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ABSTINENCE DU SANG, ETC. — ABSTRACTION

pontife romain. C’est le fameux Responsa ad consulta Bulgarorum. Dans ce document, le pape Nicolas I er (858-867) dit, n. 43 : « On peut manger toutes sortes de viandes, si elles ne sont pas nuisibles par elles-mêmes. » Hardouin, Acta conciliorum, Paris, 1714, t. v, col. 354 ; Mansi, Conciliorum collectio, Venise, 1770, t. XV, col. 401.

— Plus tard. deux au très témoignages historiques attestent également l’abolition de cet usage. Dans sa lettre à l’évêque de Trani, sous le pontificat de Léon IX (10481054), Michel Cérulaire reproche aux latins l’abolition de l’abstinence du sang : « Vous êtes à demi païens, dit-il, parce que vous mangez des animaux étoullés, dans lesquels se trouve encore le sang. Ne savez-vous donc pas quel’àme est dans le sang, et par conséquent celui qui mange le sang d’un animal mange aussi son âme… laissez les animaux étouffés aux barbares, afin qu’il n’y ait plus qu’un seul pasteur et qu’un seul troupeau. » P.L., t.cxLiii, col.930.— Au moyen âge, Balsamon, expliquant le 63e canon apostolique, se plaint de ce que les latins n’observent plus l’abstinence du sang et des viandes suffoquées. Beveridge, Pandectæ canonum, t. i, p. 41.

IV. Persistance de cette pratique en Orient. — L’abstinence du sang et des viande s sulloquées est encore en vigueur dans certaines Églises chrétiennes. Ainsi les grecs schismatiques s’abstiennent même aujourd’hui de ce genre de mets. Il faut pourtant observer que cette conduite est générale chez les grecs. Les grecs unis y sont aussi fidèles que les grecs séparés. Lez chrétientés grecques ont donc conservé le précepte apostolique.

— Les chrétiens chaldéens observent au^si la même pratique : ils s’en sont toujours tenus à la prescription des apôtres. Déjà un auteur du xiiie siècle, Bar-Hébra ? us, constatait cela dans un de ses ouvrages. Heticon, édit. Bedjan, p. 157, 158, 159. Les chrétiens d’Ethiopie restent aussi 1( rmement attachés à cette observance. Ils vont même plus loin. Lorsqu’un animal est mort subitement à la suite d’un accident, ils le saignent avant de manger sa viande.

V. Sa valeur depuis la venue de Jésus-Christ.

— Quelle qu’ait été jusqu’ici la persistance de cette pratique dans certaines contrées et dans certaines fractions de la grande famille chrétienne, il importe d’observer que depuis la venue de Notre-Seigneur elle n’a plus qu’une valeur ecclésiastique. Dans l’Ancien Testament elle faisait partie d’une législation qui était obligatoire pour le peuple juif. Elle semble avoir eu dans la pensée du législateur un motif symbolique ou à tout le moins hygiénique. Dans le Nouveau Testament elle devait disparaître avec la partie purement rituelle de l’ancienne loi. Elle n’a donc jamais eu à partir du christianisme une valeur morale ni encore moins dogmatique. On ne saurait appeler ni bonne ni mauvaise, l’observance ou la violation de cette pratique. Elle n’est donc plus qu’une mesure disciplinaire ecclésiastique, que conservent encore certaines Églises. Le concile de Florence dans son décret aux arméniens (1441) déclare que la prescription maintenue sur ce point par les apôtres réunis à Jérusalem, ne tendait qu’à ménager les Juifs récemment convertis et qu’elle n’oblige plus personne. Hardouin, Acta conciliorum, Paris, 1714, t. ix, col. 1026.

V. Ermoni.

ABSTINENTS. Nom donné a quelques partisans de Manès, au iiie siècle. Les abstinents se distinguaient par leurs principes outrés d’ascétisme. A l’exemple des encratites du iie siècle (voir ce mot), ils considéraient la matière comme le principe du mal et du péché et lui vouèrent pratiquement une haine farouche. De là, chez eux, la lutte de l’esprit et de l’âme contre le corps et ses concupiscences, l’abstention de la viande, des mortifications corporelles excessives, et, chose plus grave, l’horreur du mariage et de tout ce qui a rapport aux relations de l’homme et de la femme.

