement autre chose que le développement logique et complet du vieux dogme luthérien de l’acceptation populaire, comme élément essentiel de toute loi