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ABSTRAITE (CONNAISSANCE) — ABSTRAITS (TERMES)

actue directement son intelligence et lui est immédiatement présente. L’ange se connaît donc sans le secours d’une espèce impresse ou expresse, mais par son essence. Cette intuition per essentiam lui révèle son existence et sa nature. Cf. S. Thomas, De veritate, q. vi, a. 8 ; q. x, a. 8 ; De mente, a. 8 ; Sum. theol., Ia, q. lxxxvii, a. 1 ; A. Chollet, Theologica lucis theoria, n. 22, Lille, 1893.

3o Mais l’objet ainsi présent et uni au connaissant ne se révèle pas toujours entièrement à lui. Quand l’intuition épuise totalement l’objet, le saisit dans tout son être et s’unit à toute sa réalité, elle est compréhensive : ainsi l’ange se connaît tout entier ; entièrement intelligible en acte, il est totalement présent à la connaissance. Si l’intuition n’épuise pas l’objet, si elle n’en saisit qu’une partie, elle est alors simplement appréhensive ; ainsi l’âme humaine ne se saisit pas toute dans l’acte qui lui révèle son existence et son activité.

II. Applications théologiques.1o Connaissance humaine. — L’homme a-t-il de Dieu une connaissance intuitive ou abstraite ? L’ontologisme et le panthéisme accordent à l’homme, dès cette vie, la connaissance intellectuelle intuitive de Dieu ; les hésychastes ont poussé l’erreur jusqu’à croire possible et réelle, en ce monde, l’intuition sensible de la divinité. Cf. A. Chollet, op. cit., n. 41. La saine théologie répond :

1. Qu’il est absolument impossible à nos sens, soit par leurs aptitudes naturelles, soit même surnaturellement, d’arriver à l’intuition de l’essence divine. Quant aux sens glorifiés, saint Thomas leur accorde de voir Dieu à la manière dont nos yeux voient la vie d’un être vivant, c’est-à-dire qu’à l’occasion de manifestations corporelles glorieuses qui frapperont nos sens, l’intelligence, grâce à l’accroissement de sa puissance et à l’éclat nouveau des corps glorieux, saisira en ceux-ci la présence divine. Sum. theol., Ia, q. xii, a. 3, ad 2um.

2. En cette vie, l’intelligence humaine ne connaît Dieu que d’une connaissance abstraite et analogique, tirée naturellement des choses sensibles, ou surnaturellement reçue des témoignages de la révélation. Notre esprit, ayant acquis tous ses concepts par l’abstraction des images sensibles, ne peut appliquer à l’idée naturelle ou surnaturelle de Dieu que ces mêmes concepts.

3. La connaissance extraordinaire et mystique de Dieu, que saint Thomas appelle connaissance prophétique, ne s’élève pas elle-même au-dessus de l’abstraction, soit que Dieu propose à nos facultés des objets miraculeux, soit qu’il dépose dans nos sens ou dans notre intelligence des images ou des concepts infus. Le Seigneur proportionne toujours sa révélation et son action au mécanisme habituel et normal de notre activité mentale. Or, dans cette vie, la condition de notre âme exige qu’elle connaisse per conversionem ad phantasmata et par le mode de l’abstraction (voir ce mot). Les idées infuses, aussitôt engendrées extraordinairement dans l’intellect, s’adaptent à la méthode ordinaire de l’esprit et celui-ci, qui les a reçues par voie exceptionnelle, ne continue à les posséder et à en percevoir les objets que conformément à sa condition présente, c’est-à-dire abstractivement. Cf. A. Chollet, op. cit., n. 289.

4. Dans la vision bienheureuse, l’âme humaine est appelée à l’état d’intuition pure ; non pas de semi-intuition où, en la présence immédiate de l’essence divine, elle en produirait en elle-même une représentation accidentelle, une espèce vitale. Elle jouit d’une intuition parfaite où, après l’avoir élevée par la lumière de gloire, la nature divine s’unit immédiatement à elle et sans le secours d’aucune espèce, la pénètre et la remplit de la réelle présence de son infinie intelligibilité. Cf. S. Thomas, IIIæ Suppl., q. xcii, a. 1. Cette intuition ne va jamais jusqu’à la compréhension totale et absolue, quoique la théologie appelle souvent les bienheureux du nom de comprehensores, Ils sont comprehensores, parce qu’ils possèdent la réalité divine, mais leur intuition ne saurait être compréhensive à cause de l’infinie disproportion entre l’essence divine et l’intelligence humaine. Cf. Hontheim, Institutiones theodiceæ, n. 748, Fribourg-en-Brisgau, 1893.

