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ABSTRAITS (TERMES)

III. Usage de ces termes dans les questions relatives a l’incarnation. — 1° La nature moine de l’incarnation et une loi fondamentale du langage règlent l’emploi des termes abstraits et concrets dans les matières de l’incarnation. — 1. Par le mystère de l’incarnation, la nature humaine est unie hypostatiquement au Verbe, et deux natures, la divine et l’humaine, se rencontrent dans l’unité d’une même personne. Cette personne est réellement distincte de la nature humaine et réellement identique à la nature divine. C’est là le fait que les formules composées de termes abstraits ou concrets devront exprimer plus ou moins explicitement et ne jamais contredire. — 2. Une loi du langage humain veut que la personne soit le sujet d’attribution des actions produites par la nature : actiones sunt suppositorum. Cet axiome doit être complété par celui-ci : passiones sunt suppositorum. En un mot, tout ce qui se fait ou se subit dans une nature doit être rapporté à la personne qui possède cette nature. Chez moi, c’est la substance corporelle qui souffre, ce sont les membres qui s’agitent, c’est l’âme qui pense, et cependant tout cela est concentré par le langage dans un même moi, et c’est ce moi, c’est-à-dire la personne qui dit : « Je pense, je m’agite, je souffre. » — 3. Application. — Chez l’homme, où la personne et la nature se confondent, les qualités et les actions de celle-ci s’attribuent sans difficulté à celle-là. Dans le Christ, une seule personne possède deux natures. Dans quelle mesure et en quels termes les actions jaillies de la nature divine, les actions et les passions de la nature humaine s’attribueront-elles à la personne ? C’est ce que les anciens appelaient ἀντίδοσις, et ce que la théologie nomme communicatio idiomatum.

2° Dans cette question, il y a lieu de distinguer non seulement les termes essentiels divins abstraits ou concrets, ou les termes relatifs désignant la seconde personne de la Sainte Trinité, mais encore l’acte notionel ou fait personnel au Verbe de prendre la nature humaine ; les termes signifiant d’une manière abstraite ou concrète la nature et les qualités humaines ; et enfin les activités et les passivités dont cette nature est la source ou le siège. — 1. On peut affirmer des noms essentiels divins concrets tous les noms humains concrets, sauf ceux qui désignent seulement une partie de la nature humaine. On peut dire : « Dieu est homme, l’Éternel est mortel ; » mais on ne peut dire : « Dieu est corps, l’Éternel est âme. » Les termes réduplicatifs (voir ce mot) échappent à cette loi, et l’on ne peut dire : « Dieu, en tant que Dieu, est homme. » — On ne peut affirmer les noms humains abstraits et dire : « Dieu est humanité, » car le terme Dieu désigne la nature et la personne divine, et le terme humanité désigne seulement la nature humaine sans la personne. — Enfin on peut attribuer aux termes divins concrets soit les activités ou passivités humaines, soit le fait de prendre la nature d’homme. Ainsi, je puis dire que Dieu a mangé, qu’il a bu, qu’il a dormi, qu’il s’est reposé des fatigues de la route, qu’il a souffert et qu’il est mort. Cf. Denzinger, Enchiridion, n. 368. Je puis dire encore que Dieu s’est fait homme. — 2. Des noms essentiels divins abstraits, on ne peut affirmer ni les noms humains concrets : « la divinité est mortelle ; » ni les noms humains abstraits : « la divinité est humanité ; » ni les activités ou passivités humaines : « la divinité a mangé, a bu, s’est reposée, a souffert ; » ni enfin le fait de prendre la nature humaine : « la divinité a pris l’humanité. » En effet, ces termes divins font abstraction de la personne divine qui seule justifie l’attribution à Dieu des qualités, actions ou passions humaines. — Si quelques Pères se sont parfois servis de formules semblables, ils ne l’ont pu faire que par une figure de langage et en prenant l’abstrait pour le concret. — 3. On peut affirmer de la seconde personne de la Trinité, Verbe ou Christ, tous les noms concrets ou abstraits divins : « le Christ est Dieu, le Christ est tout-puissant ou la toute-puissance ; » tous les noms concrets humains : « le Christ est homme, le Christ est mortel. » Cependant on ne pourrait dire : « le Christ est humain ou divin, » si l’on entendait par là signifier une participation accidentelle ou analogique à l’humanité ou à la divinité et exclure la possession réelle par le Christ de la nature humaine ou de la nature divine. C’est dans ce sens que Nestorius appelait le Christ θεοφόρον et le Verbe σαρκοφόρον. On peut encore attribuer au Christ ou au Verbe les activités ou passivités humaines et dire : « le Verbe, ou une personne de la Sainte Trinité, ou le Christ a souffert. » Cf. Denzinger, Enchiridion, n. 181, 194, 203, 601. — On peut lui attribuer également l’acte notionel de prendre la nature humaine. Mais on ne peut affirmer du Verbe ou du Christ les termes abstraits humains et dire : « le Verbe est humanité, » parce que ces termes excluent de leur contenu la signification de la personne. — 4. Des noms concrets humains, à moins qu’ils ne soient réduplicatifs, on peut affirmer les noms divins abstraits ou concrets : « Dans le Christ, l’homme est Dieu, le mortel est immortel, l’homme est divinité, le mortel est éternité ; » parce que les termes concrets humains enveloppent la personne du Christ, laquelle est identique à la divinité et à l’éternité. On peut aussi leur attribuer les activités divines : « cet homme a créé le monde ; » mais non l’acte notionel propre au Verbe : « cet homme a pris la divinité ou l’humanité. » — 5. Des noms abstraits humains on ne peut affirmer ni les noms divins abstraits ou concrets : « l’humanité est Dieu » ou « est divinité ; » ni les actes divins : « l’humanité connaît toutes choses, a créé le monde ; » ni l’acte notionel relatif à l’union hypostatique : « l’humanité a pris la divinité ; » mais on peut dire que l’humanité a été prise par le Christ ou par Dieu.