G. Bareille.

ABSTRACTION, suivant la doctrine scolastique.I. Ce qu’elle est. II. Ce qu’elle n’est pas. III. Ses espèces.

I. Ce qu’elle est. — 1° Étymologiquement et en général, l’abstraction (de abstrahere, tirer de) est l’action de séparer une chose d’une autre pour la retenir en dehors de cette dernière. On rencontre l’abstraction à tous les degrés de l’activité naturelle. Elle se trouve dans l’exercice des affinités électives des corps chimiques. La plante abstrait par la sélection des éléments nutritifs du sol. Les facultés sensitives, que Laromiguière appelait « des machines à abstraction », ne perçoivent leur objet qu’en vertu d’une abstraction : l’œil ne saisit que les couleurs indépendamment des autres qualités des corps : l’oreille ne perçoit que le son et ignore les couleurs et les odeurs, etc. L’intelligence abstrait quand elle considère une qualité, par exemple l’humanité, sans s’occuper du sujet qui la possède (abstraction formelle), ou encore quand elle perçoit une notion universelle, par exemple l’homme, en dehors et au-dessus des individus où elle peut être réalisée (abstraction totale). Cf. S. Thomas, Sum. theol., Ia, q. xl, a. 3. — On appelle abstraction réelle celle qui est faite par les corps chimiques ou par les plantes, parce qu’elle modifie les réalités et y opère des dissociations et des analyses réelles ; l’abstraction des sens ou de l’intelligence est intentionnelle, parce qu’elle réside tout entière dans un procédé de connaissance dont elle ne change pas physiquement l’objet.

En particulier, l’abstraction est prise seulement dans le dernier sens et pour une opération exclusivement intellectuelle.

1. Parfois elle s’exerce sur les concepts déjà formés, les décompose en leurs éléments constitutifs et produit des jugements analytiques. Par exemple, j’analyse mon concept d’animal, j’y trouve l’idée d’être, de substance, de vie, de sensation, etc., et j’affirme que l’animal est un être, une substance, un vivant, etc. Cette opération (abstraction précisive) est plutôt une analyse qu’une abstraction proprement dite. — 2. Celle-ci, au contraire (abstraction universelle), est, avant tout, l’opération originelle qui s’exerce sur des images sensibles, en dégage l’élément intelligible qu’elle isole des conditions matérielles et individuantes, et aboutit au concept universel. Une telle abstraction est nécessaire ; car les objets représentés dans l’imagination ne sont pas intelligibles en acte, étant enfermés dans des images ou espèces matérielles et organiques ; et cependant l’intelligence perçoit ces objets. Il faut donc, après qu’ils ont été saisis par l’imagination et avant qu’ils le soient par l’intelligence, une élaboration qui, portant sur les images sensibles, en rende le contenu actuellement intelligible. Cette élaboration est l’abstraction. Elle a pour mission immédiate de proportionner les objets à la faculté intellectuelle, et pour cela de les rendre immatériels, comme celle-ci est immatérielle, en les dégageant des conditions physiques et matérielles. Elle a pour résultat de généraliser les objets. En effet, ceux-ci, étant isolés des conditions matérielles qui les individualisaient, deviennent, par le fait même, des objets universels. — La faculté de l’abstraction est l’intellect agent que saint Thomas, Sum. theol., Ia, q. lxxxv, a. 1 ; Compendium theologiæ, c. lxxxiii, situe entre les sens internes et l’intellect possible.

II. Ce qu’elle n’est pas. La dissociation. — On a cherché à renfermer l’abstraction dans l’ordre purement matériel et à en faire une sorte de dissociation des éléments de la perception sensible.

1° D’après Locke, Essai sur l’entendement humain, l. II, c. xi, § 9 ; l. III, c. iii, § 6-9, Paris, 1839, l’abstraction serait le résultat de la comparaison de plusieurs objets chez lesquels apparaîtraient des qualités semblables. Elle consisterait à retenir ces qualités, à les réunir sur une seule idée et à donner un nom à cette idée.

2° D’après Huxley, Hume, sa vie, sa philosophie, p. 129,