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ABSTRACTION — ABSTRAITE (CONNAISSANCE)

traduct. Compayré, Paris, 1880, et la psychologie de l’association, l’abstraction ne serait autre que la fusion des images semblables. Des impressions sensibles identiques, des images semblables se succèdent dans la perception, se superposent dans la faculté et dans son organe ; les traits communs s’accentuent, les autres s’effacent, il se produit alors une image générique qui représente toute une catégorie d’objets à la façon dont le « portrait composite » reproduit le type d’une famille ou d’une classe d’individus. Voir dans la Revue scientifique, juillet 1878, septembre 1879, les articles de M. Galton sur les Images génériques.

3° D’après Hamilton et Stuart Mill (Stuart Mill, Système de logique, t. i, c. vii ; t. ii, c. ii, trad. Peisse, Paris, 1880 ; Philosophie de Hamilton, c. xvii, trad. Cazelles, Paris, 1869), les idées abstraites s’obtiennent par le moyen de l’attention privilégiée. Étant donné plusieurs images entre lesquelles existent des ressemblances et des dissemblances, l’esprit porte une attention spéciale sur les ressemblances, fait abstraction, c’est-à-dire ne s’occupe pas des dissemblances : cette attention et cette abstraction, que Stuart Mill appelle « les deux pôles du même acte de la pensée », ont pour résultat une image générique.

4° D’après M. Paulhan (voir dans la Revue philosophique de 1889 ses quatre articles sur l’Abstraction et les idées abstraites), la vie de l’esprit est un travail continu d’analyse et de synthèse. Les éléments psychiques groupés d’une façon vague et confuse dans les conceptions primitives, se séparent et vont faire partie de nouveaux composés. D’abord, ils entraînent avec eux dans le nouveau composé quelques éléments du premier système où ils étaient contenus, c’est la métaphore, etc. ; puis ils se dégagent entièrement et finissent par reproduire des représentations et des tendances générales : c’est l’abstraction pure.

5° Ces différentes formes de dissociation ou de désintégration habituellement suivie d’une association et d’une intégration nouvelle ne peuvent être confondues avec la véritable abstraction, telle que l’entendent les scolastiques après saint Thomas. L’abstraction s’opère tout entière en dehors et au-dessus des images sensibles auxquelles elle ne fait subir aucune modification ; la dissociation est un mode et un état particulier des images sensibles. — L’abstraction crée l’idée avec ses trois caractères d’immatérialité, d’universalité, de nécessité ; la dissociation aboutit à des images matérielles, contingentes et aussi concrètes que l’est le portrait composite. — L’abstraction est à l’origine et spontanée ; elle produit d’abord l’universel direct, puis devient réflexe et donne naissance à l’universel logique ; la dissociation est toujours réflexe, puisque c’est un retour d’une faculté sur elle-même, pour soumettre ses perceptions antérieures à une comparaison (Locke), à une addition (Huxley), à une soustraction (Hamilton) ou à une désintégration (Paulhan).

III. Ses espèces. — Nous avons déjà divisé l’abstraction, d’après l’acte qu’elle exerce (abstraction réelle, intentionnelle), d’après le substratum duquel elle tire son objet (abstraction totale, formelle), et enfin d’après le moment où elle se produit (abstraction précisive, logique). Si l’on considère ses degrés, l’abstraction se distingue encore en abstraction physique, abstraction mathématique et abstraction métaphysique. Par la première nous négligeons les caractères individuels pour ne saisir que les qualités qui tombent immédiatement sous les sens et qu’on appelle les sensibles propices, comme la chaleur, le froid, la lumière, les couleurs, le son. Par la seconde, nous laissons de côté ces qualités elles-mêmes pour ne considérer que les propriétés plus intimes (sensibles communs) qui conviennent aussi à tous les corps et à eux seuls, mais ne sont perçues que moyennant les qualités sensibles, comme l’extension, la figure, la quantité, Par la troisième, on néglige toutes les qualités qui tombent sous le sens (sensibles propres ou communs) pour ne considérer que celles qui n’affectent pas les sens (sensibles per accidens) ou même s’étendent aux êtres incorporels, comme la substance, l’accident, la potentialité, la force, etc. La première abstraction fournit l’objet îles sciences physiques, la seconde celui des sciences mathématiques, la dernière celui des sciences métaphysiques.