{{refa|4|IV. Usage de ces termes dans la mariologie. — 1° L’emploi des termes abstraits ou concrets dans la mariologie est commandé par les lois qui les régissent dans les matières de l’incarnation. Il faut, pour le comprendre, se rappeler qu’en principe la maternité consiste à donner le jour à une nature d’espèce semblable. Il est indifférent à l’essence de la maternité que la nature produite constitue une personne ou qu’elle appartienne à une personne distincte non produite par la mère. — Il faut se rappeler, en outre, qu’en fait Marie a donné le jour à une nature humaine très réelle, bien qu’elle appartint à une personne distincte, la seconde personne de la Sainte Trinité. Étant enfin supposé que ce qui concerne la nature peut être et doit être attribué à la personne, dans quelles conditions pourra-t-on employer les termes abstraits et concrets pour désigner la maternité de Marie et la filiation du Christ ?

2° Si l’on considère la filiation du Christ, on pourra attribuer le titre de « fils de Marie » à tout ce qui signifie ou la nature humaine née de Marie, ou la personne qui possède cette nature ; par conséquent, aux termes essentiels divins concrets : « Dieu, l’Éternel est fils de Marie ; » aux termes relatifs concrets : « le Verbe, le Christ est fils de Marie ; » aux termes humains abstraits ou concrets : « l’homme est fils de Marie, l’humanité (dans le Christ) est fille de Marie ; » mais on ne pourra l’attribuer aux termes divins abstraits : « la divinité est fille de Marie, » parce qu’ils n’indiquent ni la nature issue de Marie, ni la personne possédant cette nature.

3° Si l’on considère la maternité de Marie, on pourra dire, pour les mêmes raisons, en termes concrets que « Marie est mère du Christ, de Dieu, de l’Éternel », ou, en termes abstraits, qu’ « elle est mère de l’humanité (du Christ) », mais on ne pourra dire qu’elle est mère de la divinité.

S. Thomas, Sum. theol., IIIa, q. xvi, et ses commentateurs ; Petau, De incarnatione, l. IV, c. xv, xvi ; et en général les traités théologiques De incarnatione, De communicatione idiomatum ; Denzinger, Enchiridion, n. 73, 143, 177, 204, 237, 873, 880.

A. Chollet.