2o Connaissance du Christ. — Le Christ, à cause de l’union en sa personne de la nature divine et de la nature humaine la plus parfaite, possède, outre la connaissance propre à la divinité, toutes tes connaissances qui peuvent élever l’homme à Dieu. Il a, du créateur, la connaissance analogique et abstraite que donne la vue de l’univers, ou la foi, et il pousse cette connaissance acquise jusqu’aux limites des forces de l’intellect agent (voir l’article Intellect suivant la doctrine scolastique) ; il a, de Dieu, la connaissance prophétique, suprême degré de la connaissance abstraite que donne la révélation mystique, et cette science infuse n’a pas en lui d’autres bornes que celles de la capacité de son intellect possible (voir le même article) ; enfin, il a, de l’essence divine, la vision intuitive propre aux âmes glorifiées, et cette vision, bien qu’elle ne soit pas compréhensive, est cependant supérieure à la vision dont jouissent les bienheureux. Cf. S. Thomas, Sum. theol., IIIa, q. ix-xii ; A. Chollet, op. cit., n. 139 sq.

3o Connaissance divine. — Dieu seul se voit et se pénètre d’une manière adéquate et compréhensive. En lui, la connaissance est plus que l’union d’un connu et d’un connaissant ; elle en est la fusion, l’identification. Dieu infiniment intelligible est totalement présent et identique à Dieu infiniment intelligent, et cette identité absolue entre le connu et le connaissant est le type et l’idéal de toute connaissance finie, le terme vers lequel toute intelligence créée doit tendre dans son union avec l’objet, sans y pouvoir atteindre jamais. Dieu, en se connaissant, a l’intuition immédiate, non seulement de son être total, mais encore de tous les êtres participés qui peuvent émaner de sa puissance.

Kleutgen, Die Philosophie der Vorzeit, n. 377 sq., Inspruck, 1860-1863, traduit en français par le P. Sierp. sous le titre de La philosophie scolastique, Paris, 1868-1870 ; Franzelin, De Deo uno, th. xxxvi sq. : Signoriello, Lexicon peripateticum, v° Abstractive, Naples, 1872.

A. Chollet.

2. ABSTRAITS (Termes) ou CONCRETS.I. Définition et emploi. II. Usage de ces termes dans les questions relatives à la Trinité. III. Usage de ces termes dans les questions relatives à l’incarnation. IV. Usage de ces termes dans la mariologie.

I. Définition et emploi.1o Les termes abstraits désignent une qualité, une perfection, prise en elle-même : la blancheur, la vertu. Les termes concrets désignent un sujet qui possède cette qualité ou cette perfection : blanc, vertueux. Les termes concrets s’appellent donc ainsi parce que leur objet est un composé, l’ensemble d’un sujet et de sa qualité ; les termes abstraits sont également bien nommés, puisque leur objet, la perfection, est pris abstractivement et en dehors du sujet.

2o Il y a lieu de distinguer ces deux sortes de termes, parce qu’ils ne s’emploient pas de la même façon. Je puis dire en employant un attribut concret : « Cet homme est bon. » Je ne puis emprunter un attribut abstrait et dire : « Cet homme est la bonté, » mais bien : « Cet homme a de la bonté. » — Cette différence dans l’usage des termes abstraits ou concrets est plus profonde encore quand il s’agit de la Trinité ou de l’Incarnation, parce que les personnes et les natures y étant entendues différemment, on peut attribuer aux unes des choses que l’on nie des autres. S. Thomas, Sum. theol., Ia, q. xxxix, a. 1, ad 2um.

3o Avant tout, il faut encore distinguer le contenu des termes et leur attribution. Le contenu d’un terme (que saint Thomas désigne par le mot suppositio), c’est la signification pure et simple du mot pris en lui-même ; l’at-