Kleutgen, Die Philosophie der Vorzeit, n. 67 sq., Inspruck, 1860-1863, traduit par le P. Sierp sous le titre de La philosophie scolastique, Paris, 1868-1870 ; Liberatore, Della conoscenza intellettuale, t. ii, c. v, Rome, 1873, traduit par l’abbé Deshayes, De la connaissance intellectuelle, Paris, 1885 ; T. Pesch, Institutiones logicales, n. 99 sq., Fribourg-en-Brisgau, 1888 ; Fr. Queyrat, L’abstraction et son rôle dans l’éducation intellectuelle, Paris, 1895 ; Th. Ribot, Psychologie de l’attention, Paris, 1896 ; R. P. Peillaube, Théorie des concepts, Ire part., c. ii ; IIe p., c. iv, Paris, s. d.

A. Chollet.

1. ABSTRAITE (Connaissance), INTUITIVE, COMPRÉHENSIVE.I. Nature. II Applications théologiques.

I. Nature. — La connaissance, suivant la doctrine scolastique, est la représentation vitale d’un objet dans un sujet connaissant ; elle se produit par le concours de l’objet et du sujet.

1° L’objet n’agit pas toujours immédiatement sur la faculté de connaissance. Parfois, il n’impressionne celle-ci que par le moyen d’un intermédiaire. L’action du connu sur la faculté est alors médiate et la connaissance est dite abstraite, parce qu’elle tire de l’intermédiaire la représentation de l’objet. Cet intermédiaire entre l’objet et la faculté est tantôt un autre objet, comme « les similitudes tirées de l’ordre sensible » qui, dans la connaissance prophétique, nous révèlent la nature des substances immatérielles ou celle de Dieu, S. Thomas, In Boet. de Trinitate, q. vi, a. 3 ; Sum. theol., IIa-IIæ, q. clxxiii, a. 1 ; tantôt une autre faculté, comme les facultés sensibles qui présentent à l’intelligence les objets corporels extérieurs ; tantôt une espèce ou représentation antérieure, comme il arrive dans le souvenir, où un objet absent est perçu dans une image antérieure conçue en sa présence et conservée par la mémoire. Cf. T. Pesch, Institutiones logicales, t. ii, n. 468, Fribourg-en-Brisgau, 1888.

2° La connaissance est intuitive quand l’objet lui-même s’impose directement ou immédiatement à la faculté, comme la couleur impressionne la vue. L’intuition comporte plusieurs degrés suivant que le contact entre l’objet et le sujet est plus ou moins intime, suivant qu’il se borne à une action extérieure du premier sur le second, ou qu’il va jusqu’à l’union de l’un avec l’autre. — 1, Il y a une demi-intuition dans laquelle l’objet impressionne la faculté, sans s’unir à elle et l’informer (voir l’article Forme) ; la faculté alors, excitée par l’objet, produit en son sein une image, une espèce dans laquelle et par laquelle elle perçoit l’objet ; c’est le mode de connaissance de la couleur par la vue. — 2. Il y a une intuition dans laquelle l’objet s’unit à la faculté et se confond pour ainsi dire avec elle dans l’acte même de la connaissance. Ici plus d’espèce intermédiaire, mais la présence même de l’objet qui, à la manière de l’espèce, informe la faculté. C’est par une intuition de cette nature, mais imparfaite, que l’âme humaine prend conscience d’elle-même. Saint Thomas dit qu’elle se connaît per præsentiam, c’est-à-dire qu’étant immédiatement et actuellement présente dans les actes ou images par lesquels elle se représente les objets extérieurs, la conscience la saisit, dans cet acte, en elle-même et sans en produire une image spéciale. Cette intuition de la conscience humaine porte sur l’existence du moi et non sur sa nature. C’est par une semblable intuition, mais plus parfaite, que l’ange se connaît lui-même. Saint Thomas affirme que l’ange se connaît per essentiam, parée que sa nature immatérielle étant actuellement et par elle-même intelligible,